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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quel prologue, époustouflant, qui place le lecteur dans l'intensité d'une tragédie antique ! Paul Sorensen, la cinquantaine, vient d'être arrêté pour avoir abattu son père post-mortem dans une morgue. Il présente son destin comme marqué par la mort, né d'une mère décédée en couches en même temps que son frère jumeau.

« Chacun de mes anniversaires commémore la mort de Marta et de mon frère. L'origine des larmes se trouve là, au fond du ventre de ma mère. Ce ventre dont je n'aurais jamais dû sortir. Ce ventre qui aurait dû m'ensevelir au côté de mon frère. Ce ventre qui m'a expulsé au dernier moment vers la vie sans que je ne demande rien ni que je sache pourquoi. de l'air est entré dans mes poumons pour la première fois au moment même où leurs coeurs ont arrêté de battre. »

Suite à son procès pour atteinte à l'intégrité d'un cadavre, il écope d'une année de prison avec sursis et d'une prise en charge médico-psychologique obligatoire pendant un an : une séance par mois, un sujet par mois.

Au départ, l'intérêt est happé par le personnage du père. On attend avec impatience le réquisitoire de Paul pour comprendre son geste inouï. Jean-Paul Dubois évacue rapidement cette attente car on comprend vite que le père incarne toute la sauvagerie et la violence du monde. Ce personnage est tellement outré, monstrueux dans ses actes et paroles, totalement impardonnable, qu'il en devient presque irréel, mais sa présence hante tout le récit par l'impact qu'il a eu sur la vie Paul.

La construction narrative est faussement simple. Douze chapitres, un par mois, un par séance, un sujet par séance, pour savoir si Paul va réussir à se décharger du fardeau de son existence et sortir du trou noir de la haine que lui inspire son père. Ce qui a aimanté ma lecture, c'est le portrait désespéré de Paul, un homme profondément seul, raconté par moultes digressions brillantes qui dessinent la réalité d'une vie fracassée et inconsolée ( « cet homme est entré dans ma tête, il y vit en ne laissant que désordre derrière lui. Il entre, sort, fait ce qu'il veut, n'importe quand, n'importe où. Même quand il n'était pas là, on l'avait en nous, comme une amibe, un parasite mental. »

La maitrise narrative de cette introspection labyrinthique est admirable, des détails inattendus venant faire écho à d'autres, de façon encore plus inattendue, autant de contre-poisons au venin paternel : le peintre coréen Kim Tschang-yeul, l'ancien secrétaire général de Nations Unies Dag Hammarskjöld, le moine néerlandais Thomas a Kempis entre autres. En filigrane, une réflexion bouleversante sur la mémoire se déploie, sur les mécanismes des souvenirs et de la perte. On n'échappe pas à sa mémoire.

C'est sans doute le roman le plus sombre de Jean-Paul Dubois, baigné dans une pluie perpétuelle quasi dystopique ( nous sommes en 2031 ) et pourtant, il y a bien une juste dose d'humanité qui vient, malgré tout, éclairer le noir de l'ensemble, accompagnée d'une tendresse parfois teintée de burlesque : le logiciel d'I.A. avec lequel discute Paul, si civilisé et courtois ; l'amour d'une mère adoptive ( inoubliable scène des jouets pris en photo ) ; la relation avec le génial psychiatre ( il souffre d'une maladie de l'oeil provocant un larmoiement continu qui l'oblige à sortir de son cabinet pour se mettre du collyre, de peur que ses patients pensent qu'il pleure à cause de ce qu'ils lui racontent ) et ses compagnons chiens.

