AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,69

sur 209 notes
5
25 avis
4
20 avis
3
7 avis
2
0 avis
1
1 avis
Quel prologue, époustouflant, qui place le lecteur dans l'intensité d'une tragédie antique ! Paul Sorensen, la cinquantaine, vient d'être arrêté pour avoir abattu son père post-mortem dans une morgue. Il présente son destin comme marqué par la mort, né d'une mère décédée en couches en même temps que son frère jumeau.

« Chacun de mes anniversaires commémore la mort de Marta et de mon frère. L'origine des larmes se trouve là, au fond du ventre de ma mère. Ce ventre dont je n'aurais jamais dû sortir. Ce ventre qui aurait dû m'ensevelir au côté de mon frère. Ce ventre qui m'a expulsé au dernier moment vers la vie sans que je ne demande rien ni que je sache pourquoi. de l'air est entré dans mes poumons pour la première fois au moment même où leurs coeurs ont arrêté de battre. »

Suite à son procès pour atteinte à l'intégrité d'un cadavre, il écope d'une année de prison avec sursis et d'une prise en charge médico-psychologique obligatoire pendant un an : une séance par mois, un sujet par mois.

Au départ, l'intérêt est happé par le personnage du père. On attend avec impatience le réquisitoire de Paul pour comprendre son geste inouï. Jean-Paul Dubois évacue rapidement cette attente car on comprend vite que le père incarne toute la sauvagerie et la violence du monde. Ce personnage est tellement outré, monstrueux dans ses actes et paroles, totalement impardonnable, qu'il en devient presque irréel, mais sa présence hante tout le récit par l'impact qu'il a eu sur la vie Paul.

La construction narrative est faussement simple. Douze chapitres, un par mois, un par séance, un sujet par séance, pour savoir si Paul va réussir à se décharger du fardeau de son existence et sortir du trou noir de la haine que lui inspire son père. Ce qui a aimanté ma lecture, c'est le portrait désespéré de Paul, un homme profondément seul, raconté par moultes digressions brillantes qui dessinent la réalité d'une vie fracassée et inconsolée ( « cet homme est entré dans ma tête, il y vit en ne laissant que désordre derrière lui. Il entre, sort, fait ce qu'il veut, n'importe quand, n'importe où. Même quand il n'était pas là, on l'avait en nous, comme une amibe, un parasite mental. »

La maitrise narrative de cette introspection labyrinthique est admirable, des détails inattendus venant faire écho à d'autres, de façon encore plus inattendue, autant de contre-poisons au venin paternel : le peintre coréen Kim Tschang-yeul, l'ancien secrétaire général de Nations Unies Dag Hammarskjöld, le moine néerlandais Thomas a Kempis entre autres. En filigrane, une réflexion bouleversante sur la mémoire se déploie, sur les mécanismes des souvenirs et de la perte. On n'échappe pas à sa mémoire.

C'est sans doute le roman le plus sombre de Jean-Paul Dubois, baigné dans une pluie perpétuelle quasi dystopique ( nous sommes en 2031 ) et pourtant, il y a bien une juste dose d'humanité qui vient, malgré tout, éclairer le noir de l'ensemble, accompagnée d'une tendresse parfois teintée de burlesque : le logiciel d'I.A. avec lequel discute Paul, si civilisé et courtois ; l'amour d'une mère adoptive ( inoubliable scène des jouets pris en photo ) ; la relation avec le génial psychiatre ( il souffre d'une maladie de l'oeil provocant un larmoiement continu qui l'oblige à sortir de son cabinet pour se mettre du collyre, de peur que ses patients pensent qu'il pleure à cause de ce qu'ils lui racontent ) et ses compagnons chiens.

« Wats avait la particularité, quand il était sec, d'avoir un pelage qui gonflait et magnifiait une stature. En revanche, une fois mouillée, sa toison s'effilochait misérablement, lui donnant l'apparence d'un gros rat. Il avait aussi de tout petits os, des pattes effilées comme des talons hauts et un museau aussi pointu qu'un pic à glace. J'avais donc deux chiens. L'un, sec, une vraie merveille. L'autre, mouillé, une totale affliction. Wats avait aussi cet étrange besoin, en voiture, de mettre son museau à la portière et de demeurer dans cette position, sans broncher, même au-delà des cent trente kilomètres-heures réglementaires. le vent plaquant les poils sur son museau déformait ses babines, lui donnant un visage effrayant, à tel point que j'avais honte de doubler un véhicule. »

