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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Passer entre les gouttes.
Sortez les bottes et les parapluies, il n'est question que de flotte dans le dernier roman de Jean-Paul Dubois. Risque de submersion.
En 2031, il pleut sans discontinuer sur Toulouse depuis plusieurs mois. La Garonne est en crue qui l'eut cru ?
Paul Sorensen vient de faire un aller-retour au Canada, non pas à cause de la météo, ni parce qu'il y a toujours une escale à l'érable pour Caribous mal lunés dans les romans du Goncourisé, mais pour rendre un dernier hommage à son défunt père, en… lui tirant deux balles dans la tête. Est-ce un crime de flinguer un cadavre ? Avis aux passionnés de la jurisprudence des prétoires de la pétoire.
« Tu ne tueras point ton prochain ». Au Sinaï aïe, pas de trace après ce commandement d'un post scriptum du genre « … surtout s'il est déjà mort ». La justice est bien ennuyée pour qualifier l'acte et Paul Sorensen, fabricant de housses mortuaires de son état, est condamné à suivre une thérapie pendant un an auprès d'un psy qui a toujours la larme à l'oeil.
Le roman décrit le contenu des séances mensuelles chez ce garagiste de l'inconscient et le récit fait l'étalage des névroses et traumatismes qui permettent de comprendre ce geste insensé. le père, ordure non recyclable, escroc, manipulateur, égoïste a tout pour déplaire. Mauvais père, mauvais mari, mauvais associé, bon à rien, mauvais en tout.
L'humour de Dubois permet d'éviter la noyade dans cet océan lacrymal bien sombre et je n'ai pas eu besoin de sortir ma bouée Canard, anneau de natation que je porte pourtant avec beaucoup d'élégance.
Ce roman pluvieux, qui ravirait Evelyne Dhélia, toujours en dépression en l'absence de dépressions, draine en arrière-plan un thème cher à cet auteur, celui de la solitude qui m'a particulièrement ému. A travers son personnage en carence d'affectation, prêt à se bercer d'illusions en Scandinavie sur les traces d'un grand-père (ancien secrétaire général des Nations Unies), ou son attachement à un chien mystérieux sur les plages de la Côte Basque, le récit souligne que les racines infantiles du sentiment de solitude sont incolores mais qu'elles ne disparaissent pas avec les cheveux blancs. La solitude s'apprivoise mais le solitaire ne se laisse pas apprivoiser.
Comme souvent avec cet écrivain fataliste, j'ai vu que les avis étaient partagés sur ce roman qui n'a rien de pleurnichard. Pour ma part, je n'ai pas eu besoin de sortir les rames et j'apprécie toujours autant la forme de connivence que le style de Jean-Paul Dubois instaure avec le lecteur que je suis. Ses histoires, légères ou sombres, me parlent, ses personnages renfermés me sont familiers. Et puis étant Toulousain, je suis aussi forcément un peu chauvin.
Livre offert par un rayon de soleil qui n'a pas la larme facile.
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Le plus américain des auteurs français nous livre une sorte d'anti-Portnoy sous la forme de confessions à un psy d'un homme pas vraiment obsédé sexuel comme le personnage de Roth, mais plutôt un homme futuriste et anesthésié du désir, un anonyme du sexe qui bavarde de préférence avec une intelligence artificielle dénommée U.No. C'est la justice qui l'oblige à ouvrir la porte à l'interaction thérapeutique – en l'occurrence un psychiatre malade de son oeil qui pleure sans cesse, car Paul avait essayé sa propre voie de guérison : tuer le père, deux fois plutôt qu'une, lui mettre deux balles dans la tête. Un meurtre qui n'en est pas tout à fait un, une sorte de nouveau crime parfait, sûrement pour se libérer et sans le savoir désamorcer la peine ferme, étant donné qu'aux yeux de la justice Paul avait connaissance de l'état préalable de cadavre du père à la morgue, avant de l'occire à nouveau.
Un Paul. Un de plus pourrait-on croire. Mais à l'allure peut-être plus allégorique cette fois. On est en 2031 du côté de Toulouse, les crues bouillonnantes de la Garonne ont succédé à la sècheresse, et Paul Le narrateur connaît l'origine de ses larmes dans la pluie qui tombe à verse, à moins que ça soit plus simplement l'humanité qui pleure. Une hypermnésie inexpliquée de sa naissance lui fait savoir depuis toujours qu'il est né avec un trou en lui en ce 20 février 1980 (30 ans après l'auteur), en ayant perdu par la même occasion son frère jumeau et sa mère. Une vie en échange de deux autres. Pas vraiment étonnant qu'il ait eu besoin 51 ans plus tard de faire des trous dans la tête de son géniteur pervers, celui-là même qui lui offrit pour son sixième anniversaire un canari dont il avait arraché la tête avec ses dents. En plus de la pluie, c'est bien la mort qui trainera ainsi ses guêtres au fil de cette légère dystopie toulousaine, elle s'inscrit en lignée funeste dans la vie de Paul : « Dans notre famille, et dans l'entreprise Stramentum qu'elle dirige, il faut bien convenir que la mort est sans conteste notre égérie, notre actionnaire principale, que je suis le fade héritier de cette firme macabre et très certainement, aussi, le continuateur de la sombre génétique qui l'inspire. »