« Wats avait la particularité, quand il était sec, d'avoir un pelage qui gonflait et magnifiait une stature. En revanche, une fois mouillée, sa toison s'effilochait misérablement, lui donnant l'apparence d'un gros rat. Il avait aussi de tout petits os, des pattes effilées comme des talons hauts et un museau aussi pointu qu'un pic à glace. J'avais donc deux chiens. L'un, sec, une vraie merveille. L'autre, mouillé, une totale affliction. Wats avait aussi cet étrange besoin, en voiture, de mettre son museau à la portière et de demeurer dans cette position, sans broncher, même au-delà des cent trente kilomètres-heures réglementaires. le vent plaquant les poils sur son museau déformait ses babines, lui donnant un visage effrayant, à tel point que j'avais honte de doubler un véhicule. »

Dubois est un des rares auteurs français à savoir manier avec autant d'élégance et d'intelligence tragédie et comédie. Il compose ici un roman d'une noirceur drolatique qui émeut autant qu'il désole.
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Du Réel.

Jean-Paul Dubois fait partie de ces auteurs dont j'ai lu tous les ouvrages et dont j'ai tout aimé. Ou presque. Il y a « Hommes entre eux », par exemple, qui rentre dans ce que j'appelle pompeusement les périodes « off ».
L'Origines des larmes en fait indéniablement partie.
Je tiens à présenter par avance mes excuses pour le ton pompeux, légèrement ampoulé de ce petit billet sur lequel le nouveau style de mon cher auteur a déteint.
Je ne m'y attendais pas, il m'a pris par surprise. Il faut parfois un peu de temps pour rentrer dans un Dubois. Mais tout de même, là il a fallu de je retrouve mon Dictionnaire des mots rares et précieux !! Jugez vous-même:
Chancissure, cryptogamique, controuvé, ergastule, érubescence, aristarque, épiphora, conjonctivochalasis, baltique, péricaryon, tronies, empyreume, enbata, galerne, acide ursodésoxycholique etc.
Voilà par exemple pour les mots. Mais il faut aussi compter sur l'érudition des références :
Samuel Taylor Coleridge, Thomas a Kempis (connu pour un livre surprenant intitulé L'Imitation de Jésus-Christ) , Arnaud d'Amaury, Salomon van Ruysdael (peintre flamand du fameux Après la pluie) , Dag Hammarskjöld, Bo Besko, Kim Tschang-Yeul (l'homme qui peint des gouttes d'eau et dont le musée est sur l'île de Jeju, au sud de la Corée du Sud, où j'ai eu la chance d'aller) et tout est à l'avenant.

Et si c'est pour le moins déconcertant, il faut dire qu'on s'y fait rapidement en épousant la personnalité de notre anti-héros, Paul Sorensen.
Vous le savez peut-être, il y a des récurrences dans l'oeuvre de Dubois : les personnages principaux se nomment Paul ou Jean-Paul, on y rencontre des chiens et des avions et même assez souvent des tondeuses à gazon…

Paul est né en 1980. Sa mère et son jumeau n'ont pas survécu à sa naissance. Il a été élevé à…Toulouse (évidemment!) par le pervers, l'odieux, l'abominable Lanski, son géniteur. Mais aussi par l'aimable Rebecca, sa mère adoptive. Marta, la mère biologique, lui lègue ...son patronyme.
L'action se déroule en 2031. Après une longue période de sécheresse, il pleut continuellement depuis deux ans. Paul a repris l'entreprise de Rebecca à la mort de celle-ci et vend des housses mortuaires très haut de gamme. L'entreprise, Stamentum, se porte à merveille en ces périodes troubles.
Mais voilà, Paul est jugé pour avoir tiré deux balles dans la tête de son père déjà mort et gisant à la morgue.
Il sera condamné à une obligation de soins : pendant un an, il devra être suivi par un psychiatre pour cet étrange parricide.
L'action (si l'on peut dire, il ne se passe pas grand chose…) peut se dérouler tranquillement .
Au fil des quatorze séances, Paul va se confier plus ou moins aimablement au Dr Frédéric Guzman qui souffre, lui, d'un sévère épiphora : son oeil droit pleure, pleure sans arrêt.

