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EAN : 9782709662581
200 pages
J.-C. Lattès (06/02/2019)
3.6/5   35 notes
Résumé :
Maya est une jeune femme française de vingt-huit ans, fille unique de pharmaciens à Cannes. Un matin sans en saisir la cause, Maya se réveille en parlant et comprenant parfaitement l'arabe.
Une découverte qui va bouleverser sa vie, celle de son entourage et la pousser à réfléchir sur son identité, ses origines, ses goûts, ce qu'elle est et croit être.
En attendant les résultats médicaux qui doivent éclaircir ce mystère, Maya s'interroge sur ce don et ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Et si un matin, vous vous leviez en maîtrisant une langue que vous ne connaissiez pas la veille ? Pas n'importe quelle langue, pas une cousine comme l'espagnol ou l'Italien, non, une langue qui vous oblige à revoir complètement votre conception du monde, à vous battre contre les préjugés qui vous sont servis quotidiennement. L'arabe. Mélange de peur et de fascination. Pour une grande majorité de nos citoyens, l'arabe c'est l'épicier du coin, le délinquant de banlieue, un voyage au Maroc peut-être, une appréhension profonde parce que c'est en disant اللهُ أَكْبَر qu'on assassine des innocents. Alors, que se passe-t-il quand on connaît la langue de l'étranger, de celui dont on se méfie. Les repères changent, les rapports se transforment. Ce livre m'a rappelé un jeu que nous pratiquions à l'université : si Dieu te donnait le choix entre les dons suivants, lequel prendrais-tu ? 1. Savoir jouer tous les instruments de musique. 2. Parler toutes les langues. 3. Savoir lire dans le coeur des femmes (ou des hommes). J'avais choisi l'option 2 comme une condition sine qua non de l'option 3, étant d'une xénophilie pathologique. Ce petit livre est une initiation au monde arabe, une immersion dans cette culture qui infuse notre société depuis des décennies, quitte à en énumérer tous les clichés et toutes les évidences. Pour qui se sent loin de la culture arabe, ce livre, entre l'essai et la balade, est l'occasion de s'en rapprocher avec douceur. Pour qui la connaît un peu (c'est mon cas), ce roman n'apprendra rien et laissera un goût d'inachevé. Je reste frustrée, avec l'impression que des questions fondamentales n'ont pas été abordées : qu'est-ce que ça signifie, avoir la double culture ? de quoi « arabe » est-il le nom, à part la langue ? Quant à la notion de filiation et de recherche de ses origines, tant vantée sur la quatrième de couverture, si elle apparaît, c'est de façon t(arab)iscotée.
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J'en ai mis, du temps, à rédiger cet avis. Ou plutôt, j'en ai laissé passer, du temps, entre la fin de mon hypnotique lecture et la rédaction de mon avis, tout simplement parce que j'avais peur de parler beaucoup trop de moins dans ce livre, et pas assez du livre en question.
Maya se réveille en parlant parfaitement arabe, en pensant arabe, en étant parfaitement imprégnée de la culture arabe. Pourquoi ? Il y aura une explication rationnelle, j'ai presque envie de vous rassurer tout de suite. Je ne la révélerai pas, bien sûr, disons simplement qu'elle fait partie du champ des possibles, et non du fantastique.
Ce n'est pas tant le fait qu'elle pense parfaitement en cette langue qui questionne, c'est le choix de cette langue, de cette appropriation culturelle, en quelque sorte, et de ce qu'elle peut renvoyer, questionner, sur notre société actuelle. On juge, on est jugé, sur sa langue, son nom de famille, son prénom. On peut aussi se reconnaître entre soi, aussi, ou se rejeter.
Elle nous montre une culture, un ressenti d'une incroyable richesse. Elle nous parle aussi du sort des femmes arabes, de leur rapport à la féminité, ou plutôt, de leur obligation de refouler leur féminité. Voire pire encore. Par la langue, Maya prend conscience de ce que d'autres femmes vivent, pas si loin d'elles.
Arabe est un livre qui interroge, questionne, sur ce qui fait notre identité, sur le regard que l'on porte sur les autres, sur les clichés qui sont véhiculés aussi.
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Arabe, c'est le titre du nouveau roman de Hadia Decharriere publié chez JC Lattès. Après Grande section publié il y a deux ans, l'auteure revient avec un texte où il est question d'identité qui change, de ce « moi » qui fluctue radicalement. du jour au lendemain. Lettres it be vous en dit plus dans cette critique !