Jean-Paul Dubois est connu pour ses habitudes – notamment ses personnages de Paul, les tondeuses, les chiens ou les voitures, le fait d'écrire ses romans en un mois – il se reconnaît entre mille dans son art de planter un décor saugrenu pour dérouler le fil d'une prose savoureuse, désenchantée, ironique. Les habitués pourront être surpris ici avec cet écart à peine futuriste qui flaire notre société pour visiter la solitude, la névrose, la perversion ou la crise écologique, mais ils retrouveront leur Paul, pas tout à fait comme les autres, qui semble mêler ses larmes à la pluie incessante d'un dérèglement généralisé. Tout cela rythmé par les sessions mensuelles avec le psy, et l'occasion pour l'auteur de greffer à la vie de Paul nombre de sujets et de réflexions parfois érudites, comme un état de sa mémoire activée par son travail ramassé sur un mois.
Voilà en tout les cas le nième roman d'un auteur toujours en forme qui continue de se renouveler en se réécrivant, un roman profond, noir et beau, à la drôlerie sous-jacente. Un de plus...
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La souffrance étant inévitable, mieux vaut souffrir avec JP Dubois que sans lui.
C'est sensiblement mon ressenti à la sortie de ce roman. Pourtant, avec cet auteur, je suis souvent très bon client, dithyrambique même. Mais là, crotte de bique, je n'y parviens pas.
Dans ma phrase de préambule, remplacez « JP Dubois » par « Jésus » et vous obtiendrez un des propos du livre le plus imprimé au monde après la Bible. Il a été écrit par Thomas a Kempis et sert à l'une des nombreuses et intéressantes digressions qui font le charme des ouvrages de M. Dubois.
Vous prendrez aussi connaissance, à moins que vous soyez plus érudit que moi, de l'existence d'un homme fascinant : Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations Unies de 1953 à 1961 et qui plus est prix Nobel de la paix, et… grand-père de Paul, le personnage principal du roman. Seul souci, Dag, n'a jamais eu d'enfant…
Vous rencontrerez également le peintre coréen Kim Tschang-Yeul, un Dieu vivant, connu pour ses multiples et merveilleuses représentations de gouttes d'eau.
Éventuellement et poétiquement, l'origine des fameuses larmes.
Mais les larmes chez M. Dubois ont de multiples origines. La plus flagrante, la plus lumineuse est la Mort. La mort de sa mère, la mort de son frère jumeau. Cependant, dans ce roman, rien n'est lumineux, tout est obscur, noir, plombant.
La mort y est d'ailleurs traitée comme une vraie délivrance de l'âme torturée, martyrisée, suppliciée de Paul, au point qu'il aille tuer Thomas Lanski son géniteur de 2 balles dans la tête 15 jours après sa mort. Cet homme abject le mérite amplement, je l'ai mesuré au fil des chapitres lors des rencontres mensuelles de Paul et de son psychiatre M. Guzman.
Cette obligation est le fruit pourri de la condamnation de Paul pour avoir ôter la vie à un cadavre.
Cet échange mensuel constitue « le corps » du roman : « Rouvrir les livres de peine, les almanachs de chagrin, les albums d'humiliation, entendre à nouveau jaillir cette voix de carnassier, voir ses mâchoires mastiquer les jours de nos vies. »