Ce livre est une réflexion puissante et, comme toujours chez l'auteur, drôle et désabusée, sur…l'origine des larmes.
Il y aura beaucoup d'eau, on y parlera beaucoup de la mort mais le vrai sujet est ailleurs, bien sûr. Ce livre est une aimable dissertation sur le réel. Mine de rien. Aux détours de toutes ces histoires d'intelligence artificielle, de maladies à prions, de photos de jouets et de l'incroyable chien Watson. L'épisode le concernant est un petit morceau d'anthologie, extrêmement drôle, sans doute le meilleur moment du livre.
Il y sera beaucoup question de Nom du Père à partir de l'abominable Thomas Lanski à la fois omniprésent et forclos, doublement forclos, on le comprendra lors de ces fameuses séances. La relation qui va s'installer entre Guzman et Paul aura de quoi surprendre !
Je disais donc le réel ou le Réel, comme vous voudrez, qui fait dire à Paul, retournant l'aphorisme : « Pourquoi y-a t'il Rien plutôt que quelque chose ? »

Je ressors songeur de ce livre mélancolique, vous laissant mes impressions à chaud. S'il n'a rien à voir avec « Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon » qui lui a valu le Goncourt 2019, ce n'est pas pour autan un livre d'intello. Un peu quand même. Disons d'intello semi-dépressif alors. Mais parfaitement abordable, dès lors qu'on aura compris qu'il s'agit de second degré !

Mais bon, ne boudons pas notre plaisir!
Dubois tisse une oeuvre aussi déroutante que passionnante, en dehors des chemins battus, et bientôt en alerte submersion permanente…

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Il ouvre les yeux en même temps que sa maman les ferme, en même temps que son frère jumeau se détache
"l'air est entré dans ses poumons au moment où leurs coeurs ont cessé de battre".
Une solitude glaciale remplacera la douce chaleur protectrice du ventre de sa mère, aux côtés de son frère.
Deux morts contre une vie : l'origine des larmes.
"L'origine des larmes se trouve là, au fond du ventre de ma mère".
Il sait déjà que la mort sera toujours à ses côtés,
Il ressent l'absence de son frère, la perte d'une mère inconnue
Son père n'est pas là pour l'accueillir
Il n'est pas là pour accompagner sa femme.
Ce père prédateur, toujours en chasse d'une proie, désaxé, dangereux, pervers se nomme Thomas Lanski.
Ce père monstrueux, sadique doublé d'un escroc hantera toute sa vie.
Il va grandir contre lui, apprendre à verrouiller de l'intérieur, ne rien attendre, ne rien espérer.

C'est l'histoire de Paul Sorensen cinquante deux ans.
Depuis le décès de sa mère adoptive Rebacca, il a hérité de l'entreprise Stamentum spécialisée dans la fabrique de housses mortuaires zippées, haut de gamme.
Il tire deux balles dans le crâne de son père déjà mort et allongé dans une chambre funéraire.
Un parricide post-mortem.
Peut-être une manière pour lui de traduire Lanski en justice !
Nous sommes en 2031, la pluie tombe depuis deux ans sur Toulouse: la ville rose se délave.
Le procureur de Toulouse, un homme magnanime et intelligent, le condamne à une détention avec sursis et une obligation de soins de douze mois auprès du Docteur Guzman. Une session par mois. Un sujet par séance.
Paul se conforme à la règle et se demande pourquoi il respecte les règles de ce jeu impudique, ouvrant ainsi tous les placards de sa vie.
"L'obligation de soins veut tout savoir, tout voir et sonder les coeurs et les pantalons"
Alors il va donner à savoir, à voir : se vider.
Sa vie : seul depuis la mort de son chien, pas de relation aux autres, pas de vie amoureuse, interagissant seulement avec une intelligence artificielle pour dialoguer. Une profonde solitude !
Le réconfort viendra de la compagnie d'un chien, un bâtard vagabond : son frère de naufrage.
Sa deuxième mère Rebacca, d'une infinie délicatesse lui donnera de l'amour, lui parlera de sa mère de neuf mois qu'il ne connaît pas, n'a jamais vu son visage sur une photo et n'a pas de sépulture.
Les échanges entre Paul et son psychiatre sont puissants et savoureux. Ce Dr Guzman très sensible, va explorer l'origine des larmes qui l'inondent depuis sa naissance, ce lourd fardeau.
Le comble de l'ironie étant que lui même souffre de conjonctivo-chalasis : l'oeil droit qui pleure sans cesse !
Il est attachant ce psy "la larme à l'oeil".
Il y a beaucoup d'humanité entre ces deux-là, c'en est très touchant.
Le peintre coréen Kim Tschang-yeul apporte la lumière
à ce récit : il a passé sa vie à peindre des gouttes d'eau !
Un écho aux larmes de Paul et Guzman ...