Dubois est un des rares auteurs français à savoir manier avec autant d'élégance et d'intelligence tragédie et comédie. Il compose ici un roman d'une noirceur drolatique qui émeut autant qu'il désole.
Commenter  J’apprécie          12112
Passer entre les gouttes.
Sortez les bottes et les parapluies, il n'est question que de flotte dans le dernier roman de Jean-Paul Dubois. Risque de submersion.
En 2031, il pleut sans discontinuer sur Toulouse depuis plusieurs mois. La Garonne est en crue qui l'eut cru ?
Paul Sorensen vient de faire un aller-retour au Canada, non pas à cause de la météo, ni parce qu'il y a toujours une escale à l'érable pour Caribous mal lunés dans les romans du Goncourisé, mais pour rendre un dernier hommage à son défunt père, en… lui tirant deux balles dans la tête. Est-ce un crime de flinguer un cadavre ? Avis aux passionnés de la jurisprudence des prétoires de la pétoire.
« Tu ne tueras point ton prochain ». Au Sinaï aïe, pas de trace après ce commandement d'un post scriptum du genre « … surtout s'il est déjà mort ». La justice est bien ennuyée pour qualifier l'acte et Paul Sorensen, fabricant de housses mortuaires de son état, est condamné à suivre une thérapie pendant un an auprès d'un psy qui a toujours la larme à l'oeil.
Le roman décrit le contenu des séances mensuelles chez ce garagiste de l'inconscient et le récit fait l'étalage des névroses et traumatismes qui permettent de comprendre ce geste insensé. le père, ordure non recyclable, escroc, manipulateur, égoïste a tout pour déplaire. Mauvais père, mauvais mari, mauvais associé, bon à rien, mauvais en tout.
L'humour de Dubois permet d'éviter la noyade dans cet océan lacrymal bien sombre et je n'ai pas eu besoin de sortir ma bouée Canard, anneau de natation que je porte pourtant avec beaucoup d'élégance.
Ce roman pluvieux, qui ravirait Evelyne Dhélia, toujours en dépression en l'absence de dépressions, draine en arrière-plan un thème cher à cet auteur, celui de la solitude qui m'a particulièrement ému. A travers son personnage en carence d'affectation, prêt à se bercer d'illusions en Scandinavie sur les traces d'un grand-père (ancien secrétaire général des Nations Unies), ou son attachement à un chien mystérieux sur les plages de la Côte Basque, le récit souligne que les racines infantiles du sentiment de solitude sont incolores mais qu'elles ne disparaissent pas avec les cheveux blancs. La solitude s'apprivoise mais le solitaire ne se laisse pas apprivoiser.
Comme souvent avec cet écrivain fataliste, j'ai vu que les avis étaient partagés sur ce roman qui n'a rien de pleurnichard. Pour ma part, je n'ai pas eu besoin de sortir les rames et j'apprécie toujours autant la forme de connivence que le style de Jean-Paul Dubois instaure avec le lecteur que je suis. Ses histoires, légères ou sombres, me parlent, ses personnages renfermés me sont familiers. Et puis étant Toulousain, je suis aussi forcément un peu chauvin.
Livre offert par un rayon de soleil qui n'a pas la larme facile.
Commenter  J’apprécie          1059
Du Réel.

Jean-Paul Dubois fait partie de ces auteurs dont j'ai lu tous les ouvrages et dont j'ai tout aimé. Ou presque. Il y a « Hommes entre eux », par exemple, qui rentre dans ce que j'appelle pompeusement les périodes « off ».
L'Origines des larmes en fait indéniablement partie.
Je tiens à présenter par avance mes excuses pour le ton pompeux, légèrement ampoulé de ce petit billet sur lequel le nouveau style de mon cher auteur a déteint.
Je ne m'y attendais pas, il m'a pris par surprise. Il faut parfois un peu de temps pour rentrer dans un Dubois. Mais tout de même, là il a fallu de je retrouve mon Dictionnaire des mots rares et précieux !! Jugez vous-même:
Chancissure, cryptogamique, controuvé, ergastule, érubescence, aristarque, épiphora, conjonctivochalasis, baltique, péricaryon, tronies, empyreume, enbata, galerne, acide ursodésoxycholique etc.
Voilà par exemple pour les mots. Mais il faut aussi compter sur l'érudition des références :
Samuel Taylor Coleridge, Thomas a Kempis (connu pour un livre surprenant intitulé L'Imitation de Jésus-Christ) , Arnaud d'Amaury, Salomon van Ruysdael (peintre flamand du fameux Après la pluie) , Dag Hammarskjöld, Bo Besko, Kim Tschang-Yeul (l'homme qui peint des gouttes d'eau et dont le musée est sur l'île de Jeju, au sud de la Corée du Sud, où j'ai eu la chance d'aller) et tout est à l'avenant.