Évidemment, par instant, j'ai été happé par les phrases magiques qui déferlent et m'aspergent en pleine face comme le ressac de la vie. Bien sûr, j'ai apprécié les habiles digressions de cet auteur, notamment sur l'intelligence artificielle et sur le dérèglement climatique mais, noyé d'ambivalence, j'ai ressenti un plaisir certain à tourner la dernière page, comme pour repousser la mort trop présente, trop palpable.
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Toute une vie avec la mort.

On a connu Jean-Paul Dubois drôle. Et même très drôle. Il nous revient sombre. Et même très sombre. Mais brillant. Car quelqu'un qui dans un même livre peut faire cohabiter Coleridge, a Kempis, Hammarskjöld, van Ruysadel et j'en passe sans perdre son lecteur ne peut être que brillant.

Dans l'origine des larmes, Dubois nous propose de passer une année avec Paul Sorensen, judiciairement contraint d'une injonction de soins après avoir re-tué son père, expérience de « musculation mémorielle » pour un homme à qui on a dit petit : « Tu es marqué par la mort. Tu devras toute ta vie apprendre avec elle. »

Cette contrainte qui se veut libératoire ne va faire que rouvrir en dix séances les plaies d'une vie sordide, comme les vannes d'un barrage trop longtemps contenu, pour mieux laisser se déverser les flots humides des larmes jamais coulées.

« Je sais ce que je dis. Je connais l'origine des larmes. »

Dehors, le ciel n'en finit pas de se déchainer en cette année 2031 où le dérèglement climatique est à son climax : « Les égouts ne peuvent plus rien avaler, les canalisations débordent et la terre, gorgée, n'absorbe plus rien. »

Dedans, Paul est à peu près dans le même état, égrenant la litanie de ses morts, marqueurs d'une vie passée sous le joug de Lanski, père inhumain, violent, escroc, manipulateur, oppresseur, qui n'est pas sans rappeler parfois celui de Chalandon dans sa mythomanie. Mais en plus destructeur.

« Water, water everywhere, nor any drop to drink.”, disait le vieux marin. Ou quand la mort étrangle toute la vie autour de toi, comment réussir à exister ?

Un livre sombre, parcours sordide avec la mort qui n'aura cessé d'accompagner la non-vie de Paul ; un livre érudit, intelligent, au style travaillé mais toujours accessible ; un livre prenant et touchant, qui fait passer Paul de petit fils de secrétaire général de l'ONU à interlocuteur d'U.No, l'IA devenue son seul ami.

Un livre qui ne s'oublie pas une fois refermé. Brillant, je vous dis.
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Jean-Paul, il faut bien le dire, tu m'as un peu déçue. Certes ce n'est pas fair-play d'attaquer bille en tête par un tutoiement et des reproches mais j'ai tellement aimé La succession et la manière dont ton Paul s'y était livré que je considère que tu es un proche et que j'ai certains droits à te dire tes quatre vérités. Par ailleurs, et sans verser dans le suspect et sadique « Qui aime bien châtie bien », il faut considérer cette déception depuis la hauteur des exigences où je place ceux qui j'aime bien. Oui, au sommet. Depuis la cime où les premières lignes de ton dernier roman m'avaient envoyée aussi d'ailleurs.

Car ça commençait très bien. Dans les premiers chapitres, l'exposition de la situation abracadabrante que tu nous avais concoctée aurait bien occupé tous mes neurones si tu n'avais pas, en plus, semé d'autres indices visant à capter mon attention vers d'autres pistes tout aussi palpitantes et déconcertantes.