# La bande-annonce

Maya est une jeune femme française de vingt-huit ans, fille unique de pharmaciens à Cannes. Un matin sans en saisir la cause, Maya se réveille en parlant et comprenant parfaitement l'arabe. Une découverte qui va bouleverser sa vie, celle de son entourage et la pousser à réfléchir sur son identité, ses origines, ses goûts, ce qu'elle est et croit être.

En attendant les résultats médicaux qui doivent éclaircir ce mystère, Maya s'interroge sur ce don et sur l'identité nouvelle qu'il lui confère. Chacune de ses rencontres lui permet de s'immerger dans ce nouveau monde, de définir ce qu'elle est dans le regard de l'autre, le vrai arabe.

Elle rencontre d'abord Naïma, une jeune femme d'origine marocaine mais qui ne parle pas arabe. Puis Roger, le patron d'un restaurant libanais où elle a ses habitudes mais qu'elle semble redécouvrir aujourd'hui. Alors qu'à son oreille tous les mots qu'elle lit s'éveillent de H qui s'aspirent et de R qui se roulent, sa bouche émet une commande dans un arabe si parfait que Roger jurerait entendre une enfant de Damas. Elle s'attable à un café et, indiscrète, écoute une discussion entre un grand-père algérien et son petit-fils né français. « Tu dois parler l'arabe » lui assène-t-il. Alors que son rendez-vous à l'hôpital approche, Maya emprunte un taxi dont le chauffeur égyptien semble tout droit sorti du roman de Khaled al Khamissi. Il lui expliquera le rouge, le vert, le Caire qu'il a dû quitter mais qui ne le quitte pas.

C'est une arabité inattendue qui est révélée à Maya qui en cherchant ce qu'elle n'est pas, découvre un peu mieux qui elle est.

# L'avis de Lettres it be

Que ferions-nous si nous nous réveillions un jour avec une identité qui n'est pas la nôtre ? Que ferions-nous si nous étions, du jour au lendemain, de coeur et de langue portugaise, suédoise, camerounaise… arabe ? C'est le point de départ du nouveau roman de Hadia Decharriere, Arabe, publié chez JC Lattès. Enfin, c'est précisément ce qui survient dans la vie bien rangée de Maya, personnage central de ce livre. Après Grande section publié en 2017, Arabe est l'occasion de (re)découvrir la plume de cette auteure née de parents syriens dans un texte… surprenant.

« Qui sera-t-elle désormais, aux yeux des autres ? Une victime de ses origines ? Être arabe dans un pays qui ne l'est pas doit-il s'accompagner de cette honte qui pousse à occulter ce que l'on est, oublier sa langue et ses coutumes pour ne pas gêner les Français ? Ne pourra-t-elle pas simplement arborer ravissement et fierté ? Qui sont-ils, ces Arabes qui n'ont pas honte de l'être ? Des esprits dominants qui ne veulent plus être dominés, des croyants fervents aux ambitions démesurées ? Des pur-sang chassant le mécréant, des fanatiques, des extrémistes ? Des fous de Dieu terrorisant l'Occident ? Maya peut-elle espérer, au sein de la société qu'elle a connue jusqu'alors, la société française et ses vieux démons, être aux yeux de l'autre, à l'état brut et sans aucune épithète humiliante, tout simplement, arabe ? »

