Retour sur un fait divers : en décembre 1949 à Savigny-sur-Orge, une femme tue son mari puis découpe son corps en morceaux qu'elle lance ensuite, par petits bouts et en plusieurs fois, du haut d'un viaduc sur des trains circulant en-dessous. Les parties du corps sont ensuite retrouvées éparpillées un peu partout en France. Lors du procès de 1952,
Marguerite DURAS s'intéresse de près à cette affaire. En 1960, elle en écrit une pièce de théâtre, «
Les viaducs de la Seine-et-Oise », mais peu satisfaite du résultat, elle reprend son travail pour un roman intitulé «
l'amante anglaise ».
Dans un bistrot de la petite ville de Viorne où a eu lieu un homicide, les clients discutent à bâtons rompus sur ce crime d'une vieille dame sourde et aveugle de naissance,
Marie-Thérèse, survenu tout près de chez eux. Puis une des protagonistes, Claire, femme mariée à Pierre, souffle à l'oreille d'Alfonso, un ami, qu'il doit confier à l'assemblée qu'elle est la meurtrière de
Marie-Thérèse. Elle a bien tué sa propre cousine, puis a découpé le corps sans vie dans la cave avant que les morceaux ne soient retrouvés sur des trains, un peu partout en France. Or ces trains sont tous passés récemment sous le viaduc de Viorne. Quant aux bouts de cadavres, une fois le corps reconstitué, il s'avère qu'ils appartiennent à une même victime,
Marie-Thérèse. Seule la tête manque à l'appel.
Ce livre se présente en trois parties distinctes : la réunion improvisée au bar, suivie de l'interrogatoire de Pierre, mari de Claire, par une personne dont on ne saura rien, mais qui est précisément en train d'écrire un livre sur l'affaire de Viorne. La discussion sera enregistrée. La troisième partie est l'interrogatoire de Claire, la criminelle.
Dans ce roman assez bref, l'atmosphère est terriblement Simenonienne, à ceci près que l'on connaît d'ores et déjà la coupable (comme dans Columbo), que le décor est absent, le scénario se concentrant exclusivement sur les dialogues. le style est minimaliste, dépouillé, froid et distant. L'intervieweur posent des questions précises auxquelles Pierre puis Claire ont parfois du mal à répondre. le climat est spongieux, humide alors que le livre s'écrit peu à peu par le personnage posant les questions.
Claire et Pierre sont mariés depuis 24 ans.
Marie-Thérèse, la défunte, cousine de Claire, travaillait et vivait chez eux depuis 21 ans. Quel est le mobile ? Mieux : y'en a-t-il un ? Au fil de l'histoire, certains masques tombent, Pierre puis Claire se confient par petite touches. Comme chez
SIMENON, l'exercice psychologique est minutieux, cruel. Claire a aimé jadis du côté de Cahors, mais y'a-t-il un lien entre ce passé et le crime ?
Toutes les questions que nous nous posons n'obtiendront pas de réponse. Mais le but n'est-il pas ailleurs ? N'est-il pas de mettre l'accent sur un vieux couple fatigué, sans passion, dans lequel l'épouse passe pour folle ? Son but ne serait-il pas de braquer la caméra sur la condition de la femme dans la société française de l'après-guerre ? Un crime ne résout rien mais il est l'achèvement d'une vie détestée pour laisser place à une existence inconnue, celle d'accusée. Les dialogues sont âpres, parfois violents : « Je savais bien qu'on ne sauve pas quelqu'un qui se fiche d'être sauvé ou non. Je l'aurais sauvée de quoi ? Je n'ai pas de préjugés contre les putains ou les femmes qui font la vie ».
Ce texte fort se lit lentement, il est une sorte de faux roman policier où le fait divers et l'enquête ne sont que prétextes à des questionnements plus universels.
Marguerite DURAS se moque de l'environnement de ses personnages, elle les laisse évoluer sans cadre ni agencement, comme livrés à eux-mêmes sans rien à se raccrocher. Quant au titre mystérieux, il vous faudra vous armer de patience pour en connaître la véritable signification. Un superbe texte sur le naufrage d'un couple et son achèvement par un geste inouï et définitif.
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