Quand j'ai découvert ce chef d'oeuvre tourmenté, j'étais adolescent et j'étais un peu effrayé de ressembler au prince Mychkine.
Avec tous les gens qu'il rencontre, au premier abord il parait idiot, mais rapidement il marque les esprits par sa manière de comprendre les autres d'un point de vue supérieur. Son problème n'est pas de plaire mais de pouvoir s'intégrer à la société qui rejette toujours la différence. Dans ce roman, maelström psychologique avec un grouillement de personnages de toutes conditions sociales et morales, on suit les amours du prince pour deux femmes, chacune exceptionnellement belle : Nastassia Filippovna et Aglaïa Ivanovna. L'amour noble et sincère du prince va les fasciner mais tout cela finira sur une double tragédie. La belle et généreuse compassion du prince basée sur la compréhension consciente, intime, des êtres va être confrontée à l'amour égoïste, possessif et inconscient qui en est le simulacre dans nos sociétés. le prince comprend tout des êtres et rien de la société.
Avec la belle, éclatante, mais si enfantine Aglaïa Ivanovna, il va d'échecs en incompréhensions des codes qui régissent son milieu. Elle a beau se moquer, parler de lui comme du «pauvre chevalier», le prince ne s'adapte pas et plusieurs scandales suivent. Après la catastrophe où elle veut le disputer à sa rivale Nastassia Filippovna, elle le perdra et perdra son âme dans un mariage avec un escroc.
L'amour n'est-il pas tué par la société?
Cette Nastassia Filippovna, victime, abusée dans son enfance, le prince lui offre la rémission de son humiliation en lui donnant son amour compassion. Mais, là aussi il y a erreur, il va être involontairement le rival de… Son double, le sombre Rogojine qui a pour elle une passion brutale, égocentrique, possessive et sans limite.
L'amour passion une impasse aussi?
Mais revenons à la pureté, à la naïveté du prince; Pour lui, la beauté, la perfection ne serait que le signe de l'Amour… de Dieu? Étrange pensée. Dieu nous l'enverrait pour nous donner la compensation de la souffrance qu'il y a dans la vie et nous permettre d'aimer. Peut-être? Mais rien n'est facile, la beauté nous déséquilibre par sa force et par sa puissance. Si cela avait un sens, elle devrait nous forcer à retrouver un nouvel équilibre qui nous élèverait, mais qui en est capable. le prince est déséquilibré par la beauté de Nastassia Filippovna et elle, est déstabilisée par sa bonté.
Ainsi L'amour compassion serait aussi un impossible?
Une vision a inspiré «
L'Idiot» à
Dostoïevski, c'est le tableau d'Holbein : le Christ mort, qu'il a vu à Bâle. Il a dit et reprit dans «
L'Idiot» que ce tableau pourrait faire perdre la Foi. Parce que le Christ doit être beau… Comme celui de la Piéta de Michelangelo. Beauté et Bonté doivent être miroir l'une de l'autre sinon l'Amour est une illusion? Telle semble être la douloureuse vérité que crie le roman. Et si le Christ est vraiment mort, c'est-à-dire un cadavre? Pas de Beauté, rien que déréliction, et alors encore moins de Bonté… et d'Amour? L'Amour ne meurt-il pas avec la mort de Dieu? C'est Rogojine l'athée, celui qui a tué Dieu dans son coeur qui accomplit dans le roman le meurtre de l'Amour, celui de la pure compassion, celle du prince pour Nastassia Filippovna.
Le prince a-t-il échoué? Son échec répéterait celui du Christ? Définitivement pas d'amour, ni divin, ni humain? Arrivé à ce stade, devant ce constat tragique, il faut faire peser dans la balance ces pages inoubliables où
Dostoïevski parle de la transcendance de l'acmé de la crise épileptique, de la sidération du condamné gracié, de l'intensité de l'action de grâce de l'humilié à qui l'on a tendu la main, de la sincérité et la profondeur de l'âme enfantine. Ces pages qui décrivent l'extase de l'abolition du temps semblent promettre la résurrection hic et nunc dans ce monde!
Alors l'amour… Y croire, parce que c'est absurde?