Inévitablement, même si le registre est un brin différent, on pense à Agathe Cléry, le film d'Etienne Chatiliez lui-même adapté d'un film des années 70, Watermelon Man de Melvin van Peebles. Mais là où Arabe se distingue par rapport à ces films qui faisaient du racisme leur fil rouge humoristique, c'est bien dans ce rapport très contemporain à la question de l'identité, un rapport articulé autour des rapports de domination, autour des différences élevées au rang d'insignes à défendre coûte que coûte. Forcément, en toile de fond on retrouve les thématiques du rejet de l'autre, de l'exclusion et du racisme (quoi que discret ici). Mais toutes ces réflexions, nécessaires s'il en est, en viennent parfois à des légeretés surprenantes, qui tranchent cruellement avec le reste du récit. En témoigne ce passage où Maya, l'héroïne du livre soudainement devenue « arabe », entre dans un sex-shop, endroit choisi par l'auteure pour délivrer toute une floppée de réflexions sur la condition de la Femme occidentale versus la condition de la Femme orientale, faisant ainsi du godemichet tour à tour un dominé et un dominateur. Aïe…

Entre autres réflexions plus ou moins hautes, Hadia Decharriere ne s'épargne pas quelques formules à l'emporte-pièce, du style « Comme une bourgeoise pressée, elle appelle un taxi. » (page 124). Globalement, et c'est même le titre de l'ouvrage, on est plutôt ravi d'apprendre que le terme « arabe » suffise à caractériser toutes ces femmes, tous ces hommes venus de pays divers, de régions particulières, de cultures affirmées. Arabe, c'est le relativisme facile.

Il y a du Kafka dans ce livre, autant qu'il y a du Yassine Belattar. Hadia Decharriere alterne les envolées plutôt bienvenues sur le « Moi social » et ses origines et les considérations hâtives façon « victimisation à pas cher » qui font ainsi perdre au roman toute sa bonne teneur initiale. le point de départ est intelligent, et parfois traité avec maîtrise. Mais il en résulte un texte inégal, qui se prend les pieds dans le tapis d'une thématique abordée, peut-être, avec trop de pincettes et de bonne volonté.

Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be
Lien : https://www.lettres-it-be.fr..
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Italien ? Espagnol ? Suédois ? Allemand ? Que ferez-vous si un beau jour en vous réveillant une autre langue sortait de vos entrailles ?

Maya, jeune femme de vingts-huit ans, française, qui se réveille un matin sans savoir pourquoi elle sait parfaitement parler "arabe" !
Une journée, c'est le deuxième roman de Hadia Decharriere, qui dévoile la journée de Maya, jeune blonde aux yeux bleus, parisienne, dans sa nouvelle langue. Au fur et à mesure de la journée, Maya va se promener et se perdre dans un Paris qu'elle redécouvre. Chacun des lieux et des rencontres est un lien avec le monde arabe.

A travers les rencontres, Maya opère une quête identitaire qui va lui permettre de reconstruire une culture qui lui échappe totalement. Mêlant très habillement des thèmes d'actualités comme l'exil, la mémoire, la transmission du passé familiale, les réflexions sur son identité et ses origines profondes.
Hadia Decharriere s'interroge entre autres, à travers les yeux de Maya sur la féminité dans les deux cultures, la place dans la société française des personnes musulmanes.

Une journée entière ? Plus qu'astucieux (et c'est une réussite) de la part de l'auteure qui utilise une unité de temps très restreints qui a le don de montrer l'émerveillement, le merveilleux de la découverte de Maya et de la découverte de la culture orientale et de cette langue si belle. Maya dépasse les aprioris sur le monde arabe.

