La justice, au sens institutionnel du terme, l'autrice la connaît bien pour l'avoir pratiquée pendant des années en tant qu'avocate, avant de choisir de se consacrer pleinement à l'écriture. Sa critique radicale n'en est que plus percutante puisqu'elle vient de l'intérieur. Mais avant d'en venir au procès, qui occupe les dernières pages du livre, celui-ci commence par la description de la scène de crime, froidement détaillée comme une nature morte, avant de s'embarquer dans une sorte d'enquête retraçant le parcours du criminel, mêlant parfois dans le même chapitre un point de vue interne à la première personne du singulier et une prise de recul à la troisième personne.
Le plus souvent, il dit « je », ce jeune homme qui n'hésite pas à s'avouer coupable, qui après son crime n'a jamais cherché à fuir, attendant docilement que la police vienne le cueillir puis que la justice décide quoi faire de lui. Et dès la première page, son « je » est un miroir tendu au « vous » qui alpague les lecteurs/trices, représentant(e)s de toute une société solidaire et complice du crime accompli. Peu à peu, les pièces du puzzle s'assemblent, dressant le portrait d'une famille dysfonctionnelle moyenne de banlieue précaire : un ado déscolarisé, une fratrie divisée par les placements en foyer, une famille recomposée qui éclate après une accusation d'attouchements sur la plus jeune des filles, un flou sur la filiation côté paternel, le manque criant d'argent et la fumette pour supporter le quotidien. L'auteur des faits, sans emploi, sans logement, hébergé par un père qui n'est même pas son géniteur biologique avec sa compagne et leur petite fille, sans ressource autre que celle de louer ses services au dealer qui tient le quartier, sans perspective autre que de tenter ailleurs d'aller trouver l'emploi qui n'existe pas ici, surtout sans qualification aucune, bien qu'inconnu des services de police, semblait déjà tout disposé à basculer. Son crime, violent et brutal, ne semble pour lui que la suite logique d'une vie à la marge, d'emblée condamnée par l'organisation verticale de la société capitaliste.
Qui est vraiment coupable ? Les parents qui n'ont pas su protéger leurs enfants et les empêcher de tomber sous la coupe des trafiquants de drogue ? le système scolaire, qui a laissé l'absentéiste passer de classe en classe jusqu'à atteindre l'âge où la scolarité n'est plus obligatoire ? La famille de la victime, qui en laissant l'octogénaire à l'abandon l'a mise à la merci du premier venu ? La justice, qui se contente d'un coupable au premier degré sans chercher les racines du mal ?
Le texte ne fait pas dans la dentelle, mais dans les phrases-chocs qui viennent percuter toute l'organisation d'une société régie par l'argent : ceux ou celles qui en ont, à l'abri de l'enfer symbolisé par la prison, ceux ou celles qui n'en ont pas, condamné(e)s à sagement rester à leur place de quasi esclaves et de consommateurs/trices silencieux/ses à moins de glisser du côté du mal, défini en tant que tel par les privilégié(e)s. Fondamentalement travaillé par les rapports de classe, le texte l'est aussi par des références, la première étant, comme le titre peut y faire penser, la religion catholique. Filant le champ lexical de la morale chrétienne et l'identification christique, l'autrice se veut iconoclaste. Bien que pointant l'assimilation de la culture à celle des classes dominantes, elle ne fait pas moins usage de parallèles avec Pascal,
Shakespeare ou encore
Proust comme pour rendre à son protagoniste une grandeur et une humanité dont toute la société, bien avant son crime, l'aurait déjà privé.
Plus sur le blog :
Lien :
https://lilylit.wordpress.co..