Et si c'est pour le moins déconcertant, il faut dire qu'on s'y fait rapidement en épousant la personnalité de notre anti-héros, Paul Sorensen.
Vous le savez peut-être, il y a des récurrences dans l'oeuvre de Dubois : les personnages principaux se nomment Paul ou Jean-Paul, on y rencontre des chiens et des avions et même assez souvent des tondeuses à gazon…

Paul est né en 1980. Sa mère et son jumeau n'ont pas survécu à sa naissance. Il a été élevé à…Toulouse (évidemment!) par le pervers, l'odieux, l'abominable Lanski, son géniteur. Mais aussi par l'aimable Rebecca, sa mère adoptive. Marta, la mère biologique, lui lègue ...son patronyme.
L'action se déroule en 2031. Après une longue période de sécheresse, il pleut continuellement depuis deux ans. Paul a repris l'entreprise de Rebecca à la mort de celle-ci et vend des housses mortuaires très haut de gamme. L'entreprise, Stamentum, se porte à merveille en ces périodes troubles.
Mais voilà, Paul est jugé pour avoir tiré deux balles dans la tête de son père déjà mort et gisant à la morgue.
Il sera condamné à une obligation de soins : pendant un an, il devra être suivi par un psychiatre pour cet étrange parricide.
L'action (si l'on peut dire, il ne se passe pas grand chose…) peut se dérouler tranquillement .
Au fil des quatorze séances, Paul va se confier plus ou moins aimablement au Dr Frédéric Guzman qui souffre, lui, d'un sévère épiphora : son oeil droit pleure, pleure sans arrêt.

Ce livre est une réflexion puissante et, comme toujours chez l'auteur, drôle et désabusée, sur…l'origine des larmes.
Il y aura beaucoup d'eau, on y parlera beaucoup de la mort mais le vrai sujet est ailleurs, bien sûr. Ce livre est une aimable dissertation sur le réel. Mine de rien. Aux détours de toutes ces histoires d'intelligence artificielle, de maladies à prions, de photos de jouets et de l'incroyable chien Watson. L'épisode le concernant est un petit morceau d'anthologie, extrêmement drôle, sans doute le meilleur moment du livre.
Il y sera beaucoup question de Nom du Père à partir de l'abominable Thomas Lanski à la fois omniprésent et forclos, doublement forclos, on le comprendra lors de ces fameuses séances. La relation qui va s'installer entre Guzman et Paul aura de quoi surprendre !
Je disais donc le réel ou le Réel, comme vous voudrez, qui fait dire à Paul, retournant l'aphorisme : « Pourquoi y-a t'il Rien plutôt que quelque chose ? »

Je ressors songeur de ce livre mélancolique, vous laissant mes impressions à chaud. S'il n'a rien à voir avec « Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon » qui lui a valu le Goncourt 2019, ce n'est pas pour autan un livre d'intello. Un peu quand même. Disons d'intello semi-dépressif alors. Mais parfaitement abordable, dès lors qu'on aura compris qu'il s'agit de second degré !

Mais bon, ne boudons pas notre plaisir!
Dubois tisse une oeuvre aussi déroutante que passionnante, en dehors des chemins battus, et bientôt en alerte submersion permanente…

