Voilà ce qu'écrit Goya dans ce journal imaginaire qui sert de trame à ce nouveau volume qui vient rejoindre la série très réussie "le roman d'un chef d'oeuvre"
"Voici à peu près ce qu'il s'est passé.
Tout a commencé le 2 mai, au petit matin, lorsque le peuple a appris que Napoléon avait donné l'ordre d'évacuer les derniers membres de la famille royale vers Bayonne où ils sont tous rassemblés. Cela fait un mois, en effet, qu'il a « invité » en sa résidence basque Godoy,
Marie-Louise et Charles IV pour négocier la succession du roi. Et Ferdinand, alléché par le pouvoir, a fini par venir, lui aussi, en espérant tirer le meilleur parti du partage du gâteau. C'est de l'Espagne qu'il s'agit ! Il a été évidemment retenu prisonnier : pauvres imbéciles qui pensent que l'ogre français ne veut pas régner seul dans le pays. Bref, qu'ils s'entre-déchirent, pourquoi pas. Bon débarras, même… nous connaîtrons bien assez tôt le nouveau maître de l'Espagne. Et nous avons compris hier qu'il ne parlera pas castillan.
Or, pour prendre le pouvoir, il ne faut plus d'héritier légitime en Espagne. Donc Napoléon a mandé
Marie-Louise et François de Paule, les deux derniers infants présents à Madrid. Il a recommandé la discrétion mais voilà que le petit prince résiste au moment de monter dans son carrosse ! Il éclate en pleurs et crie qu'il ne veut pas quitter son pays. Il hurle tant et si bien qu'il attire l'attention des domestiques et du petit peuple qui passe derrière les grilles du palais. Une femme proteste qu'on enlève François de Paule et on entoure la calèche. On retient l'enfant. le ton monte avec la garde qui prend peur et tire sur la foule. Aussitôt, tous se dispersent et appellent à la révolte dans les rues alentour. En quelques minutes, Madrid s'embrase et le peuple déchaîné s'attaque à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un Français. Les mamelouks de Murat, qui défilaient depuis quelques jours en ville, chargent la foule qui, armée de couteaux, de piques et de fusils, leur résiste âprement. Les cavaliers sont pris en étau par la populace enragée qui coupe les jarrets des montures, jette à terre les soldats et égorge, transperce, en un mot massacre l'étranger. le sang coule bientôt dans tout Madrid car le peuple ivre de rage traque les soldats en fuite, fouille les maisons et finit même par tuer des Espagnols soupçonnés d'être favorables aux Français. Rien ne semble avoir été prémédité. Hier encore, les Madrilènes saluaient bas Murat et ses troupes ! Mais une étincelle, un cri d'enfant a allumé l'incendie et a libéré une immense colère aveugle et sauvage.
Hélas, Murat a vite réagi en mobilisant les dix mille hommes qui stationnaient dans la capitale et tout autour…
Le jour qui a suivi, le 3 mai, hier, est celui de la passion du peuple madrilène et du pays tout entier. C'est aussi la déclaration de la guerre entre les Français et nous. Avec méthode, Murat a organisé une répression abominable. Quartier par quartier, rue par rue, maison par maison, ses hommes ont tout ratissé, traqué les insurgés jusque dans les caves et les greniers et quand ils les ont trouvés… certains ont été, dit-on, jugés, mais la plupart ont été exécutés sur place ! Toute personne qui portait un couteau sur elle était coupable. Ceux des insurgés qui s'étaient réfugiés autour de la Puerta del Sol et des églises, ceux qui avaient tenté de sortir de la ville ont été acculés par les Français et fusillés en masse. Par fournées, les hommes attendaient la mort et leurs corps tombaient sur ceux encore chauds et sanglants de leurs camarades tués quelques minutes plus tôt ! Ils ont tous vu la mort des autres avant d'affronter la leur ! Comment est-ce possible ? Comment des hommes ont-ils pu faire cela à des hommes, des frères ? Des ruisseaux de sang baignaient la terre, les prêtres priaient, suppliaient, pleuraient. En vain ! Les barbares ont fait leur office monstrueux jusqu'au petit matin, éclairés par de sordides lanternes. Les fusils ne se sont tus qu'à l'aube, lorsqu'il ne resta plus aucun rebelle vivant.
Murat a écrasé l'insurrection mais on dit que l'alcalde de Móstoles a paru sur le balcon de la mairie et a déclaré la guerre. Jamais le 3 mai ne sera oublié et déjà, dans toute l'Espagne, la colère s'étend comme une traînée de poudre. La révolte a déjà gagné Oviedo et Valence, elle descend vers l'Andalousie…
Ce matin, avec les insurgés du 3 mai c'est la paix qui a été exécutée.
[...] Je tourne dans mon atelier comme un lion en cage. Moratín m'a dit qu'il faudrait peindre tout cela. Mais comment oser prendre encore un crayon face à un tel massacre ? Comment colorer une toile quand la nuit tombe sur l'Espagne ?
Faudra-t-il que je trempe mon pinceau dans le sang ? "
On connaît ces 2 tableaux" Dos de mayo" et surtout le "Tres de mayo". Ces deux tableaux considérés aujourd'hui comme les plus célèbres de Goya. Mais leur histoire surtout celle du second est moins connue.
Et c'est ce mystère que nous propose de remonter l'auteur.
Et c'est une réussite, utilisant comme vecteur un journal intime imaginaire.
On y retrouve les angoisses du peintre, les choix picturaux qu'il s'apprête à faire
Un tableau pratiquement sans horizon, mais tout en horizontalité,
Un tableau sombre mais pas sans éclat tel celui de la chemise blanche ou celui de la lanterne ;
Un tableau dont les trois personnages symbolisant la révolte, la prière et le sacrifice s'abîmeront dans le sang.
"C'est l'Espagne qui est exécutée en jaune, noir et rouge."
Cela se lit très vite, on découvre où redécouvre l'oeuvre de Goya, car au-delà de ces 2 tableaux les livres de cette collection nous poussent à en apprendre plus sur les artistes, leurs oeuvres et les contextes dans lesquels chacun est né.