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C'est le 1er livre que je lis sur l'après...
La question ne se pose pas. On s'imagine qu'une fois sortis des camps, les survivants ont forcément été heureux, libres... Et pourtant, après cette lecture, on se dit qu'ils ont laissé leur vie là-bas, malgré cette survivance.
Charlotte Delbo sait mettre les mots sur les sentiments, et a pu retranscrire un petit peu du ressenti de ces revenants. Un petit peu car je pense qu'il y a tant de non-dits, de non-possibilité de raconter...
Ces 3 livres Auschwitz et après est un témoignage poignant et indissociable des uns des autres.
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Après avoir lu Charlotte Delbo, je ne peux que m'incliner avec respect et humilité devant le courage et la persévérance de cette femme et ses congénères.

Après avoir lu Charlotte Delbo, mon coeur saigne pour ces millions d'hommes et de femmes qui, du système concentrationnaire, ne sont pas revenus.

Après avoir lu Charlotte Delbo, une question reste et s'ancre de façon térébrante dans mon esprit: Pourquoi? Pourquoi ce génocide? Pourquoi ces persécutions inhumaines? Pourquoi ce système froid et déshumanisé?

Après avoir lu Charlotte Delbo, je réalise l'incommensurable difficulté de recommencer à vivre une fois sorti de l'enfer nazi.

Après avoir lu Charlotte Delbo, je repense à cette inscription dans un block du camp de concentration du Struthof qui interpelle le visiteur et l'incite au silence, à lui qui entre ici dans la maison des morts.

Alors je me tais.
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Une vingtaine d'années après la fin de la guerre, Charlotte Delbo raconte ce qu'a été sa vie depuis son retour de Birkenau et Ravensbrück. Elle donne aussi la parole à ses compagnons de déportation, des femmes en majorité.

Chacune a eu son parcours. Certaines se sont mariées, ont eu des enfants. D'autres ont travaillé.
L'une d'elles dont le mari gagne bien sa vie, ne sort presque plus de chez elle, même en été, pour ne plus jamais avoir froid.
Une autre, après un mariage désastreux qu'elle pensait ne pas mériter après Auschwitz, a quitté la France pour Porto-Rico.
Marie-Louise, elle, semble mener une vie heureuse, dans une maison confortable. Mais quand Charlotte lui rend visite, elle constate que le mari de Marie-Louise connaît tout de ce que sa femme a vécu et qu'il peut même lui souffler les noms ou les détails sur lesquels sa mémoire bute.
Françoise vit « en somnambule » depuis qu'elle a fait ses adieux à son mari, avant qu'il ne soit fusillé au Mont Valérien, avant qu'elle ne soit déportée. Ce qui est également l'histoire de Charlotte Delbo.
Il y a Ida, juive, arrêtée à l'âge de quatorze ans, qui n'a retrouvé ni son père ni sa mère à son retour, et qui fait de temps en temps des crises d'angoisse qui ne préviennent pas et l'obligent à faire des cures de repos.
Marceline, elle aussi, fait chaque année ce qu'elle appelle « son anniversaire de typhus » : fièvre qui l'empêche de sortir de chez elle.

Il y a l'histoire incroyable de Loulou : à son retour, il avait dix-neuf ans, il n'y avait plus personne. L'appartement familial était occupé, et plus rien ne subsistait. Il s'est rapidement retrouvé à la rue. Il a alors été hospitalisé en service psychiatrique, où il a été soigné avec attention. Si bien que guéri, et n'étant attendu par personne, il a obtenu l'autorisation d'y rester. Il a fallu vingt ans à ses anciens compagnons de camp pour le retrouver dans cet hôpital...

Il y a celles qui ont des cauchemars souvent, celle qui a perdu le sommeil à force de ne pas vouloir dormir pour ne plus faire de cauchemars, celle dont la mémoire lui refuse les souvenirs du camp.

Mais toutes parlent de ce dédoublement constant dans lequel elles vivent. En apparence, menant des existences « normales », mais hantées au fond. Ayant perdu le sens de la joie, la capacité à être heureuses. Avec le sentiment d'avancer dans une dimension que personne ne peut concevoir. Personne sauf celles qui ont connu Birkenau ou Ravensbruck.

« En répondant à la question de Jeanne, je mesurais tout ce qui me faisait proche d'elle et des autres camarades. Seule l'une d'elles pouvait se permettre une question aussi directe, seule obtenir que j'y réponde tout droit, sans trouver indiscrète la question (...)
C'est sans doute ce qu'elles veulent dire, mes camarades, quand elles disent qu'elles se trouvent bien entre elles. Entre nous, il n'y a pas d'effort à faire, il n'y a pas de contrainte, pas même celle de la politesse usuelle. Entre nous, nous sommes nous. »

Voilà : quand on a lu ce livre-là, on sait qu'aucune fiction sur le sujet n'est possible.

