Citations sur Le livre des heures (50)
- Marguerite, sois raisonnable, vois les bons auspices qui accueillent ta jeune vie. Le royaume de France est réparé, le commerce reprend, Paris est en paix. On sort dans la rue chaussé de bon cuir, vêtu de bonnes couleurs. Que veux-tu de plus ?
- Peindre. Pourtrayer et figurer moultes hystoyres, répond l'enfant à son grand-père.
- Fichue fille, que n'es-tu née garçon. Va filer la laine ou ourler les draps au coin du feu avec ta mère !
Le livre qui était serré avec les bijoux ou les titres de propriété hier, sera demain laissé à portée de mains, lu, relu, on le partagera, comme un repas, comme on partage l’essentiel.
Mais c'est cet homme qui compte, qui comble la faille, réconcilie le réel et l'impensable. Il est l'homme qui lui correspond. Ses yeux noirs luin parlent, à elle, l'affolée de couleurs, de l'envers et de l'avant, de l'autre versant de la lumière.
L'enlumineur qui travaille à la lumière de l'instant sait jouer des temps longs, sait être patient. Un beau livre d'heures requière jusqu'à huit mois de la vie d'un peintre. Un mariage susceptible de durer la vie vaut bien un peu de patience.
Peur. Peur de l'autre. Peur de soi, de ne pas croire comme il faut croire, de ne pas haïr qui l'on doit . Peur de l'ennemi, connu. Peur fascinée des mondes qu'on ne connaît pas. Hier le remède à la peur?à la mélancolie ? La réponse à tout ? Peindre.
Elle (la couleur) est la marque du puissant, de la cathédrale, du jour du fête et de procession avec ses étendards. L’absence de couleur est signe de pauvreté, d’insignifiance, d’inexistence de mort. La couleur n’est pas l’extraordinaire de Marguerite, elle est l’air qu’elle respire pour tenir.
N’est-ce pas étonnant, parrain, que le jardin d’un Maure ressemble à la représentation du paradis qu’en ont les chrétiens ?
Elle veut que son parrain lui redise la couleur de l’eau du port quand elle rencontre celle du fleuve, celle du fleuve quand elle rencontre la mer, leurs eaux brunes, vertes, bleues et blanches mêlées sous le ciel comme un miroir.
S'ils savaient, tous ces gens qui l'entourent, galants, voisins, son père, sa mère, s'ils savaient qu'un Maure vit parmi eux, au coeur de la Cité, qu'il prépare des onguents dont les femmes s'enduisent avec délectation, des potions dont les grands seigneurs se gargarisent, et jusqu'à l'évêque qui dit que son coeur a arrêté de danser la gaillarde depuis qu'il prend le soir une certaine tisane à base d'aubépine.
Peur. Peur de l'autre. Peur de soi, de ne pas croire comme il faut croire, de ne pas haïr qui l'on doit. Peur de l'ennemi connu. Peur fascinée des mondes qu'on ne connait pas. (p. 150)
Marguerite est assise sur le banc près de son grand-père, le dos au feu. Le vieil homme traduit pour elle ce fameux Libro dell'arte, de Cennini qu'il a rapporté de ses voyages en Italie. Ils s'installen régulièrement ainsi à feuilleter ce livre, si bien qu'à force Marguerite sait le toscan.