Parfois, avec le recul, elle avait l’impression de voir son mariage s’en aller à la dérive, marqué du sceau de l’incompréhension et de l’indifférence de son mari. Indifférence glaciale et choquante. Indifférence inacceptable. Au retour, elle allait exiger une sérieuse conversation afin de mettre les choses au point. L’habitude et la routine sclérosantes, comme chez un vieux couple, avaient sans doute embrigadé Alain dans son carcan de rationalité et son petit monde bien à lui.
La curiosité intellectuelle et son travail d’écrivaine constitueraient dorénavant les principaux moteurs de sa nouvelle vie, et Marjolaine avait l’intention de s’y consacrer corps et âme. Si quelqu’un lui demandait de résumer les effets bénéfiques de son séjour à Manuello en une seule phrase, elle affirmerait avoir pris conscience non seulement de l’importance de son métier d’auteur, mais aussi de sa capacité de l’exercer envers et contre tout, envers et contre tous. Même de sa famille !
À bien y songer, si un puissant coup s’était produit depuis la veille, c’était bien davantage celui-là que le coup de foudre avec Ivan Solveye ! Un coup assommant, un coup destructeur. Si le manque d’intérêt n’avait fonctionné qu’à sens unique, ces dernières années, le contexte actuel, lui, venait à cette minute précise de prendre un virage drastique et de niveler les enjeux.
« Tu n’as qu’une vie à vivre… Profite de ce qui passe ! » L’heure avait-elle sonné de mettre cette consigne en pratique ? À bien y songer, pour « profiter de ce qui passe », risquait-elle vraiment la casse et le grabuge dans sa famille ou bien se payerait-elle simplement du bon temps sans conséquence durant quelques jours ?
On se disait deux amis… Mais ce que je ressens pour toi représente bien davantage. Comment ne pas t’aimer ? Ah, mon amour, mon amour, tout cela a provoqué en moi une explosion de lumière, comme si tu avais réussi à me parachuter dans une autre sphère de l’existence.
Micheline Duff, Mon cri pour toi