Les seules personnes qui pourraient parler des camps, de la déportation, de la Shoah, sont celles qui en sont revenues. Mais nos mots n'y suffisent pas. Dans ce livre, Charlotte Delbo et ses compagnes tentent de dire ce qui reste de leur existence, à leur retour. Elles cherchent les mots, les phrases, elles reviennent avec insistance sur ce qu'elles ressentent, mais elles constatent que rien ne peut exprimer ce qui n'a pas de mesure connue. Ce qui fait qu'elles ne redeviennent elles-mêmes qu'entre elles, celles qui ont survécu. La compréhension, elle est là, chacune sait de quoi la mémoire de l'autre est faite, il n'y a qu'elles qui savent et partagent, dans leurs corps, sur leur peau, dans leurs yeux, la blessure indescriptible de chaque souvenir.


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Charlotte Delbo, dans ce dernier volume de "Auschwitz et après" témoigne pour ses compagnes et compagnons.
C'est en lisant "Mesure de nos jours" que je me rends compte que quelque chose est définitivement mort en eux.
A la place, une faille a pris naissance, une faille que rien ne pourra jamais combler, malgré tous leurs efforts.
En cela, les nazis ont gagné, ils les ont intimement détruits.

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« Je suis revenu d'entre les morts
et j'ai cru
que cela me donnait le droit
de parler aux autres
et quand je me suis retrouvée en face d'eux
je n'ai rien eu à leur dire
parce que
j'avais appris
là-bas
qu'on ne peut parler aux autres. »

« Je ne sais pas
Si vous pouvez faire encore
Quelque chose de moi
Si vous avez le courage d'essayer… »

Et voilà…je vais essayer Charlotte, une bien modeste contribution pour faire connaître une oeuvre que l'on aurait aimé ne jamais connaître.
Il y aura, dans mes nombreuses lectures, un avant et un après Charlotte Delbo, un avant et un après « Auschwitz et après » ; il y aura enfin, veuillez m'excuser pour cet étrange galimatias, la confirmation que l'écrit, quelle que soit sa forme (Delbo a également choisi le théâtre et la poésie pour s'exprimer), restera le vecteur le mieux adapté pour témoigner d'une expérience intérieure profonde et personnelle.

L'oeuvre est déclinée en trois partie et, sans dévaloriser les deux premières qui sont difficilement supportables, mais soulignent malgré tout que le pire peut aussi donner naissance à de magnifiques amitiés, à une solidarité époustouflante, à de vrais élans d'amour sans équivoque, ma préférence s'oriente pour la dernière intitulée « Mesure de nos jours », celle plus fictive ou la recherche d'un avenir se fera plurielle, hypothétique et douloureuse.

« Rentrer
c'était déjà demander l'impossible
c'était tout demander
oserait-on demander davantage ? »

Delbo fait parler des déportés – femmes et hommes, véritables ou fictionnels (Marie-Louise, Ida, Gaby, Poupette, Germaine, Denise, Françoise, Marcelline, Loulou, Jacques…), pour décrire des ressentis différents. Cette palette de témoignages, d'une banalité assourdissante et tellement commune possède un point commun, vous l'aurez sombrement deviné, mais possède surtout une humanité exceptionnelle dans la certitude que les « autres », ceux qui n'ont pas vécu l'atrocité, ceux qui n'en sont pas revenus ne pourront jamais comprendre, comprendre non pas ce qui est arrivé mais ce que l'horreur indicible a pu irrémédiablement casser au fonds de ces revenants.

La vie continue ? Oui et non. Oui car elle est plus forte que tout. Non pour de multiples raisons, pour ne pas oublier. Et comment, d'ailleurs, pourrait-on oublier ? Quand le présent nous démontre que tout peut recommencer…

« Quand la révolution viendra
je tirerais mon cerveau
de sa boîte crânienne
et je le secouerai sur la ville
et il en neigera
une neige de poussière
de sale poussière
couleur du temps présent
qui ternira l'écarlate des drapeaux

