Le cancer pourrait être une terre d'initiation -pas l'initiation en elle-même mais la crise qui provoque la nuit de l'âme. Faudrait encore qu'on en laisse la possibilité au malade, à l'hôpital et quand il rentre chez lui. de plus se laisser berner.
« Bien sûr, idéalement, nous pourrions nous passer de maladie pour cela et entreprendre le même chemin. Et pourtant, nous les humains, nous sommes si peu simples… qu'il semble que nous ayons besoin d'une « catastrophe » pour commencer à se penser « être en pensée » ; tout en étant assurés que faire le chemin n'éloignera pas la maladie pour autant. »
Je vais encore parler de Jung qui désigne par « individuation » cette mise en pensée. On ne peut pas lui trouver de terme final car l'individuation est un chemin en spirale. On passe toujours par les mêmes étapes mais à chaque fois, le niveau de conscience est plus élevé, on réduit le différentiel Soi-moi. Chaque étape est marquée par cette plongée dans les ténèbres dont on doit se relever seul –même si on peut être guidé pour trouver les forces et sortir d'un mode de fonctionnement binaire. le guide pourrait déconcerter. S'il est sage, c'est d'une sagesse qui est celle du Qohéleth, et qui renvoie au Qohéleth intérieur de chacun.
« Toutes les paroles sont usées : personne ne peut plus rien proférer ; l'oeil n'est pas comblé de voir, ni l'oreille remplie de ce qu'elle entend. Ce qui a été, cela sera et ce qui a été fait, cela sera fait. Il n'y a rien de neuf sous le soleil ! » (Qo. I, 8-9)
« Car dans l'abondance de sagesse, il y a l'abondance de souci, et celui qui ajoute au savoir, ajoute à la peine. » (Qo. I, 16-18)
« Il n'y a de bonheur pour l'homme que de manger et de boire, et de lui faire expérimenter le bonheur dans son labeur. Cela aussi je l'ai expérimenté, comme venant de la main de Dieu, car qui peut manger et se réjouir en dehors de moi ? » (Qo. 2, 24b-25)
Eric Dudoit nous dit que la vérité est un lieu, et c'est le désert. Ici, le cancer envoie les malades dans le désert pour l'expérience de déréliction. Les liens sont coupés. Contre tout illusion prométhéenne (culpabilisante, on le dit pas souvent), Eric rappelle qu'il n'y a pas de victoire à conquérir sur le cancer : « si toutefois il y a un combat, c'est un combat envers nous-même et comme tout combat envers nous-même, il commence par le travail sur la haine et l'amour que nous nous portons et que nous portons au monde ».
La volonté de guérir serait un leurre et si la maladie peut être psychosomatique, nous ne sommes absolument pas assurés de l'existence d'une relation causale entre le corps et l'esprit. Si l'individuation demande de dépasser le mode de fonctionnement binaire de l'appareil psychique, il faut le chasser aussi dans notre appréhension de la maladie. Entre victoire et défaite, il existe peut-être une troisième voie au-delà des concepts et de la théorie.
« [Le vrai] guerrier n'est pas celui qui a une volonté de fer, c'est celui qui a une acuité très claire de ses forces, une lucidité évidente qui lui permet de les ménager, ou au contraire de les mettre en action à des moments clés. […] C'est ainsi qu'un patient peut « gagner » la guerre contre le cancer… en en mourant. »