C'est un roman sombre, il touche à la mort, la perte, la violence et l'enfance. C'est aussi un très beau récit, un savant dosage d'ironie macabre et d'humour tendre.
Un roman déchirant ! On n'en ressort pas indemne mais pas désespéré non plus.
Entre tragédie et comédie .


« Au coeur des eaux viendra alors un moment fragile, délicat, décisif, depuis toujours guetté et redouté, où il faudra décider de continuer à vivre. Celui qui, alors, en aura le courage et en éprouvera l'envie ramènera l'autre vers le rivage. »

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Dans son dernier roman, Jean-Paul Dubois réussit une mise en abyme étonnante de la morale et de la justice.
La morale, sous toutes ses formes, peut juger sévèrement la plupart de nos actes, en se référant au religieux, au sacré, à la liberté d'autrui. La justice elle, agit selon des critères différents.
Paul Sorensen, le personnage principal, est au coeur de cette problématique. Il a commis un acte (je ne vous dis pas lequel) réprouvé par la morale, pas la sienne toutefois. La justice, au regard du droit et de la jurisprudence, considère cet acte, pour surprenant qu'il soit, comme un délit mineur, puni par une « année de prison assortie du sursis, d'un contrôle judiciaire et d'une prise en charge médico-psychologique obligatoire pendant une année. »
Au début du roman, Paul Sorensen accepte de se conformer aux procédures policières et judiciaires. Il est pleinement conscient de son geste, mais pour autant ne souhaite pas en donner la motivation. Il se joue de l'inspecteur qui lui notifie sa garde à vue et l'interroge, « Cet homme est peut-être trop jeune pour entendre ce genre de choses. (…) je vois bien qu'il ne sait plus quoi penser à mon sujet. ». Avec le procureur Mingasson, les choses sont différentes, l'homme est « tout à fait singulier, magnanime, il possède l'art de la digression et la faculté de mettre ses interlocuteurs à l'aise. » Paul s'en méfie, « Cet homme est un procureur. Ne jamais perdre cela de vue. » Après sa condamnation, il se retrouve face au docteur Frédéric Guzman. Il devra se soumettre à 12 séances mensuelles et raconter à Guzman le parcours de vie qui l'a conduit à commettre l'acte pour lequel il a été jugé et condamné. La liberté est à ce prix.
Pour Paul, Guzman est « (…) un suricate, ce petit animal du désert surnommé le « guetteur des sables »
Le corps du roman est composé du récit de ses 12 séances. Guzman et Paul se jaugent, s'apprécient se joue des tours, adoptent des postures ou la jouent franc-jeu.
Dubois excelle dans le rôle du conteur. Chacune des séances est l'objet de boucles sur l'histoire de Paul, de retours-arrière, de confrontations entre les deux hommes. Ils jouent à cache-cache. « Cette friandise d'hypocrisie fait partie des codes de maintien de cette étrange valse que nous nous efforçons lui et moi de danser », pense Paul. « (…) je pourrai sans mal vous prendre pour un mythomane et un affabulateur » lui rétorque Guzman.
Ce que l'on retient de l'histoire de Paul, c'est le traumatisme subi à la naissance – la mort de sa mère et de son frère jumeau - la détestation de son père, l'amour de sa belle-mère et sa capacité une fois adulte à faire preuve de la plus grande résilience en se créant un univers d'où le mal est absent.
Ce père dont il pense, « Il ne connaissait rien à la gestion des machines et des hommes, mais appartenait à cette école de pensée libérale convaincue que faire et dire n'importe quoi était toujours préférable à un immobilisme raisonné. » (Suivez mon regard…)
Les thèmes chers à Dubois sont présents dans ce roman. Les relations père fils, la mort et le souvenir des disparus, la punition, l'amour des femmes, ici la mère biologique décédée et la mère nourricière, le frère jumeau disparu, les identités alternatives.
Autre thème cher à Dubois, les détails techniques et la précision de certaines descriptions :
« A la maison, dans une partie basse d'un garage en sous-sol, j'ai installé une pompe à relevage autoamorçante qui préserve des accumulations »
« Une petite voiture. Simca Versailles bicolore des années 60 de la vieille marque Dinky Toys. Avec ses pneus démontables en caoutchouc et son indestructible carrosserie moulée en Zamak, alliage de zinc, d'aluminium, de magnésium et de cuivre.