Et si elle tarde trop
je n'aurai même plus la force d'en faire tant. »
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On se sent très humble ,presque démuni pour commenter ce document.
L'auteur,Charlotte Delbo prête sa voix à celle et à ceux qui sont revenus des camps.
Ce livre parle du retour, de l'après, de la vie d'après.
Et toi,comment as tu fait? Reprendre la vie,comment,pourquoi? Pour qui?,pour la mémoire,pour la liberté, contre l'oubli,contre"on ne le savait pas", "cela n'arrive qu'aux autres" contre tous les racismes, ceux d' hier,ceux d 'aujourd'hui,parler du passé pour demain,transmettre,dire........
C'est une voix poignante ,faite pour être entendue:"Oublier est impossible",
" Je ne suis pas vivante". " le temps ne passe pas,il n'estompe rien, il n'use rien,je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit."
"Pourquoi n'étais - je pas mort là- bas?"
"Même en été j'ai froid ".
Cette écriture simple,dépouillée ,fluide m'a bouleversée.
Avec un détachement apparent ,un naturel désarmant,une infinie sensibilité l'auteur explique que le retour des femmes déportées a été très difficile,le décalage immense entre l'espérance qui les avait soutenues et la réalité.
Ce décalage explique le silence qui a duré des années avant qu'elles souhaitent témoigner de leur épreuve.
Un livre qui ne vous laisse pas indemne de par sa simplicité et sa réalité crue,sans fioritures,un véritable travail de mémoire offert comme une expiation de toutes ces douleurs ,à peine compréhensibles ,pour ceux qui ne l'ont point vécu,un respect total et une grande admiration pour toutes ces femmes et ces hommes là!.
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Cet ultime témoignage nous permet de surtout réfléchir « à l'après ». Comment faire lorsque l'on revient à la civilisation, lorsque l'on revient à la vie ?!

Charlotte Delbo prête sa voix à ses camarades pour nous montrer comment chacune s'est retournée, une fois libérée des camps. Comment peut-on même envisager de vivre, après avoir connu l'horreur la plus totale, c'est sous la forme de court témoignage que l'auteure nous livre un bout de réponse.

En prêtant sa voix, elle nous donne différente façon de faire. Nous sommes toutes différentes et notre rapport à la vie comme à la mort est propre à chacune. Ici nous le découvrons plus que jamais. Certaines ont le besoin de tout raconter et de tout connaître. D'autres s'enfuissent dans l'isolement le plus totale. D'autres vivent à travers leurs enfants, leurs travaux. En résumé chacune tentent de se remettre au mieux dans la vie qui lui est propre.

L'important étant de vivre mais comment faire, lorsque l'on a tout perdu, jusqu'à son humanité : comment se réadapter ? Ce qui est intéressant c'est la manière dont Charlotte Delbo traite le sujet. Elle nous montre bien que le monde lui a continué de tourner et personne ne peut imaginer ce qu'il s'est déroulé. Car les femmes dans les camps coupées de tout, commencent à réaliser que la vie à l'extérieur n'a pas été une partie de plaisir non plus. Et les personnes qui n'ont pas connu les camps veulent comprendre et s'interrogent, presque de manière intempestive …. La curiosité est parfois mal placée.

Cet ultime volet apporte donc une merveilleuse conclusion. Charlotte Delbo a réalisé un travail remarquable sur ces trois textes. Elle nous livre des témoignages bouleversant, et à travers elle, c'est les voix de centaines de femmes déportées qui peuvent se lever et crier leur passé ou choisir de se taire à jamais. Car maintenant qu'elles sont libres, elles peuvent choisir d'oublier ou de livrer leur expérience.

