L'idée du veuvage ne m'a jamais effrayé. Au contraire. Il m'est même arrivé d'envisager la viduité sous la forme d'une renaissance. D'abord le chagrin purificateur, ensuite le regain des sentiments d'indépendance, et enfin le retrait radical dans une nouvelle existence solitaire et sauvage.
-Ce sont donc ces dents-là qui ont mutilé, que dis-je? déchiqueté ce cher Magnus Munthe? C'est avec ces canines ébréchées que vous l'avez mis en pièces! J'ai peine à le croire. A la description que l'on m'a faite de ses blessures, je m'attendais au moins à découvrir la mâchoire d'un homme-loup ou d'un mastiff. Et qu'est-ce que je vois? Une dentition de passereau. C'est encore plus drôle. Permettez-moi de vous serrer la main, cher ami. En vous attaquant à ce faisan, vous avez rendu un fier service à la profession.
Pareilles à des flocons, mes pensées se déposent doucement au fond de mon esprit.
Il est évident que la vie que je mène ne conduit nulle part. Je n'ai nul besoin de consulter pour savoir cela. Pour m'en convaincre, il me suffit, ce matin, de regarder ma tête dans une glace.
Seule dans la salle de bains, assise en peignoir sur le rebord de la baignoire, Anna était submergée de doutes. Samuel était-il en train de perdre la tête, ou bien jouait-il simplement à un jeu pervers ? Comment pouvait-il déchiqueter un dentiste innocent et quasiment flirter avec son amant ? Avait-il acheté l'arme pour en faire usage, ou bien n'était-ce qu'un simple élément décoratif dans son jeu macabre ? Fallait-il le contraindre à s'expliquer sur tout cela, ou, au contraire, privilégier le silence et s'en remettre aux capacités anesthésiantes et curatives du temps ?
J'ai fort peu de rapports avec ma femme et mes trois enfants. Il me semble que nous ne partageons plus la même existence, que nous n'avons aucun avenir en commun. Il y a bien longtemps que nous ne formons plus ce que l'on appelle une famille. Au fil des années, nos sentiments se sont délités, et nous sommes éloignés les uns des autres sans pour autant avoir la lucidité ou le courage de nous séparer.
Un romancier n'a jamais été pour moi autre chose que le résultat d'un croisement hybride entre un grammairien et un concessionnaire Toyota.
En tout cas, ce fameux soir, après ton départ, je suis entré dans ta chambre, je me suis assis sur le rebord de ton lit et j'ai promené mon regard sur toutes les étagères de cette pièce vide. A mesure que je revivais ce passé, les larmes me montaient aux yeux, car je comprenais que, pour moi, une époque magnifique prenait fin. je mesurais combien avaient été précieuses toutes ces années durant lesquelles tu avais grandi auprès de moi. Lorsque j'ai quitté ta pièce, j'ai ressenti pour la première fois peser sur mes épaules tout le poids de la vieillesse.
En revanche, une évidence s'imposait à moi : je ne me rappelais rien de la prime jeunesse de mes propres enfants, sinon les avoir élevés en me tenant aux règles communément admises en matière d'hygiène et d'affection
Il est évident que la vie que je mène ne conduit nulle part. Je n'ai nul besoin de consulter pour savoir cela. Pour m'en convaincre, il me suffit ce matin, de regarder ma tête dans une glace