On en redemande ! »
Personnellement je n'ai pas trouvé ce roman plus sombre ni moins sombre que les autres romans de Dubois. Il exprime, comme le fait toujours l'auteur, la capacité de son personnage principal à subir les épreuves de la vie en faisant preuve de la plus grande résilience et à trouver des solutions de substitution.
Jean-Paul Dubois en profite pour nous faire connaître des personnages réels qui résonnent avec les siens. C'est le cas de Dag Hammarskjöld le secrétaire des Nations Unies et de Kim Tschang-Yeul le peintre coréen des gouttes d'eau qui ne déparent pas le roman, et dont on pourrait penser que l'histoire est trop belle pour être vrai. Comme dans chacun de ses ouvrages, les sources de Jean-Paul Dubois sont vérifiées et vérifiables. Il partage avec ses lecteurs une réalité qu'ils ne connaissent pas forcément. Il nous fait découvrir des événements, des lieux, des pays, des personnages dont nous ignorons l'existence et qui pour autant existent même si nous ne le savions pas…
L'autre point fort de ce roman est de mettre en scène des événements dont nous n'ignorons rien mais face auxquels nos sociétés sont impuissantes par choix ou par négligence. « A l'époque nous sortions à peine du Covid, ce petit frère du Sers-22 puis du Codim-12. » ; « (…) la fonte accélérée des glaciers de l'Antarctique rendrait les eaux de ce continent moins denses et moins salées, ce qui aurait pour conséquence (…) de modifier sensiblement le climat. » ; dans la Toulouse de 2031 où se déroule le roman, « Tantôt ce sont de brusques et violents tempêtes (…) tantôt de longues et patientes averses (qui) épuisent les arbres et font enfler les fleuves. » ; « (…) il est question d'installer, sur les trottoirs, des passerelles improvisées avec des bastaings posées sur des briques. »…Tout cela a un air de déjà vu !
Paul Sorensen a une conscience aigüe de son environnement de ses limites, de ses perspectives d'évolution il ne peut pas être un personnage serein et rieur mais seulement un homme lucide avec tout ce que cela implique dans ses relations aux autres. Il ne peut se résoudre à « sourire en pensant à autre chose »
Le seul bémol que je formulerai, est l'histoire du grand-père qui est un peu trop téléphoné…
Pour l'essentiel j'ai adoré ce roman, comme tous les autres de Jean-Paul Dubois !
J'adore Dubois pour, des phrases comme celle-ci avec cette expression « garder son moi pour soi »…
« Qu'est-ce que je suis allé raconter ! Il ne faudrait jamais rien dire, garder son moi pour soi, s'accommoder de ses nuisances intimes, les laisser décanter dans le bac à compost, attendre que ces épluchures de l'âme atteignent une granulométrie acceptable pour les évacuer à travers un tamis peu regardant. Au lieu de quoi me voilà sommé de mettre à nu un corps et des sentiments depuis bien longtemps serrés dans une remise. »
…mais aussi pour ses idées loufoques :
« En traversant le jardin qui longe l'édifice, j'entends les sons des grandes orgues jaillir des voutes et des vitraux. Pour jouer ainsi « Angie » des Rolling Stones à tue-tête, se débattre avec quarante-sept jeux, soixante rangs, quatre claviers, trente touches au pédalier, à une heure pareille, j'imagine que le titulaire des orgues doit être seul dans son domaine. »…On entend d'ici…
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2031
Paul a commis l'impensable...il a tiré deux balles dans la tête de son père...mort!
La justice le condamne pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre". Un an de prison avec sursis et l' obligation de suivre une thérapie.
Quand un inspecteur lui demande que faisait son père,sa première réponse aurait pu être le mal.
L'histoire de Paul commence avec la mort. Sa mère Marta, une suédoise, meurt "au moment de le prendre dans ses bras". Son frère jumeau naît sans respirer. L'enfant est jeté avec les déchets de l'hôpital, sa mère enterrée on ne saura jamais où. Mais" ils sont tous là dans sa tête depuis le début et jusqu'à la fin".
Thomas Lanski, le père, est le mal incarné. Escroc, menteur, méchant. "Pour mon sixième anniversaire, cet homme m'offrit un canari dont il venait d'arracher la tête avec les dents".