Mais procédons avec ordre. La situation initiale est la suivante : Paul (ça alors !), quinquagénaire est entendu par la police pour avoir tiré deux balles dans la cervelle de son père, lequel, décédé depuis quinze jours, reposait depuis à la morgue. L'absurdité de tuer un cadavre, voilà déjà de quoi nous occuper gentiment. Mais il y aura mieux et pire.

Sous couvert de nous livrer une confession sans fard, Paul va nous parler de ce père dont il a trucidé le corps sans vie. Il nous dira notamment son habitude « d'installer le tangage initial », d'instaurer un malaise relationnel dès la première rencontre à l'aide d'une phrase sans aucun rapport avec le contexte et les attentes qu'il porte. le but de cette manoeuvre ? le père de Paul le confesse fièrement : « Quand je démarre ainsi un entretien, je sais que durant toute la conversation l'esprit du type que j'ai en face sera parasité par ce que je lui ai dit au tout début. (…) c'est comme ça que je rentre dans sa tête. » Ok, un père manipulateur, intrusif et redoutable d'intelligence tactique. Ca ira justifier les pruneaux dans la boîte crânienne du macchabé.

Sauf que, tu nous apprends ensuite que le procureur qui recevra Paul après l'interrogatoire nécessaire à la constitution du dossier d'instruction « essaye de vous embrouiller la tête dès le début » afin d'intimider ses interlocuteurs lui aussi. Bien. Les catégories et les rôles ne sont pas plus tôt posés qu'aussitôt chahutés par des tangages improbables mais néanmoins malicieusement exhibés. Ah Jean-Paul, toi tu sais comment me faire kiffer !

A ce petit jeu des forces en présence, double trouble évidant les certitudes, tu ajoutes des formules d'une exactitude confondante comme lorsque tu parles du « tissu profond de ma réalité » qui suit de peu l'intrusion incontestablement traumatique de ce pauvre canari offert à Paul par son père à ses six ans. Sidération du lecteur qui vient de se prendre un direct du gauche canariesque avant de recevoir cette tournure en forme d'uppercut. KO, le lecteur.

Et puis, pour faire bonne mesure, tu ajoutes un climat apocalyptique, un temps si diluvien qu'il faudrait être obtus pour refuser de creuser une interprétation biblique à ce parricide post mortem. Allons-y donc et chargeons la barque de purification par les eaux, de châtiment, de nouvelle alliance, après tout, avec tout ce qu'on embarque déjà, pourquoi pas ça aussi ?

Ce qui nous fait au final, et après pas 40 pages, une sacrée pelote de fils à tenir, un nombre colossal d'interprétations en attente de validation. Ou d'occasions de ne plus être très sûr de ses bases. Oh, toi !

Bref, tu m'as baladée, chahutée, séduite, emberlificotée dans la toile dense de tes fils narratifs, symboliques. Les oreilles remuant en rythme, j'ai couru chercher tous les bâtons que je croyais te voir m'envoyer, ai ramené les leurres que j'ai fièrement décelés, ai jappé de bonheur à voir cette complicité entre toi et moi que tu investissais avec tant de brio. Watson, c'est moi ! Et pourtant, je n'aime pas les chiens, c'est dire si t'es fort et l'effet que tu m'as fait.

(Watson, dans L'origine des larmes, c'est le chien dont l'existence est moins avérée que ses effets. Chien que Paul retrouve peut-être en rêve, peut-être en vrai sur les plages d'Hendaye. le seul être vivant, enfin réel au moins, qui lui apporte la joie d'une relation épanouie. C'est aussi le chien de la Succession. Mais tu es coutumier, parait-il, cher Jean-Paul, de laisser égarer des figures récurrentes dans tes différents romans. C'aurait pu être pire, une tondeuse ou un avion d'après ce que j'ai retenu.)

Bref… pour ceux qu'intéresse le roman en lui-même, il faut savoir qu'un juge aura accepté de condamner notre Paul à une obligation de soins d'un an et que les chapitres suivant rendront compte de ce qui n'est pas une thérapie mais réunira un peu plus de douze fois Paul et le psychiatre Frédéric Guzman, l'homme qui, comme son homonyme, « rend lumineux tous les sentiers » (Rhô, JP, t'exagères, pas moyen d'être juste premier degré avec toi, hein !).