Un texte juste et poignant qui laisse à réfléchir par rapport à notre propre rôle face à ces femmes. Car lorsque nous continuons à vivre comme si de rien n'était, il ne faut pas oublier qu'elles étaient nos mères, nos soeurs, nos amies ou encore nos voisines. Il ne faudra jamais oublier leur mémoire, et grâce à ce bouleversant récit, on nous permet d'ouvrir les yeux et l'esprit face à cette réalité.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
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"Mesure de nos jours" se démarque des deux premiers tomes d' "Auschwitz et après" par le fait que Charlotte Delbo n'est plus la seule narratrice, elle donne ici la parole à d'autres déporté(e)s pour tenter de répondre à la question que tout le monde se pose et n'ose leur demander : "Et toi, comment as-tu fait ?".
Comment ont-ils fait pour survivre là-bas alors que tant d'autres y sont morts ? Pourquoi eux et pas les autres ? Comment ont-ils fait pour reprendre leur vie ? Comment fait-on quand on est mort pour revenir parmi les vivants et redevenir vivant ?
Il y a dans ce livre autant de réponses que de témoignages, mais comme dans le précédent une vérité : ceux qui sont revenus ont vu de la Nature Humaine plus qu'ils n'en auraient jamais dû voir : "Il reste que je connais des êtres plus qu'il n'en faut connaître pour vivre à côté d'eux et qu'il y aura toujours entre eux et moi cette connaissance inutile.".
Chaque personne a vécu son retour d'une façon différente, il y en a qui ont retrouvé leur famille, d'autres pour qui il n'y avait plus personne, certains se sont mariés, ont eu des enfants, d'autres sont restés seuls, certains ont dû être suivi psychologiquement, mais femmes comme hommes aucun n'a pu se réadapter complètement.
Il y avait ceux qui en parlaient et ceux qui se taisaient, d'autres qui les écoutaient et ceux qui refusaient d'admettre que cela ait pu exister.
Presque toutes les personnes déportées qui sont revenues ont gardé contact entre elles, elles partagent un savoir et une connaissance qualifiée d'inutile qui leur permettent de se reconnaître où qu'elles soient et quel que soit le temps écoulé, derrière l'apparence elles se reconnaissent et elles savent : "Il semble que chacune de nous ait un visage - las, usé, figé - et par-dessous ce visage abîmé, un autre visage - éclairé, mobile, celui qui est dans notre mémoire - et, plaqué sur les deux autres, un masque passe-partout, celui qu'elle met pour sortir, pour aller dans la vie, pour aborder les gens, pour prendre part à ce qui se passe autour d'elle, un masque de politesse comme celui que s'ajustent les vendeuses en même temps qu'elles enfilent leur tenue de vendeuses. Sans doute n'y a-t-il que nous qui voyions la vérité de nos camarades, sans doute n'y a-t-il que nous qui voyions leur visage nu par en dessous.".
Tous les témoignages sont bouleversants et illustrent la difficulté de faire partie de ceux qui sont revenus, une forme de culpabilité : "Pourquoi moi et pas elle alors qu'elle était plus forte ?", et surtout l'impossibilité de repartir de zéro, de rebâtir une autre vie : "Refaire sa vie, quelle expression ... S'il y a une chose qu'on ne puisse refaire, une chose qu'on ne puisse recommencer, c'est bien sa vie.", et combien il fut difficile de poursuivre celle qui était restée en suspens pendant un, deux, trois ans voire peut-être plus.
Dans "Mesure de nos jours", il n'est plus question, ou alors par bribes de souvenirs, des conditions de déportation, ce récit s'intéresse à l'Humain, au ressenti le plus profond et à la façon qu'ont eu ceux qui ne l'ont pas vécue d'appréhender ceux qui en sont revenus, au paradoxe qu'il existe entre ceux qui ont gardé leur qualité d'être humain malgré la dureté de la guerre et ceux qui en ont été dépouillés dans les camps de la mort : "Vous direz qu'on peut tout enlever à un être humain, tout sauf sa mémoire. Vous ne savez pas. On lui enlève d'abord sa qualité d'être humain et c'est alors que sa mémoire le quitte. Sa mémoire s'en va par lambeaux, comme des lambeaux de peau brûlée. Qu'ainsi dépouillé il survive, c'est ce que vous ne comprenez pas. C'est ce que je ne sais pas vous expliquer. Enfin, pour les quelques uns qui ont survécu. On nomme miracle l'inexpliqué.".
Il ne faut pas attendre de ce récit des réponses aux questions que l'on se pose, c'est une tentative de réponse, la vision de Charlotte Delbo mais aussi celles d'autres personnes déportées comme elle.
Le titre fait à la fois référence au temps qui paraissait extrêmement long en déportation, de ces journées de travail qui n'en finissaient pas ponctuées de l'appel interminable du matin et du même le soir; mais également du temps qui s'est écoulé depuis leur retour, d'une journée qui n'a plus la même signification temporelle et du temps et des années qui passent qui ne s'écoulent plus de la même façon.
Il ne faut pas y voir une forme d'égoïsme, ces personnes sont revenues brisées physiquement et psychologiquement, elles font en quelque sorte semblant d'être comme tout le monde mais entre elles elles ne se mentent pas et ne se cachent pas, elles peuvent se permettre de se dire des choses qu'elles n'oseraient pas avec d'autres : "Seule l'une d'elles pouvait se permettre une question aussi directe, seule obtenir que j'y réponde tout droit, sans trouver indiscrète la question.".
Il existe de nombreux témoignages sur la déportation, l'oeuvre de Charlotte Delbo a le mérite de s'attacher également à raconter le retour et l'extrême difficulté de reprendre une vie et de se fondre à nouveau dans la masse.
Comme pour les deux précédents tomes, le style de Charlotte Delbo mêle réalité crue et poésie, donnant ainsi une beauté à ce récit pourtant cruel, barbare, en un mot horrible.