Ce psychopathe se remarie avec Rebecca, une femme d'affaires à la tête d'une usine où sont fabriquées des housses étanches pour transporter les morts ! ( Paul héritera de l'affaire).
Rebecca fut" une mère totale et absolue", et Lanski du début à la fin lui fit payer très cher...
Ceci est la petite première partie du livre.
La suite est la thérapie de Paul chez le Dr Guzman. " Un homme millimétré, rationnel, à l'émotivité tenue en laisse courte, pondéré, avec une intelligence que je vois glisser entre les obstacles avec une souplesse reptilienne ".
Avec ce thérapeute, qu'il compare à un enquêteur, Paul va se livrer jusqu'au bout, enfin presque. En tire-t-il un certain bien être ? Pas vraiment !Il déroule, telle une bobine de fil toute sa vie, celle de son père , celle de Rebecca. Toute la haine qu'il voue à son père est omniprésente dans chaque séance. Sa solitude toxique il la comble avec U.No une intelligence artificielle qui engrange toutes leurs conversations. Elle le reconnaît, analyse, questionne, répond. Il n'est pas habitué à aimer alors ça lui suffit. Guzman et Paul font ce qu'ils peuvent avec cette thérapie imposée. Ce n'est facile ni pour l'un, ni pour l'autre. Il n'empêche qu'une certaine complicité s'installe.
Le décor du roman est caché par un rideau de pluie. Nous sommes en 2031. le climat débloque complètement. Cette pluie s'accorde parfaitement avec les larmes qui restent en Paul, celles qui coulent des yeux du psy qui souffre d'une maladie oculaire et les gouttes d'eau qu'a peint inlassablement, depuis la guerre, Kim Tchang -Yeul, un artiste coréen.
J'ai aimé ce livre, j'aime l'auteur, son style. Il y a d'habitude plus d'humour dans ses livres .
L'histoire se tient jusqu'à la dernière page.
PS: J'oubliais le chien...
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Des pluies, des pleurs, que de l'eau, avec le climat qui se détraque et Paul, héros récurrent de J.P.Dubois qui va essayer de se purifier. Né au moment même où sa mère et son frère jumeau y laissaient leur vie, Paul bien qu'élevé par une belle-mère aimante en charge d'une entreprise prospère qui fabrique des housses mortuaires dans la région toulousaine, vie pas bien gaie mais supportable surtout sans la présence de son géniteur, Lanski, une belle ordure ; s'il y a d'autres mots ils montent en gamme…
Paul Sorrensen donc va récupérer le corps de son père au Canada, là où il s'était enfui après de sordides affaires. Paul devient un assassin, il tire une balle dans la tête du cadavre ; la haine était trop forte. La justice le condamne à 1 an d'entretiens avec un psychiatre , le docteur Guzman.
Et c'est là que Paul va se délivrer du fardeau de son existence, de la culpabilité du survivant également. le psy étant atteint de conjonctivite aiguë, il pleure lui aussi .
Dans toute cette désolation , un chien, un robot conversationnel même sont les seules respirations de Paul.
Cette symbolique de l'eau traverse tout le roman ,celle qui noie, celle qui peut apporter le regain, et sous la plume de J.P. Dubois, des mots savants et choisis ,le macabre, plus une ironie amère m'ont amenée à me demander si le texte tragique n'est pas par moment comique, enfin presque. Bien beau roman.
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L'origine des larmes est placé sous un double signe d'eau et de mort. Depuis deux ans, la démence météorologique a pris un nouveau tournant. Un déluge ininterrompu succède à la sécheresse ; la Garonne et le Canal du Midi en crue ont durablement submergé Toulouse, inondant le métro et obligeant ses habitants à retrouver de vieux réflexes amphibiens. Paul vit là, seul dans sa maison familiale, il a hérité de l'entreprise de sacs mortuaires créée par sa belle-mère. Il est né le 20 février 80, le jour où Citroën a annoncé la dernière refonte complète de la gamme de ses 2 cv, le ton est donné. A cette date a également eu lieu le drame originel : ni sa mère ni son frère jumeau n'ont survécu à l'accouchement. Depuis, Paul a fréquenté plus de morts que de vivants ; il a enterré tous ses proches, jusqu'à son chien bien aimé.


