Le tournage de mes films sur la Danse depuis quarante ans, c'est une tentative de mainmise sur le temps qui passe. Je pensais obscurément que le pollen qu'y ont laissé les danseurs serait plus tard un viatique pour d'autres danseurs et pour quelques fous de Danse dans mon genre, en appétit de beauté. Cette beauté-là, celle des danseurs, n'a rien d'ornemental. Elle est nourriture. C'est la Beauté qui, selon Dostoïevski, sauvera le monde.
Après avoir glorifié la Danseuse (Le Spectre, 1959), puis le Couple (L'Adage, 1964), je voulais me consacrer à l'art du Danseur. Patrick Dupond devait être le héros incontournable de ce volet. Il irradiait sur la scène de l'Opéra depuis que je l'avais vu simplement parcourir le plateau comme un ange dans le court rôle que lui avait bâti Roland Petit dans Nana. Il avait l'air d'un faon traversant une clairière. Il avait dix-sept ans; une traînée de lumière suivait ses pas. Il était phosphorescent.