Commenter  J’apprécie          7351
Le plus américain des auteurs français nous livre une sorte d'anti-Portnoy sous la forme de confessions à un psy d'un homme pas vraiment obsédé sexuel comme le personnage de Roth, mais plutôt un homme futuriste et anesthésié du désir, un anonyme du sexe qui bavarde de préférence avec une intelligence artificielle dénommée U.No. C'est la justice qui l'oblige à ouvrir la porte à l'interaction thérapeutique – en l'occurrence un psychiatre malade de son oeil qui pleure sans cesse, car Paul avait essayé sa propre voie de guérison : tuer le père, deux fois plutôt qu'une, lui mettre deux balles dans la tête. Un meurtre qui n'en est pas tout à fait un, une sorte de nouveau crime parfait, sûrement pour se libérer et sans le savoir désamorcer la peine ferme, étant donné qu'aux yeux de la justice Paul avait connaissance de l'état préalable de cadavre du père à la morgue, avant de l'occire à nouveau.
Un Paul. Un de plus pourrait-on croire. Mais à l'allure peut-être plus allégorique cette fois. On est en 2031 du côté de Toulouse, les crues bouillonnantes de la Garonne ont succédé à la sècheresse, et Paul Le narrateur connaît l'origine de ses larmes dans la pluie qui tombe à verse, à moins que ça soit plus simplement l'humanité qui pleure. Une hypermnésie inexpliquée de sa naissance lui fait savoir depuis toujours qu'il est né avec un trou en lui en ce 20 février 1980 (30 ans après l'auteur), en ayant perdu par la même occasion son frère jumeau et sa mère. Une vie en échange de deux autres. Pas vraiment étonnant qu'il ait eu besoin 51 ans plus tard de faire des trous dans la tête de son géniteur pervers, celui-là même qui lui offrit pour son sixième anniversaire un canari dont il avait arraché la tête avec ses dents. En plus de la pluie, c'est bien la mort qui trainera ainsi ses guêtres au fil de cette légère dystopie toulousaine, elle s'inscrit en lignée funeste dans la vie de Paul : « Dans notre famille, et dans l'entreprise Stramentum qu'elle dirige, il faut bien convenir que la mort est sans conteste notre égérie, notre actionnaire principale, que je suis le fade héritier de cette firme macabre et très certainement, aussi, le continuateur de la sombre génétique qui l'inspire. »

Jean-Paul Dubois est connu pour ses habitudes – notamment ses personnages de Paul, les tondeuses, les chiens ou les voitures, le fait d'écrire ses romans en un mois – il se reconnaît entre mille dans son art de planter un décor saugrenu pour dérouler le fil d'une prose savoureuse, désenchantée, ironique. Les habitués pourront être surpris ici avec cet écart à peine futuriste qui flaire notre société pour visiter la solitude, la névrose, la perversion ou la crise écologique, mais ils retrouveront leur Paul, pas tout à fait comme les autres, qui semble mêler ses larmes à la pluie incessante d'un dérèglement généralisé. Tout cela rythmé par les sessions mensuelles avec le psy, et l'occasion pour l'auteur de greffer à la vie de Paul nombre de sujets et de réflexions parfois érudites, comme un état de sa mémoire activée par son travail ramassé sur un mois.
Voilà en tout les cas le nième roman d'un auteur toujours en forme qui continue de se renouveler en se réécrivant, un roman profond, noir et beau, à la drôlerie sous-jacente. Un de plus...
Commenter  J’apprécie          6712
La souffrance étant inévitable, mieux vaut souffrir avec JP Dubois que sans lui.
C'est sensiblement mon ressenti à la sortie de ce roman. Pourtant, avec cet auteur, je suis souvent très bon client, dithyrambique même. Mais là, crotte de bique, je n'y parviens pas.
Dans ma phrase de préambule, remplacez « JP Dubois » par « Jésus » et vous obtiendrez un des propos du livre le plus imprimé au monde après la Bible. Il a été écrit par Thomas a Kempis et sert à l'une des nombreuses et intéressantes digressions qui font le charme des ouvrages de M. Dubois.
Vous prendrez aussi connaissance, à moins que vous soyez plus érudit que moi, de l'existence d'un homme fascinant : Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations Unies de 1953 à 1961 et qui plus est prix Nobel de la paix, et… grand-père de Paul, le personnage principal du roman. Seul souci, Dag, n'a jamais eu d'enfant…
Vous rencontrerez également le peintre coréen Kim Tschang-Yeul, un Dieu vivant, connu pour ses multiples et merveilleuses représentations de gouttes d'eau.
Éventuellement et poétiquement, l'origine des fameuses larmes.
Mais les larmes chez M. Dubois ont de multiples origines. La plus flagrante, la plus lumineuse est la Mort. La mort de sa mère, la mort de son frère jumeau. Cependant, dans ce roman, rien n'est lumineux, tout est obscur, noir, plombant.
La mort y est d'ailleurs traitée comme une vraie délivrance de l'âme torturée, martyrisée, suppliciée de Paul, au point qu'il aille tuer Thomas Lanski son géniteur de 2 balles dans la tête 15 jours après sa mort. Cet homme abject le mérite amplement, je l'ai mesuré au fil des chapitres lors des rencontres mensuelles de Paul et de son psychiatre M. Guzman.
Cette obligation est le fruit pourri de la condamnation de Paul pour avoir ôter la vie à un cadavre.
Cet échange mensuel constitue « le corps » du roman : « Rouvrir les livres de peine, les almanachs de chagrin, les albums d'humiliation, entendre à nouveau jaillir cette voix de carnassier, voir ses mâchoires mastiquer les jours de nos vies. »