Seul son père haï a résisté jusqu'au jour où enfin, Paul apprend son décès à Montréal où il avait filé à l'anglaise. Son corps rapatrié, le 17 mars 2031 à 23 heures, Paul se rend à la morgue, et 15 jours après sa mort, tire deux balles dans la tête de son géniteur. Ce parricide post-mortem, étrange, presque burlesque, est quasi un cas inédit pour la justice embarrassée, qui condamne son auteur à une peine de substitution à l'emprisonnement. Il est soumis à une année d'obligation de soins : douze mois, douze sujets, douze longues séances aux thèmes prédéfinis, autant de tableaux pour évoquer le théâtre toxique de son enfance dont il a été un sociétaire. Un psychiatre hypocondriaque est chargé du suivi.


Le dernier roman de Jean-Paul Dubois raconte l'année 2031, faite de 12 rencontres théoriques (14 en pratique car deux mois ont nécessité 2 séances) comme les 12 stations d'un chemin de croix avec un psychiatre commis d'office. Affectivement carencé, Paul est obligé de décortiquer sa vie, son refus de contacts sociaux ou de relations amoureuses. Sa seule liaison est avec une intelligence artificielle. Il est sommé par la justice de mettre de l'ordre en lui-même, trier dans la honte et la douleur de ses souvenirs. Il doit se purifier de ses miasmes et s'en débarrasser.


Je ressors sonnée de cette lecture. L'auteur pousse ses thèmes de prédilection à leur paroxysme. Comme souvent, après un départ passablement loufoque – quelle drôle d'idée de tuer un père déjà mort – il entraîne ses lecteurs vers de grands questionnements. Peut-on être un adulte heureux après une enfance malheureuse ? Qu'est-ce qui est vrai dans notre vie ? Ce à quoi nous voulons bien croire ? La religion, le travail, l'amour, la confiance, l'argent, la réussite, tout repose sur des mécanismes codés, des imitations culturelles, des simulations tribales qui offrent la représentation d'une réalité. L'imitation du Christ de Thomas a Kempis est-elle un guide du routard de la spiritualité, un gps mystique balisant le « sentier lumineux » ?


L'origine des larmes est un roman émouvant, poignant parfois, dans lequel l'auteur dresse le bilan – arrêté en 2031/32 - de sa vie éclairée par son enfance. Paul, le personnage principal, possède la grâce d' « un homme qui fait ce qu'il peut, étant ce qu'il est », qui livre avec parcimonie des détails qui sont souvent la discrète signature d'une âme, un accès à la « porte de derrière ». J'ai retrouvé la beauté du style de Jean-Paul Dubois, son goût pour les mots surannés, sa vaste culture discrètement restituée, sa grandeur dans l'humilité, son auto-dérision, son humour toujours affleurant, l'élégance de sa douce mélancolie, son regard décalé. Sans oublier son amour inconditionnel pour les chiens. Bref, j'ai adoré, ai-je été claire ?