"Auschwitz et après" forme avec ses trois tomes un tout indissociable, un témoignage bouleversant et fort qui fait toucher au lecteur la vérité.
Ce récit, outre son caractère de témoignage sacré, a eu le mérite de me permettre de me rendre compte d'une chose : j'aurai beau lire tout ou presque ce qui existe sur ce sujet, jamais je n'arriverai à comprendre et à réaliser pleinement ce que la déportation a été et finalement, je crois que je n'ai pas envie de la connaître cette connaissance qualifiée par Charlotte Delbo d'inutile.
Par contre, j'ai toujours envie d'apprendre cette connaissance utile qui ressort de témoignages comme celui de Charlotte Delbo, c'est pourquoi je continuerai d'en lire et que je garderai précieusement à portée de main les trois tomes composant "Auschwitz et après".
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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Barbelés des mots

Charlotte Delbo (1913-1985) fut l'assistante de Louis Jouvet avant-guerre. Résistante avec son mari durant l'Occupation, ils furent arrêtés tous deux. Lui fusillé, elle déportée pour Auschwitz-Birkenau. Comment dire cela ? par quelle langue noire faire l'énoncé d'une telle atrocité ? Comme si c'était aussi simple, comme si ce fait était égal aux autres – alors que rien jamais ne pourra justifier de telles horreurs.
Vers la fin de la guerre, elle fut changée de camp. Sa nouvelle destination, à peine moins sinistre que la précédente : Ravensbrück.

À la libération du camp, elle reprendra son activité théâtrale aux côtés de Louis Jouvet. Des 230 femmes parties avec elle dans le convoi de Compiègne pour Auschwitz, seules 49 d'entre elles reviendront ; seules ces quelques femmes auront pu passer – mais à quel prix ! –, entre les griffes du massacre sans nom. Et pour quel retour ? Pour quelle vie ? Y a-t-il seulement une vie possible après ce là-bas, après cet enfer terrestre ?
Ce n'est qu'au tout début des années 70 que Charlotte Delbo décidera de faire publier son amère trilogie déchirante : Auschwitz et après.

D'un tel témoignage on ne ressort pas. Car lire de tout son être, c'est entrer nu dans la chair vivante du silence. Mais ici, dans la plaie de cet ouvrage, le silence est un squelette décharné qui claque au vent : drapeau de chair déchirée. On entre dans ce livre comme dans la peau morte d'un serpent – avec pour seul habit, la squame rayée des déportées. On pénètre dans le froid terrible des appels qui durent toute la nuit pour ces fantômes de femmes qui ne savent plus ce que c'est que le jour, qui n'ont que la lumière crue et maladive des lampes électriques pour tout soleil ; on sent la diarrhée qui colle aux jambes amaigries, desséchées de leur pulpe vitale ; on éprouve la soif tenace, l'absence de salive qui vous fait la bouche comme un gros ballon de colle ; on perçoit l'immonde cacophonie de hurlements rauques, de voix hystériques. Oui, “la mort est un maître venu d'Allemagne” ainsi que l'écrivait Paul Celan dans son Todesfuge, sa Fugue de mort.

Que celui qui ne craint pas d'être bouleversé – ébranlé au plus profond de lui-même – ; que celui-là seul ose donc s'aventurer dans cette oeuvre. Si des lambeaux de son coeur restent accrochés dans les barbelés des mots, c'est que sa lecture n'aura pas été vaine.

Comme le disait le Christ à la Bienheureuse Angèle de Foligno dans ses visions extatiques : « Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée !... »
Et ce n'est pas non plus pour rire que Charlotte Delbo a témoigné.
Puisque notre société est devenue celle du “rire” sur commande – qui est d'ailleurs tout sauf le rire franc et sincère de la joie –, que chaque ricaneur insipide se le tienne pour dit et passe son chemin !

En p. 69 de l'ouvrage, ce poème bouleversant :

"Ce poète qui nous avait promis des roses
Il y aurait des roses
sur notre chemin
quand nous reviendrions
avait-il dit.
Des roses
le chemin était âpre et sec
quand nous sommes revenus
Le poète aurait menti ?
Non
Les poètes voient au-delà des choses
et celui-ci avait double-vue
si de roses
il n'y a pas eu
c'est que nous ne sommes pas revenus
et de plus
pourquoi des roses
nous n'avions pas tant d'exigence
c'est de l'amour qu'il nous aurait fallu
si nous étions revenus."

© Thibault Marconnet
18/04/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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l'auteure retrouve des "camarades d'internement" 2 ans après la libération. Poignant, émouvant, fort. Personne n'en revient en totalité, chacune a laissé une partie d'elle même en camp, ce qui fait qu'aucune d'entre elles ne peut revivre pleinement dans la vie normale.
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