Un livre visuel, olfactif, sensoriel, auditif. Une plume légère et douce. Ce nouveau roman d'Hadia Decharriere immerge dans la culture arabe, démontre que les cultures peuvent cohabiter pour s'ouvrir sur un monde tellement plus enrichissant ! A conseiller fortement !
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Un jour, mon amie Layla me dit que son prénom veut dire "la Nuit". Je me souviens de ma surprise et mon émerveillement, qu'une langue dont j'ignorais tout m'ouvrait un monde de références. Il était beau sur elle, ce clin d'oeil étoilé. C'était comme un bijou. Il la racontait déjà ce baptême. J'avais l'impression qu'elle m'avait dévoilé un mystère, la clé de sa beauté. de la poésie pure dans le simple fait de se nommer. Et un ailleurs qui s'ouvre.

C'est la première pensée qui m'a étreint en commençant le second roman de Hadia Decharrière, Arabe, paru chez J.C Lattès. Je voulais la découvrir depuis longtemps. Depuis son premier roman. Je croisais son regard parfois. Elle était pour moi fugitive comme une passante baudelairienne. J'aurais aimé lui parler. J'aurais aimé la rencontrer. Plusieurs fois on s'est manqués, comme si tout conspirait contre nous.

Et puis un matin, j'ai vu cette vidéo. Je l'ai trouvée magnifique. Elle y parlait d'un livre de Modiano, en équilibre sur une émotion intense, choisissant chaque mot pour être au plus proche de ce qu'elle éprouvait dans une sincérité concentrée, réfléchie, lucide et bouleversante. Totalement émouvante. La littérature était vitale quand elle vibrait dans sa voix et dans son regard. Elle la vivait de la même manière que moi. Elle lisait un extrait. le finissait les larmes aux yeux. Moi aussi devant elle et par écran interposé.

Ce matin-là, j'ai décidé de la lire.




Maya se réveille un matin en parlant couramment arabe. Elle qui semble pourtant si loin de cet orient va passer sa journée à explorer cette nouvelle facette de son identité. D'une manière presque allègre d'abord, elle va observer son monde sous cette nouvelle lumière, cette nouvelle couleur. Elle va découvrir des mots, des saveurs, des convictions. Découvrir des pans entier de son histoire et de son intimité, découvrir d'autres dimensions de sa beauté, découvrir des indices disséminés dans son quotidien de cette autre partie du monde que bien souvent on tente d'étouffer dans une forme d'assimilation. Elle découvre des secrets également, révélés par son identité soudainement multiple qui interroge ses racines, ses origines.

L'unité de temps dans laquelle Hadia choisit d'inscrire son récit lui permet d'éviter la lourdeur d'un roman à thèse. On commence presque dans un univers de conte, comme un jeu d'enfant. Maya est costumière, vit avec un acteur. Il y aura toujours une dimension ludique et incrédule à sa découverte de l'arabe. Elle est toujours au bord du sourire et de l'incongru. Elle est résolument solaire. Elle découvre son don comme un pouvoir enfoui. Comme une part d'elle-même soudainement mise à jour, un trésor qu'elle s'approprie.

Ce roman linguistique s'enivre de ses nouveaux sons, de ses nouveaux horizons, de cette nouvelle tradition qui bouleverse tous les rapports qu'entretient cette héroïne avec sa réalité. Elle en découvre une nouvelle interprétation. Avec ce regard presque enfantin qui devient le vôtre quand vous êtes en voyage et que le présent devient un émerveillement permanent, une surprise, une exploration à chaque carrefour. On tombe dans la musique d'une langue comme on tombe amoureux d'un être que l'on n'a jamais vu sous cet angle auparavant. On apprend pas un nouveau langage. Il fait déjà partie de soi. On en connait instinctivement la pulsation, et cette autre voix que ces phonèmes lointains nous donne. On se découvre, on s'enrichit dans ce nouveau miroir.