"Water, water everywhere, nor any drop to drink"
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On ne sort pas indemne
de cette traversée avec Jean Paul Dubois.
On en sort humide..Que d' eaux!
Il pleut, il pleut mais, pas de bergère.
La pluie lave et délave tout.
Une histoire abracadabrante et prolifique.
Une ambiance sombre avec des petites lumières.
De la presque tragédie grecque,
Une famille de théâtre .
Un grand père qui n'a pas eu d'enfant
Une mère morte en donnant la vie.
Un jumeau qui n'a pas vécu.
Une mère vivante mais pas assez longtemps..
Un père démoniaque,
dont la mort filmée ne suffira pas.
Il faut le tuer encore et encore.
Les larmes d'un psychanalyste qui n'en sont pas..
Des gouttes d'eau exposées
La vie, la mort, la vie , la mort
Un vrai voyage sur les eaux du Styx
avec ce batelier à l'imagination folle.
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L'écrivain qui a reçu le Goncourt, on l'attend au tournant. On guette le faux pas, l'accident industriel.
Raté. Jean-Paul Dubois nous a encore écrit un grand roman, avec pour incipit un acte en apparence insensé qu'il analyse chapitre après chapitre : un parricide post mortem. Rien que ça.
Paul Sorensen parle ainsi de son père, Thomas Lanski : « (…) désaxé, dangereux, pervers, irrigué en permanence d'un flux malveillant. Dans cet univers inversé, mon seul et unique projet fut de grandir contre lui ».
Lanski, un homme sans scrupules (p31), cruel (p112), qui méritait bien de mourir deux fois. Mais qu'en dit la justice ? À quoi condamne-t-on un tueur de cadavre ?
À expliquer son geste ! Il aura ses raisons, ses circonstances atténuantes, ses motivations profondes. Les mettre à jour, c'est le boulot de Guzman, le psychiatre auquel Paul a l'obligation de raconter sa vie.
Enfin sa vie… Façon de parler. du drame originel de sa naissance à son rôle de patron d'une entreprise (Stramentum) spécialisée dans la confection de housses pour macchabées, il semble que la mort ait été son unique et fidèle compagne.
La réussite de ce roman tient à ses fabuleux portraits. Celui du narrateur, Paul Sorensen, un homme à la dérive, privé d'amour maternel, qui s'en remet à l'IA pour sonder son âme, tel un Dorian Gray. Celui de l'odieux Lansky, en plaçant le diable dans les détails, comme ces petites phrases toutes faites qu'il utilise pour déstabiliser ses interlocuteurs (p39) ou sa manière de se goinfrer d'hosties en blasphémant (p64).
Ce bouquin est une tuerie.
Bilan : 🌹🌹🌹
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Retrouver l'élégance de Jean-Paul Dubois - ses obsessions aussi - et dès les premiers mots savoir que se sera trop court.

« L'origine des larmes » c'est l'histoire d'un paricide post-mortem et dans laquelle on trouve le patron d'une entreprise de housse mortuaire, fils d'un authentique salaud, un ancien secrétaire général des Nations Unis, un moine néerlandais du moyen âge, une intelligence artificielle, du Dacryoserum et beaucoup de pluie.

« L'origine des larmes » c'est une masse de sentiments, c'est la langueur et l'intelligence au service de la littérature. C'est Paul, l'éternel alter ego de l'auteur, « un homme qui fait ce qu'il peut, étant ce qu'il est ». C'est encore une histoire de famille, de transmission et de névroses. C'est l'art de toucher au tragique avec loufoquerie. C'est surtout le roman le plus sombre de l'auteur avec la mort omniprésente.

Ma tendresse pour Dubois ne faiblit pas à travers les décennies, elle aurait même tendance à progresser. Ce n'est pas une admiration béate comme cela arrive avec d'autres, plutôt une impression de connivance, liée peut être à la géographie, à la paresse, à la propension à cacher la gravité sous une certaine légèreté.

Il va sans doute falloir à nouveau attendre 5 ans pour que Jean-Paul ne se décide à nous livrer un nouveau roman. Ça va être très long.
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