Évidemment, par instant, j'ai été happé par les phrases magiques qui déferlent et m'aspergent en pleine face comme le ressac de la vie. Bien sûr, j'ai apprécié les habiles digressions de cet auteur, notamment sur l'intelligence artificielle et sur le dérèglement climatique mais, noyé d'ambivalence, j'ai ressenti un plaisir certain à tourner la dernière page, comme pour repousser la mort trop présente, trop palpable.
Commenter  J’apprécie          610
Il ouvre les yeux en même temps que sa maman les ferme, en même temps que son frère jumeau se détache
"l'air est entré dans ses poumons au moment où leurs coeurs ont cessé de battre".
Une solitude glaciale remplacera la douce chaleur protectrice du ventre de sa mère, aux côtés de son frère.
Deux morts contre une vie : l'origine des larmes.
"L'origine des larmes se trouve là, au fond du ventre de ma mère".
Il sait déjà que la mort sera toujours à ses côtés,
Il ressent l'absence de son frère, la perte d'une mère inconnue
Son père n'est pas là pour l'accueillir
Il n'est pas là pour accompagner sa femme.
Ce père prédateur, toujours en chasse d'une proie, désaxé, dangereux, pervers se nomme Thomas Lanski.
Ce père monstrueux, sadique doublé d'un escroc hantera toute sa vie.
Il va grandir contre lui, apprendre à verrouiller de l'intérieur, ne rien attendre, ne rien espérer.

C'est l'histoire de Paul Sorensen cinquante deux ans.
Depuis le décès de sa mère adoptive Rebacca, il a hérité de l'entreprise Stamentum spécialisée dans la fabrique de housses mortuaires zippées, haut de gamme.
Il tire deux balles dans le crâne de son père déjà mort et allongé dans une chambre funéraire.
Un parricide post-mortem.
Peut-être une manière pour lui de traduire Lanski en justice !
Nous sommes en 2031, la pluie tombe depuis deux ans sur Toulouse: la ville rose se délave.
Le procureur de Toulouse, un homme magnanime et intelligent, le condamne à une détention avec sursis et une obligation de soins de douze mois auprès du Docteur Guzman. Une session par mois. Un sujet par séance.
Paul se conforme à la règle et se demande pourquoi il respecte les règles de ce jeu impudique, ouvrant ainsi tous les placards de sa vie.
"L'obligation de soins veut tout savoir, tout voir et sonder les coeurs et les pantalons"
Alors il va donner à savoir, à voir : se vider.
Sa vie : seul depuis la mort de son chien, pas de relation aux autres, pas de vie amoureuse, interagissant seulement avec une intelligence artificielle pour dialoguer. Une profonde solitude !
Le réconfort viendra de la compagnie d'un chien, un bâtard vagabond : son frère de naufrage.
Sa deuxième mère Rebacca, d'une infinie délicatesse lui donnera de l'amour, lui parlera de sa mère de neuf mois qu'il ne connaît pas, n'a jamais vu son visage sur une photo et n'a pas de sépulture.
Les échanges entre Paul et son psychiatre sont puissants et savoureux. Ce Dr Guzman très sensible, va explorer l'origine des larmes qui l'inondent depuis sa naissance, ce lourd fardeau.
Le comble de l'ironie étant que lui même souffre de conjonctivo-chalasis : l'oeil droit qui pleure sans cesse !
Il est attachant ce psy "la larme à l'oeil".
Il y a beaucoup d'humanité entre ces deux-là, c'en est très touchant.
Le peintre coréen Kim Tschang-yeul apporte la lumière
à ce récit : il a passé sa vie à peindre des gouttes d'eau !
Un écho aux larmes de Paul et Guzman ...

C'est un roman sombre, il touche à la mort, la perte, la violence et l'enfance. C'est aussi un très beau récit, un savant dosage d'ironie macabre et d'humour tendre.
Un roman déchirant ! On n'en ressort pas indemne mais pas désespéré non plus.
Entre tragédie et comédie .


« Au coeur des eaux viendra alors un moment fragile, délicat, décisif, depuis toujours guetté et redouté, où il faudra décider de continuer à vivre. Celui qui, alors, en aura le courage et en éprouvera l'envie ramènera l'autre vers le rivage. »

Commenter  J’apprécie          5244
Toute une vie avec la mort.