On chemine avec l'énergie de Maya comme dans un film de la Nouvelle vague. On rit avec elle dans un sex-shop. On se révolte avec elle quand elle approche des problèmes qu'elle n'aurait sans doute jamais abordés (l'excision notamment). On se souvient de la magie proustienne qu'il y a dans les mots, juste à imaginer tous les univers qu'ils renferment, tous les silences qu'ils brisent et les vérités qu'ils permettent. On entend cette voix étrange de l'arabe qui, certains paragraphes, vient briser le monologue de Maya pour s'élever comme une conscience plus ancienne. La naissance, qu'elle finit par questionner, et la face cachée de ses parents insoupçonnables qu'elle finit par mettre au jour.

Découvrir une autre langue, c'est dévoiler différemment tout ce qu'on croyait connaitre. D'autres coutumes, d'autres costumes, d'autres signes, d'autres croyances et d'autres masques, se convertir à d'autres sensations. C'est découvrir en soi toute une part ignorée. Un rythme et une chorégraphie de mots qu'on ne pensait pas contenir.

Cela pourrait être une fable. Un film de Woody Allen. Ce joli film de Coppola, Peggy Sue s'est mariée, où l'impossible remet en cause toutes les vraisemblances qui président à nos vies. Ces légers décalages qui permettent au cinéma et à la littérature de nous aborder autrement avec une justesse élégante et gracieuse, de nous poser des questions profondes sans nous asséner de théories ou de dogmes. Ici on ressent tout avec raffinement. Hadia, en peu de pages, dit un état d'âme et un état du monde. Un engagement discret et humaniste, une manière d'entendre ce qui est rendu sourd. Tout finit par résonner dans la voix de son héroïne.

En décrivant la journée de Maya, Hadia finit par décrire une conscience de l'humain dans sa diversité. La complexité de son identité. L'ouverture en soi nécessaire pour en saisir encore toutes les richesses (quand le fracas et les éclats criards de nos écrans nous invitent chacun à se renfermer dans nos bulles où chacun est semblable). Elle suggère tout cela. Avec également cette part autobiographique que l'on sent, cette langue qu'elle comprend encore mais qu'elle ne sait plus parler, comme un hommage au pays d'où elle vient, la Syrie, et qu'elle a quitté à six ans.

J'ai surtout retrouvé cette flamme, cette intensité dans son regard, comme ce matin-là dans cette belle vidéo, cette sincérité, cette sensibilité qui transcendait chacun de ses mots.