Ce dispositif sera le support d'une confession et révèlera les principaux éléments biographiques ayant, plus ou moins conduits à cet assassinat d'un mort. Une mère morte en couches. Un frère jumeau lui aussi décédé, faisant du jour de sa naissance le jour de sa mort et laissant quelques lacunes dans la vie de Paul. Une mère adoptive parfaitement idéale et un père monstrueux, diabolique, sadique et tout puissant. du pain bénit pour un psychanalyste ou je ne m'y connais pas !

Alors, alors, où le bât blesse-t-il au point que, malgré les jappements et les louanges que je t'adresse depuis le début de ce billet, ce soit sous le signe de la déception que je l'aie amorcé ?

Eh bien c'est que, passé ce feu d'artifice initial, j'ai pas trouvé que tu te sois des masses foulé. Et que, à mon sens, ce ne sont plus des points communs, mais carrément une redite de la Succession que tu nous as jouée, là. On a remplacé la pelote basque par les housses mortuaires et leur environnement marketing, la Norvège et ses lunde par la Suède et une Intelligence Artificielle mais, mis à part ces minuscules décalages, on est exactement dans le même schéma.

Alors, d'une part ça fait redite (et pas de bol, La Succession, je l'ai lu y a pas trois semaines, forcément c'est encore assez frais pour que le livre n'ait pas été absorbé par les trous de mes chenilles processionnaires aka hespérophanes domestiques). D'autre part, et c'est là où je trouve, sauf le respect que je te dois, que tu fais un peu du sur place, c'est que si le dispositif de la Succession tenait sur le principe d'un tragique digne de la Grèce antique, là, tu as introduit un psychiatre et partant, une possibilité d'élaboration et de soin. Dont tu ne fais rien !

Enfin si, on se marre bien à voir l'hypocondrie de Guzman s'harnacher de Dacryoserum, puis de masque, puis de gants (noli me tangere ?), à surprendre ce brave Paul remettre les entretiens sur rail et proposer une interprétation des motivations du psychiatre à telle ou telle entorse.

Donc on se marre. Mais on n'avance pas. L'obligation de soins est prétexte à l'exhibition d'un récit qui n'est pas ré-élaboré dans la relation avec le médecin. C'est juste posé là et sans aucune influence sur le cours des événements faisant suite à tant de malheurs. C'est construit de tout temps et parfaitement inaccessible.

Alors de deux choses l'une, soit la psychiatrie est un leurre dont on se moque et c'est une impasse que tu as voulu dénoncer. Mais alors on retombe sur notre conclusion de la Succession : la liberté individuelle n'existe pas et quand on a eu la cervelle vérolée par un monstre, y a plus qu'à riposter par un talion inutile et tirer sa révérence. Face au tragique, la médecine peut aller se rhabiller, elle ne fait pas le poids. Mais alors à quoi bon réécrire autrement ce que tu avais déjà dit ?

Soit tu as calé et, après un démarrage en fanfare, tu t'es contenté de recycler une recette éprouvée. Ce qui n'est pas à la mesure de ton talent.

Car tu es ce type capable de nous proposer une appréhension prosaïque et familière de l'abyssal tragique de l'existence. Tu ne mens sur rien, pas plus sur la gravité des séquelles que sur la monstruosité de personnalités abjectes. Mais, avec toi, aussi irrévocables qu'en soient les conséquences, il n'y a pas lieu d'en faire un plat et de se répandre. Il n'y a pas lieu d'hystériser pour en avoir peur en plus. C'est bien assez terrifiant comme cela sans en plus en faire des caisses. Et c'est cette cohabitation ordinaire et connue avec le désastre que tu sais si bien rendre. Là où d'autres auraient joué de l'inquiétante étrangeté et se seraient effarouchés d'un rideau dont la pénombre entretenue aurait fait un spectre, toi tu chemines avec la mort, jongles avec les vrais ossements, ceux qui ont fait ce « travail d'archivage » et contiennent, aussi vrai que je t'écris, ta « détresse archaïque ». Rien que pour cela, te voilà du côté de mes écrivains de coeur, de Beckett, d'Houellebecq, je te l'ai déjà dit, je crois.