On a connu Jean-Paul Dubois drôle. Et même très drôle. Il nous revient sombre. Et même très sombre. Mais brillant. Car quelqu'un qui dans un même livre peut faire cohabiter Coleridge, a Kempis, Hammarskjöld, van Ruysadel et j'en passe sans perdre son lecteur ne peut être que brillant.

Dans l'origine des larmes, Dubois nous propose de passer une année avec Paul Sorensen, judiciairement contraint d'une injonction de soins après avoir re-tué son père, expérience de « musculation mémorielle » pour un homme à qui on a dit petit : « Tu es marqué par la mort. Tu devras toute ta vie apprendre avec elle. »

Cette contrainte qui se veut libératoire ne va faire que rouvrir en dix séances les plaies d'une vie sordide, comme les vannes d'un barrage trop longtemps contenu, pour mieux laisser se déverser les flots humides des larmes jamais coulées.

« Je sais ce que je dis. Je connais l'origine des larmes. »

Dehors, le ciel n'en finit pas de se déchainer en cette année 2031 où le dérèglement climatique est à son climax : « Les égouts ne peuvent plus rien avaler, les canalisations débordent et la terre, gorgée, n'absorbe plus rien. »

Dedans, Paul est à peu près dans le même état, égrenant la litanie de ses morts, marqueurs d'une vie passée sous le joug de Lanski, père inhumain, violent, escroc, manipulateur, oppresseur, qui n'est pas sans rappeler parfois celui de Chalandon dans sa mythomanie. Mais en plus destructeur.

« Water, water everywhere, nor any drop to drink.”, disait le vieux marin. Ou quand la mort étrangle toute la vie autour de toi, comment réussir à exister ?

Un livre sombre, parcours sordide avec la mort qui n'aura cessé d'accompagner la non-vie de Paul ; un livre érudit, intelligent, au style travaillé mais toujours accessible ; un livre prenant et touchant, qui fait passer Paul de petit fils de secrétaire général de l'ONU à interlocuteur d'U.No, l'IA devenue son seul ami.

