Étrange tout de même, cette impression de grandeur quand on regarde en bas, par le hublot, ces villes rapetissées à la dimension de blocs d’enfants amoncelés dont les habitants deviennent réduits à des poussières pour ainsi dire invisibles. Moins que des fourmis, les humanoïdes! Quasi inexistants, les hommes, quand on les regarde d’en haut! Des riens! Mais des riens qui possèdent une âme, ont une qualité de vie, des riens qui pensent, réfléchissent, inventent, aiment et rêvent, rient et pleurent, des riens qui veulent vivre! Des riens qui s’approprient un peu de temps pour remplir un peu d’espace… Et quand ils meurent, les riens, il ne reste que le vide. Et le silence. Ils redeviennent des riens à l’état pur. Où vont-ils? Effacés, oubliés, disparus dans l’absolu, les petits êtres de la terre, quand ils meurent… Des riens…
Dieu avait tout de même laissé aux humains un lieu de délices et de ressourcement incomparable, un lieu de repos absolu d’où l’homme revenait frais et dispos, prêt à réinventer un jour nouveau : le sommeil. Jamais, durant sa vie, Florence n’avait connu ce lieu de toutes les bienfaisances. Nuits de solitude, nuits d’attente, nuits de peur, nuits blanches, nuits de chagrin… Pour elle, trop souvent la nuit avait ressemblé à une vallée de larmes. Et le matin la trouvait invariablement fripée et les yeux cernés.
Pour aimer la vie, il faut y mordre à belles dents, vivre des expériences passionnantes, cultiver la fierté de soi, ne jamais quitter des yeux la petite lumière qui nous guide au bout des tunnels que le destin ne manque pas de jeter sur notre chemin de temps à autre. Il faut connaître l’amour au moins une fois…
Elle ne voyait pas le temps passer. Les mots, porteurs de libération, la vidaient, la délestaient du poids trop lourd de l’amertume. Elle vivait tout à coup dans une autre dimension, un monde candide et imaginaire pourtant bien réel dans son esprit. Un monde où se réfugier et qui n’appartenait qu’à elle. Un monde où, enfin, pour la première fois de sa vie, elle exerçait un certain pouvoir et avait la mainmise sur ce qui se passait. Un monde où Florence Coulombe-Vachon contrôlait tout et retournait les événements à sa manière, ouverte et positive. Un monde où elle prenait une sorte de revanche sur son destin. Un monde plus lucide, plus lumineux…
Qu’importe, elle allait imaginer cette jeunesse inconnue d’elle. Dans le texte romancé, avec la magie des mots, elle esquissa sur les pages blanches le corps du jeune colosse et lui prêta des ref lets de beauté, de force et de fraîcheur. De plus, elle dota cet Yves Montpetit fictif d’une personnalité imprégnée de bonté, heureux mélange du Vincent de ses souvenirs et du Philippe des temps présents. Elle se sentit presque jalouse de la femme qui attisa l’amour du bel étudiant en médecine. Hélas, le destin allait mener la mère de ses enfants vers une aliénation mentale irréversible et dramatique. Cette histoire ne pouvait y échapper.
Micheline Duff, Mon cri pour toi