La prochaine fois qu'on se verra, j'espère qu'on se dira quelques mots.
En arabe.
Lien : http://www.nicolashouguet.co..
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Toutes ces femmes qui sont bien nées, celles qui possèdent cette chance de ne pas avoir été sauvagement découpées avant l’âge de quinze ans, celles-là n’ont jamais été éduquées à leur propre anatomie préservée, ignorant tout de sa toute-puissance. Toutes ces psychanalysées dont les thérapeutes, disciples d’un Freud pour qui le plaisir clitoridien doit disparaître au profit du plaisir vaginal, toute une vie acceptent l’absence d’un doigt ou d’une langue car seul l’appendice masculin pénétrant doit tenir un rôle dans l’acte sexuel. Rôle principal qui, dans sa mégalomanie, est devenu monologue. Laissons faire le dieu pénien, lui seul est tout-puissant, sans sa jouissance, ne l’oublions pas, l’humain ne peut se reproduire. Laissons jouir les hommes pour perpétrer l’espèce, pour le reste, on verra plus tard.
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« Qui sera-t-elle désormais aux yeux des autres, une victime de ses origines ? Être arabe dans un pays qui ne l’est pas doit-il s’accompagner de cette honte qui pousse à occulter ce que l’on est ? Oublier sa langue et ses coutumes pour ne pas gêner les Français ? Ne pourra-t-elle pas simplement arborer ravissement et fierté ? Qui sont-ils, ces arabes qui n’ont pas honte de l’être ? Des esprits dominants qui ne veulent plus être dominés, des croyants fervents aux ambitions démesurées ? Des pur-sang chassant le mécréant, des fanatiques, Des extrémistes ? Des fous de dieu terrorisant l’Occident ? Maya peut-elle espérer, au sein de la société qu’elle a connue jusqu’alors, la société française et ses vieux démons, être aux yeux de l’autre, à l’état brut et sans aucune épithète humiliante, tout simplement, arabe ? »
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Les deux enfants étaient devenues inséparables (…)
Tant qu'ovaires et hypophyses se sentaient tranquilles, les parents de Zina toléraient cette amitié. En fin de CM2, un drame irréversible vint troubler leur union, Zina ovula pour la première fois, son endomètre s'épaissit, pour se désagréger deux semaines plus tard. Zina eut ses premières règles. Zina saigna, son père cria, sa mère la gronda, Zina pleura. Zina, du jour au lendemain, éprouva une gêne épouvantable, la honte profonde de n'être qu'une fille, une fille qui, malgré elle, devenait une femme; son pédiatre un médecin marocain consulté à la hâte après ces premiers saignements, se contenta de lui annoncer qu'à compter d'aujourd'hui elle pourrait être enceinte. Comment, elle ne le savait pas exactement, mais l'idée même de porter un enfant, alors qu'elle en était encore une, la dégoûta instantanément. Son corps lui parut soudain courbe et obscène, renfermant un esprit qui devrait désormais se tenir à carreau. A partir de maintenant, il lui fallut surveiller son accoutrement, et ses accointances.
C'est en observant les bras et les jambes de Zina se vêtir peu à peu que Maya commença à s'intéresser au langage des habits. (…)
Il fallait connaitre Zina depuis un petit moment pour saisir les mécanismes qui, insidieusement, se mettaient en place; il n'était pas ici question d'une caricaturale orientalisation qui cristalliserait les élans phobiques de leurs autres. Aucune femme, dans la famille de Zina, ne se couvrait la tête, d'aucune on ne pouvait deviner l'origine en un simple coup d’œil pour en tirer des conclusions hâtives. Il ne s'agissait pas de devenir arabe, mais simplement convenable. Ce qui frappa le plus Maya, en tout premier, fut l'emprisonnement de l'épaisse chevelure de son amie dans une tresse désormais rituelle, une tresse bien serrée dont aucun cheveu ne dépasse jamais. (…) Zina réglée, il fallait contenir sa féminité, maintenir en captivité ces cascades de boucles qui permirent aux peintres classiques de représenter l'érotisme sans craindre la censure, ou, par leur longueur, cacher la toison du sexe féminin. Bien sûr, on ne verbalisa pas l'aspect suggestif des cheveux longs pour convaincre Zina de ne plus exposer sa féminité. Ce n'est pas du regard des hommes qu'elle devait désormais se protéger, mais d'une épidémie de poux extrêmement virulents, des parasites venus d'Asie dont certains seraient mortels, qui sévissait depuis quelques semaines sur la Côte d'Azur. Sans même s'en rendre compte, Zina commença à éprouver un certain dégoût pour les mèches rebelles, puis, au fil des semaines pour les poils en tout genre. (…) Pour devenir une femme respectable il fallait se débarrasser de tout ce qui fait son animalité. Ne pas provoquer de