Alors dis-moi, quand on a ce souffle, cette puissance d'évocation qui ne se la joue pas, cette capacité à convoquer tant d'échos et de signes, peut-on vraiment se contenter de tourner en rond et d'offrir la même impasse dans deux de ses livres ? Allez Jean-Paul, ne lâchons rien et cherchons encore ! Je crois en toi, moi !

***********

Ps. C'est un peu cruel de taxer un auteur de se répéter quand on n'a lu que deux de ses ouvrages. Et je me demande forcément si tous les autres titres font de même, ce que je ne veux pas croire. Alors, vous qui êtes fans de JP Dubois et qui avez tout lu de lui, qu'en dites-vous ? Pouvez-vous me recommander un autre titre qui échappe à cette trame-ci ?
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Paul naît en 1980 en perdant, ce jour là son frère jumeau et sa mère. Il est élevé à Toulouse par un père épouvantable, Thomas Lanski et une mère de substitution, la bienveillante Marta Sorensen dont il héritera du nom et de l'entreprise. Les circonstances et les événements qui surviennent ensuite jusqu'en 2031, date de la mort de son père seront dévoilés progressivement au cours de rendez-vous réguliers qu'il aura avec le psychiatre Guzman. Un roman étonnant par sa noirceur, par la violence du traumatisme subit par Paul qui apparaîtra au fil de ses entretiens avec le thérapeute et la diversité des thèmes abordés. Un livre érudit, intelligent et touchant qui ne peut laisser indifférent !
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Jean -Paul Dubois écrit toujours un peu le même livre: le deuil, la perte, la solitude finale, la mort... Mais les variations ne manquent pas de talent, telle celle -ci.
On y rencontre un psychiatre bien sympathique, comme dans Kennedy et moi, Toulouse, comme dans beaucoup de ses romans, un héros qui se débat avec un passé familial compliqué et avec le chien noir de la dépression (à ne pas confondre avec les chiens bien réels et bien -aimes du narrateur, et une pluie d'apocalypse qui s'abat interminablement sur Toulouse
Métaphore de la dépression ? Je laisse au psychiatre du roman le soin d'en décider et de démêler les possibles difficultés du narrateur avec son histoire et son Oedipe.
Cette pluie m'intéresse à un autre point de vue : c'est le premier pas de l'auteur dans le domaine de l'anticipation proche, où se risquent de plus en plus d'auteurs de littérature générale. Cela doit bien signifier quelque chose, mais quoi ? Il est tentant d'y voir une angoisse croissante devant les menaces qui se profilent, ou une tentative de les exorciser, ou peut-être aussi un sentiment croissant d'étrangeté dû à l'impression d'habiter déjà notre propre futur tellement le monde où nous vivons nous paraît parfois étranger
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Je suis très partagée.
D'un côté le sujet est intéressant, mais de l'autre c'est, pour moi, le plus sombre et le plus dépressif des romans de Jean-Paul Dubois.
Je l'ai vu à LGL mercredi dernier, et il m'a paru fatigué, désabusé, limite mal dans sa peau. Il est revenu sur son enfance chez les Jésuites ; mauvais souvenirs, voire plus....

L'intrigue est originale ; un homme Paul (comme par hasard), a eu un père, ou plutôt un géniteur épouvantable, méchant, ignoble, une belle ordure.
Il le conchie tant, qu' il lui tire deux balles dans la tête dans la morgue alors que le bougre est déjà décédé.
La justice le condamne à un an de soins psychiatriques, en voyant un thérapeute tous les mois. Obligation de soins.

Chacun le sait (ou pas), mais une thérapie ça gêne aux entournures, ça fait mal, ça tire de partout, ça met KO, ça remue, ça reflue des odeurs nauséabondes, et un climat franchement délétère et anxiogène.
C'est un fait, pour aller mieux, il faut raviner, bousculer, sortir de sa zone de confort comme on dit. Rouvrir les plaies pour enfin les désinfecter et les recoudre, mais avec du bon fil. Et oui, cela peut prendre des années.