Un livre qui ne s'oublie pas une fois refermé. Brillant, je vous dis.
Commenter  J’apprécie          413
Dans son dernier roman, Jean-Paul Dubois réussit une mise en abyme étonnante de la morale et de la justice.
La morale, sous toutes ses formes, peut juger sévèrement la plupart de nos actes, en se référant au religieux, au sacré, à la liberté d'autrui. La justice elle, agit selon des critères différents.
Paul Sorensen, le personnage principal, est au coeur de cette problématique. Il a commis un acte (je ne vous dis pas lequel) réprouvé par la morale, pas la sienne toutefois. La justice, au regard du droit et de la jurisprudence, considère cet acte, pour surprenant qu'il soit, comme un délit mineur, puni par une « année de prison assortie du sursis, d'un contrôle judiciaire et d'une prise en charge médico-psychologique obligatoire pendant une année. »
Au début du roman, Paul Sorensen accepte de se conformer aux procédures policières et judiciaires. Il est pleinement conscient de son geste, mais pour autant ne souhaite pas en donner la motivation. Il se joue de l'inspecteur qui lui notifie sa garde à vue et l'interroge, « Cet homme est peut-être trop jeune pour entendre ce genre de choses. (…) je vois bien qu'il ne sait plus quoi penser à mon sujet. ». Avec le procureur Mingasson, les choses sont différentes, l'homme est « tout à fait singulier, magnanime, il possède l'art de la digression et la faculté de mettre ses interlocuteurs à l'aise. » Paul s'en méfie, « Cet homme est un procureur. Ne jamais perdre cela de vue. » Après sa condamnation, il se retrouve face au docteur Frédéric Guzman. Il devra se soumettre à 12 séances mensuelles et raconter à Guzman le parcours de vie qui l'a conduit à commettre l'acte pour lequel il a été jugé et condamné. La liberté est à ce prix.
Pour Paul, Guzman est « (…) un suricate, ce petit animal du désert surnommé le « guetteur des sables »
Le corps du roman est composé du récit de ses 12 séances. Guzman et Paul se jaugent, s'apprécient se joue des tours, adoptent des postures ou la jouent franc-jeu.
Dubois excelle dans le rôle du conteur. Chacune des séances est l'objet de boucles sur l'histoire de Paul, de retours-arrière, de confrontations entre les deux hommes. Ils jouent à cache-cache. « Cette friandise d'hypocrisie fait partie des codes de maintien de cette étrange valse que nous nous efforçons lui et moi de danser », pense Paul. « (…) je pourrai sans mal vous prendre pour un mythomane et un affabulateur » lui rétorque Guzman.
Ce que l'on retient de l'histoire de Paul, c'est le traumatisme subi à la naissance – la mort de sa mère et de son frère jumeau - la détestation de son père, l'amour de sa belle-mère et sa capacité une fois adulte à faire preuve de la plus grande résilience en se créant un univers d'où le mal est absent.
Ce père dont il pense, « Il ne connaissait rien à la gestion des machines et des hommes, mais appartenait à cette école de pensée libérale convaincue que faire et dire n'importe quoi était toujours préférable à un immobilisme raisonné. » (Suivez mon regard…)
Les thèmes chers à Dubois sont présents dans ce roman. Les relations père fils, la mort et le souvenir des disparus, la punition, l'amour des femmes, ici la mère biologique décédée et la mère nourricière, le frère jumeau disparu, les identités alternatives.
Autre thème cher à Dubois, les détails techniques et la précision de certaines descriptions :
« A la maison, dans une partie basse d'un garage en sous-sol, j'ai installé une pompe à relevage autoamorçante qui préserve des accumulations »
« Une petite voiture. Simca Versailles bicolore des années 60 de la vieille marque Dinky Toys. Avec ses pneus démontables en caoutchouc et son indestructible carrosserie moulée en Zamak, alliage de zinc, d'aluminium, de magnésium et de cuivre.
On en redemande ! »
Personnellement je n'ai pas trouvé ce roman plus sombre ni moins sombre que les autres romans de Dubois. Il exprime, comme le fait toujours l'auteur, la capacité de son personnage principal à subir les épreuves de la vie en faisant preuve de la plus grande résilience et à trouver des solutions de substitution.
Jean-Paul Dubois en profite pour nous faire connaître des personnages réels qui résonnent avec les siens. C'est le cas de Dag Hammarskjöld le secrétaire des Nations Unies et de Kim Tschang-Yeul le peintre coréen des gouttes d'eau qui ne déparent pas le roman, et dont on pourrait penser que l'histoire est trop belle pour être vrai. Comme dans chacun de ses ouvrages, les sources de Jean-Paul Dubois sont vérifiées et vérifiables. Il partage avec ses lecteurs une réalité qu'ils ne connaissent pas forcément. Il nous fait découvrir des événements, des lieux, des pays, des personnages dont nous ignorons l'existence et qui pour autant existent même si nous ne le savions pas…
L'autre point fort de ce roman est de mettre en scène des événements dont nous n'ignorons rien mais face auxquels nos sociétés sont impuissantes par choix ou par négligence. « A l'époque nous sortions à peine du Covid, ce petit frère du Sers-22 puis du Codim-12. » ; « (…) la fonte accélérée des glaciers de l'Antarctique rendrait les eaux de ce continent moins denses et moins salées, ce qui aurait pour conséquence (…) de modifier sensiblement le climat. » ; dans la Toulouse de 2031 où se déroule le roman, « Tantôt ce sont de brusques et violents tempêtes (…) tantôt de longues et patientes averses (qui) épuisent les arbres et font enfler les fleuves. » ; « (…) il est question d'installer, sur les trottoirs, des passerelles improvisées avec des bastaings posées sur des briques. »…Tout cela a un air de déjà vu !
Paul Sorensen a une conscience aigüe de son environnement de ses limites, de ses perspectives d'évolution il ne peut pas être un personnage serein et rieur mais seulement un homme lucide avec tout ce que cela implique dans ses relations aux autres. Il ne peut se résoudre à « sourire en pensant à autre chose »
Le seul bémol que je formulerai, est l'histoire du grand-père qui est un peu trop téléphoné…
Pour l'essentiel j'ai adoré ce roman, comme tous les autres de Jean-Paul Dubois !
J'adore Dubois pour, des phrases comme celle-ci avec cette expression « garder son moi pour soi »…
« Qu'est-ce que je suis allé raconter ! Il ne faudrait jamais rien dire, garder son moi pour soi, s'accommoder de ses nuisances intimes, les laisser décanter dans le bac à compost, attendre que ces épluchures de l'âme atteignent une granulométrie acceptable pour les évacuer à travers un tamis peu regardant. Au lieu de quoi me voilà sommé de mettre à nu un corps et des sentiments depuis bien longtemps serrés dans une remise. »
…mais aussi pour ses idées loufoques :
« En traversant le jardin qui longe l'édifice, j'entends les sons des grandes orgues jaillir des voutes et des vitraux. Pour jouer ainsi « Angie » des Rolling Stones à tue-tête, se débattre avec quarante-sept jeux, soixante rangs, quatre claviers, trente touches au pédalier, à une heure pareille, j'imagine que le titulaire des orgues doit être seul dans son domaine. »…On entend d'ici…
Commenter  J’apprécie          380
Une histoire de famille, de vengeance et de transmission.

