On apprécie le chatoiement des couleurs, la richesse d'un tableau, le moelleux d'un fauteuil. On évolue à l'aise dans un cadre spécialement conçu pour soi. On manipule avec bonheur des objets sélectionnés pour le confort et le plaisir. On confère une âme au décor nous entourant, car on le choisit à notre ressemblance. Et d'y contempler notre propre image nous sécurise.
Mais que survienne une crise existentielle, que soufflent des vents dévastateurs et semeurs de mort, et le bel environnement rassurant s'effondre et n'existe plus. L'essentiel ne se trouve pas là, de toute évidence. Mais à quoi se raccrocher pour tenir le coup, garder le cap sur l'espoir?
Dans mon milieu, la performance se nourrit d'adulation et de flatterie. Et les femmes sont féroces, crois-moi. Certes, on reconnaît le talent et on le porte bien haut, mais combien de femmes douées se sont rapidement transformées en artistes prétentieuses et présomptueuses, aux limites du supportable. Tandis que toi, Mireille, tu pousses l'ingénuité jusqu'à ignorer tes propres habiletés, renonçant même à les développer par humilité. Pourtant, Dieu sait que le talent et la facilité ne te manquent pas!
Curieuse relation familiale que celle où l'on vivait parallèlement sans jamais se rejoindre. On marchait pourtant dans la même direction, on se voyait, on s'entendait, on se touchait mais on oubliait de se regarder l'un et l'autre, de s'écouter, de laisser parler son cœur. Pire, on évitait de se laisser atteindre l'un par l'autre, comme si un lamentable rempart psychologique se dressait mystérieusement entre les êtres. Alors on finissait par s'ignorer malgré la proximité, chacun s'isolant de plus en plus dans son petit univers comme dans une cage de verre. Et le verre se dépolissait, s'épaississait jusqu'à devenir résistant aux plus grandes intempéries comme aux plus grandes joies et aux plus grandes peines. Seules les véritables tempêtes causées par des événements majeurs avaient le pouvoir de jeter ces murs par terre et de rapprocher les êtres, quand il n'était pas trop tard.
La mort se montre plus effroyable envers ceux qui restent que pour ceux qui partent. La vie crée des liens que l'on croit indestructibles, si profondément enracinés au fond de nous-mêmes que de les arracher nous fait mourir un peu. La faucheuse ne tue pas qu'une seule créature à la ibis, elle détruit en même temps une partie de ceux qui la portent dans leur cœur. Pendant des années, des êtres se rapprochent jusqu'à se fusionner et se reconnaître l'un dans l'autre. Puis un bon matin, bien souvent sans avertir, la mort s'empare de l'un et l'anéantit dans le silence et l'absence. On se console avec l'idée que l'être aimé continue d'exister à l'intérieur de soi, mais au fond, on sait bien qu'il ne reviendra pas de là où il est allé et ne répondra plus jamais concrètement à nos confidences et à nos prières. Le vide s'installe alors et n'a d'égal que l'horreur du désespoir.
Aimer un homme marié, l'arracher à sa femme et à ses enfants, briser sa famille pour se l'approprier tout entier, Mireille ne le pourrait jamais sans tourmenter sa conscience. Oh! le divorce se présentait comme une chose de plus en plus courante dans notre société actuelle, mais, pour rien au monde, elle ne voudrait en devenir l'instigatrice ou l'élément déclencheur.
À son âge, elle pouvait encore se permettre de rêver à un homme tout neuf et sans passé, lui appartenant à elle seule et en toute exclusivité. Un homme libre, non absorbé en grande partie par sa propre famille lui réclamant bien légitimement du temps, de l'attention et de l'affection. Un homme sans autre femme dans sa vie, sans liens avec une épouse tout tissés de souvenirs passés autant que de vieilles habitudes présentes dans un quotidien encore partagé
Micheline Duff, Mon cri pour toi