désir inconscient, ne pas éprouver de désir inconscient, se laver de tout son érotisme. Cet empressement à la désexualisation, qui n'est que le reflet d'une considération ambivalente et hyper précoce du corps féminin, provoquera chez Zina un triple dégoût, de l'amour physique, des hommes dans leur intégralité, d'elle même. Même ses copines prépubères la répugnèrent, leurs corps non épilés lui paraissaient sales, leurs pensées, impures. Un été, lors d'un séjour en colonie de vacances non mixte, elle trouva du réconfort auprès d'une petite camarade issue de la bourgeoisie italienne qui partageait son dégoût; Cosima, héritière d'un empire industriel fondé par son arrière-grand-père, lui raconta comment seules les aisselles de prostituées restaient velues, motif avancé par ses parents pour lui interdire d'écouter les albums de Madonna. Les deux petites filles comprendraient-elles un jour qu'elles furent, malgré elles, éduquées à haïr leur sensualité, leur sensualité, leur féminité ?
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C'est la première fois qu'elle pousse la porte d'un sex-shop. Elle ne veut pas se contraindre à attendre l'existence d'un alibi professionnel pour découvrir ce commerce pornographique assumé qu'elle n'a encore jamais fréquenté. Aucune femme ne devrait avoir besoin d'alibi pour assouvir sa curiosité, partir à la conquête de ses sens, à la recherche de son propre plaisir. Au premier regard, ce qui sidère le plus Maya, c'est la quantité d'objets non phalliques destinés à la jouissance féminine. (…) Les lesbiennes éprouveraient donc du plaisir, et les excisées en sont violemment et définitivement dépossédées.
Maya éprouve une rage soudaine.
Contre elle-même, qui jusqu'à présent ne considérait de l'excision que la barbarie de l'acte d'ablation, réduisant son ignominie à la découpe cruelle et à une lame de rasoir, contre les sociétés qui perpétuent cette sauvagerie. Pour faire taire les femmes d'entre leurs lèvres on sectionne leur langue contrôlé et policé, celle de l'orgasme, puissant et incontrôlable, celle qui transcende les conventions, celle qui rend invulnérable. Si ces femmes orientales et africaines, par centaines de millions, de l'Egypte à l'Indonésie, subissent des mutilations sexuelles, les sociétés occidentales, bien-pensantes et jugeant au loin ces sévices comme des coutumes locales arriérés, insidieusement des années durant, ont fait disparaître le clitoris de la vie des femmes. Aucun manuel de biologie, aucune planche d’anatomie ne décrit avec précision l’organe dont l'unique utilité consiste à apporter du plaisir à celle qui le porte. Toutes ces femmes qui sont bien nées, celles qui possèdent cette chance de ne pas avoir été sauvagement découpées avant l’âge de quinze ans, celles-là n’ont jamais été éduquée: à leur propre anatomie préservée, ignorant tout de sa toute-puissance. Toutes ces psychanalysées dont les thérapeutes, disciples d’un Freud pour qui le plaisir clitoridien doit disparaître au profit du plaisir vaginal, toute une vie acceptent l’absence d’un doigt ou d’une langue car seul l’appendice masculin pénétrant doit tenir un rôle dans l’acte sexuel, Rôle principal qui, dans sa mégalomanie, est devenu monologue. Laissons faire le dieu pénien,lui seul est tout-puissant, sans sa jouissance, ne l'oublions pas, l'humain ne peut se reproduire. Laissons jouir les hommes pour perpétrer l’espèce, pour le reste, on verra plus tard.
Passer en second, parce que la société nous y a éduquées, parce que l'école nous l'a enseigné, abandonner le pouvoir à ceux qui ont un pénis. Contentons-nous de notre petit reliquat phallique, ignorons qu'entre nos jambes se trouve une petite bombe à retardement.
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Si des femmes orientales et africaines, par centaines de millions, de l’Égypte à l’Indonésie, subissent des mutilations sexuelles, les sociétés occidentales, bien-pensantes et jugeant au loin ces sévices comme des coutumes locales arriérées, insidieusement des années durant, ont fait disparaître le clitoris de la vie des femmes. Aucun manuel de biologie, aucune planche d’anatomie ne décrit avec précision l’organe dont l’unique utilité consiste à apporter du plaisir à celle qui le porte.
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Vidéo de Hadia Decharrière
À l'occasion de la 45ème édition du festival "Le livre sur la place" à Nancy, Hadia Decharriere vous présente son ouvrage "Formol" aux éditions Alma. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2887831/hadia-decharriere-formol
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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