« Il n'y a que deux dates qui comptent dans une vie. Celle de ta naissance et celle de ta mort.  »

Cette phrase donne le ton du livre, entre amertume et désespoir. Où la haine d'un père pousse un fils à tirer sur son cadavre…et à entamer, contraint par la justice, une psychothérapie. Pour enfin découvrir les racines d'une telle détestation. L'origine des larmes. Et Accepter son passé. 10 séances d'introspection pour mettre en évidence une vie sordide, de solitude, dans un pays noyé sous la pluie.
C'est très sombre. Et sans cette ironie propre à l'auteur, qui adoucit le propos et laisse entrevoir l'espoir.
C'est un livre qu'il vaut mieux lire heureux.
Commenter  J’apprécie          330
2031
Paul a commis l'impensable...il a tiré deux balles dans la tête de son père...mort!
La justice le condamne pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre". Un an de prison avec sursis et l' obligation de suivre une thérapie.
Quand un inspecteur lui demande que faisait son père,sa première réponse aurait pu être le mal.
L'histoire de Paul commence avec la mort. Sa mère Marta, une suédoise, meurt "au moment de le prendre dans ses bras". Son frère jumeau naît sans respirer. L'enfant est jeté avec les déchets de l'hôpital, sa mère enterrée on ne saura jamais où. Mais" ils sont tous là dans sa tête depuis le début et jusqu'à la fin".
Thomas Lanski, le père, est le mal incarné. Escroc, menteur, méchant. "Pour mon sixième anniversaire, cet homme m'offrit un canari dont il venait d'arracher la tête avec les dents".
Ce psychopathe se remarie avec Rebecca, une femme d'affaires à la tête d'une usine où sont fabriquées des housses étanches pour transporter les morts ! ( Paul héritera de l'affaire).
Rebecca fut" une mère totale et absolue", et Lanski du début à la fin lui fit payer très cher...
Ceci est la petite première partie du livre.
La suite est la thérapie de Paul chez le Dr Guzman. " Un homme millimétré, rationnel, à l'émotivité tenue en laisse courte, pondéré, avec une intelligence que je vois glisser entre les obstacles avec une souplesse reptilienne ".
Avec ce thérapeute, qu'il compare à un enquêteur, Paul va se livrer jusqu'au bout, enfin presque. En tire-t-il un certain bien être ? Pas vraiment !Il déroule, telle une bobine de fil toute sa vie, celle de son père , celle de Rebecca. Toute la haine qu'il voue à son père est omniprésente dans chaque séance. Sa solitude toxique il la comble avec U.No une intelligence artificielle qui engrange toutes leurs conversations. Elle le reconnaît, analyse, questionne, répond. Il n'est pas habitué à aimer alors ça lui suffit. Guzman et Paul font ce qu'ils peuvent avec cette thérapie imposée. Ce n'est facile ni pour l'un, ni pour l'autre. Il n'empêche qu'une certaine complicité s'installe.
Le décor du roman est caché par un rideau de pluie. Nous sommes en 2031. le climat débloque complètement. Cette pluie s'accorde parfaitement avec les larmes qui restent en Paul, celles qui coulent des yeux du psy qui souffre d'une maladie oculaire et les gouttes d'eau qu'a peint inlassablement, depuis la guerre, Kim Tchang -Yeul, un artiste coréen.
J'ai aimé ce livre, j'aime l'auteur, son style. Il y a d'habitude plus d'humour dans ses livres .
L'histoire se tient jusqu'à la dernière page.
PS: J'oubliais le chien...
Commenter  J’apprécie          3332




Lecteurs (833) Voir plus



Quiz Voir plus

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

Paul Hansen, le personnage principal du roman, a été incarcéré à la Prison de Bordeaux à Montréal ...?...

Le jour de l'élection de Barack Obama
La jour de l'élection de Donald Trump

12 questions
123 lecteurs ont répondu
Thème : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul DuboisCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..