Je ne vous raconterai pas ces douze mois, mais sachez que, pour moi, il n'y a rien de comique, de burlesque et de "youpi youp'la boum".
Non. Ce sont des sujets bien plombants, une vie triste et les deuils impossibles de Paul concernant sa génitrice et son jumeau, tous deux morts lors de l'accouchement.
C'est bien connu, les rescapés se sentent coupables d'être encore en vie.

Et puis il est question de chiens, qui valent mieux que les humains.
(C'est mon avis depuis bien longtemps, avec ma meute de canidés).
Gageons que l'auteur en a adopté. Il en parle si bien...

Beaucoup d'épreuves font le lit de ce beau livre, certes, mais terriblement triste et mortifère.
J'ai eu du mal à le terminer, pas envie, pas prête peut-être, pas très enthousiaste.
Les réflexions de Paul pendant sa thérapie prêtent parfois à sourire, mais c'est tout, et c'est bien peu.

Et les larmes dans tout cela ?
Cela baigne (c'est le cas de le dire) durant tout le livre.
Le thérapeute dont l'oeil, malade, coule sans discontinuer.
L'eau qui ne cesse de pleuvoir dans Toulouse en 2031.
Un peintre coréen qui peint de nombreuses gouttes d'eau sous toutes ses formes.
Cela apaisera un temps Paul. Mais pas pour longtemps, jamais pour longtemps.

Le temps est assassin.
De même que les larmes.
Ne nous noyons pas.
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Quand un compagnonnage s'établit depuis une trentaine d'années avec un auteur, est-ce que cela empêche d'être exigeant à son égard, nonobstant une tendresse; qui à jamais perdurera ? Bien entendu que non, même si un soupçon d'indulgence aurait pu naître, si d'aventure le cru 2024 de Jean-Paul Dubois, puisqu'il s'agit de lui, avait été moins marquant, à l'aune de ses plus étincelantes réussites. Tout ce fastidieux préambule pour en venir au fait : L'origine des larmes est un livre formidable, dans la continuité d'une oeuvre si précieuse, mais aussi différent, de par un ton plus sombre qu'à l'accoutumée, causé sans doute par l'état lamentable du monde actuel mais aussi par l'avancement en âge de l'écrivain, qui rend rarement optimiste quant aux années qu'il reste à vivre. le roman se situe en 2031, alors que le climat, détraqué, charrie des trombes d'eau à Toulouse (évidemment) comme ailleurs sur la planète. Que d'eau, que d'eau, la météo crée une ambiance particulière dans une intrigue dont seul Dubois a le secret. Quoi de plus absurde que de tirer deux balles dans la tête d'un homme à la morgue, qui plus est quand le susdit est le géniteur de "l'assassin post-mortem" ? Rien de plus naturel ou presque, si l'on considère que ce dernier était le fils du diable, eu égard à l'ignoble comportement du défunt, durant sa pitoyable existence. Construit en flashbacks impressionnistes et fourmillant de détails tragi-comiques, comme la profession du narrateur, gérant d'une entreprise de housses mortuaires, L'origine des larmes est un livre qui nous fait souffrir et jubiler en même temps. Nul besoin d'en dire davantage, le plaisir du style, de l'ironie mélancolique et de l'inventivité de Jean-Paul Dubois reste inénarrable.
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Qui aime Paul aime Jean Paul. C'est mon cas ! Ravie par la lecture de livre, triste d'arriver si vite au bout.
Paul est assigné à suivre un thérapeute durant un an et chaque séance est un prétexte pour raconter un pan de sa vie et aussi pourquoi il doit s'y confronter. Je vous fais grâce du résumé...
Cela pourrait sembler à peine décousu si un fil, le fil, ne nous accompagne tout au long de ces douze séances. le fait que le roman se déroule en 2031 ajoute une dimension "amusante" et totalement justifiée.
Un bon cru !
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