Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu
Marguerite Duras. Pourtant c'est le cas. Des citations s'éparpillent sur mes cahiers de notes. J'ai lu un livre d'elle et je n'en ai aucun souvenir. Mes orgies livresques sont parfois si nombreuses que je me perds moi-même. Lorsqu'on fait dans le démesuré, nous avons tendance à se perdre, j'imagine.
Ce livre est démesuré. Pour autant,
Marguerite Duras ne se perd pas ici. Elle suit un fil conducteur visible d'elle seule et nous amène à elle, car l'écriture
c'est toute sa vie. Dans cette sorte d'autobiographie de l'écriture,
Marguerite Duras nous raconte dans sa langue singulière comment, où et pourquoi elle a toujours écrit.
Ecrire est un texte court d'une cinquantaine de pages, complété dans l'édition folio par quelques exemples de son cru : La mort du jeune aviateur anglais, Roma, le nombre pur et L'exposition de la peinture. L'écriture a toujours été présente pour elle. Tous les prétextes sont bons pour
écrire, dit-elle :
l'amour d'une mère pour son enfant, l'horreur de la guerre, Rome … Or, lire « c'est
écrire » nous dit-elle. Elle commence à
écrire sur l'écriture tout aussi naturellement qu'elle l'a fait pour ses romans ou pour des scenarii. Est-on surpris ? Pas le moins du monde. Partout elle a clamé qu'
écrire était indissociable de la vie. Pour elle, l'écrivain est une personne totalement engagée dans son existence, puisant indéfiniment dans son expérience des sujets d'écriture. Et elle nous le prouve à travers cette oeuvre qu'elle a écrit à la fin de sa vie. C'est en écrivant qu'elle a appris qui elle était. C'est à travers la solitude vitale que l'écriture s'est faite. L'écriture contient en son essence une solitude nécessaire pour naître, précise-t-elle. Peu importe où nous nous trouvons, l'écriture s'emporte partout. Elle est en nous. La solitude ne se trouve pas. « On la fait (…) Il m'a fallu vingt ans pour
écrire ce que je viens de dire là ».
Duras se livre complètement, comme toujours. Les mots ne sont jamais utilisés à moitié avec elle. Ils sont pleinement utilisés, dit, redit, écrabouillés et ressuscités comme par magie. Elle nous confie ses lieux d'écritures puis nous fait l'apologie de sa vie par les mots qui ont bercés son existence et qui l'ont aussi sauvée : « Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi-totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera. Etre sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre c'est se trouver, se retrouver devant un livre ».
Et elle écrit des mots les uns à la suite des autres. Nous suivons médusés, attirés puis parfois, peut être, révulsés ou fatigués. Elle est entière cette femme. Elle ne mâche pas ses mots. Malgré tout, on la suit toujours, happé. Tout devient écrit lorsqu'on écrit, nous dit-elle. Les fumeurs voient bien des cafés partout. Beaucoup de lecteurs et d'écrivains voient, quant à eux, des mots partout : sur leurs corps, sur les visages des gens qu'ils croisent…
Heureusement, tout le monde n'est pas comme ça. Je suis consciente qu'en écrivant que « tout est écrit lorsqu'on écrit » certains peuvent avoir le tournis, si ce n'est pas déjà fait. Ce n'est même pas dans l'air du temps. Ceci parait incroyable parce qu'à mille lieues des pensées véhiculées par les médias. L'écriture rend fou. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est
Marguerite Duras. Ce pourrait-être juste son écriture qui rend malade.
C'est tout à fait possible. Ce n'est pas moi qui le dis et pourtant je comprends tout à fait son propos.
Ecrire rend fou.
Ecrire nous permet de renaître souvent. Non seulement il est parfois difficile de transmettre les idées que l'on a en soi mais le travail d'écriture est une remise en question. Faut dire que c'est « curieux un écrivain » nous dit
Duras. En effet, précise-t-elle, il ose
écrire « l'inconnu qu'il porte » en lui. Il ne sait jamais ce qu'il va
écrire tant qu'il n'a pas essayé. Et le voilà qui part à l'inconnu, tout seul… L'écrit se fait dans la solitude rappelons-le.
« L'écriture c'est l'inconnu. Avant d'
écrire on ne sait rien de ce qu'on va
écrire. Et en tout lucidité. C'est l'inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n'est même pas une réflexion,
écrire, c'est une sorte de faculté qu'on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d'une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d'en perdre la vie. »
Pourtant, ne lui en voulons pas s'il nous laisse derrière lui car le chemin que l'écrivain s'apprête à suivre n'est pas toujours une sinécure à en croire
Duras.
Ecrire, pour
Marguerite Duras, c'est aussi dire et répéter une histoire douloureuse et occasionnant de véritables tortures même des décennies plus tard telles que celles de la mort de l'aviateur anglais.
Ecrire, pour elle, ce n'est pas facile. « J'ai voulu
écrire sur lui l'enfant anglais. Et je ne peux plus
écrire sur lui. Et j'écris vous voyez, quand même, j'écris. C'est parce que j'en écris que je ne sais pas que ça peut être écrit. Je sais que ce n'est pas un récit. C'est un fait brutal, isolé, sans écho. » Elle essaie. Elle aligne les mots mais l'acte d'
écrire reste une souffrance. Elle écrit alors : « Je ne peux rien
écrire. Il y aurait alors du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés, aussitôt. »
Ecrire en transmettant l'émotion du fait…. Pas si facile, n'est-ce pas ?
Pourquoi
écrire donc? Et pourquoi pas d'abord !
Pardon, ce n'est pas à moi de répondre….
« J'écris à cause de cette chance que j'ai de me mêler de tout, à tout».
Ce livre de
Marguerite Duras est un essai peut-être, une réflexion ou une autobiographie de l'écriture... Difficile de d
écrire cet ensemble de feuillets. Elle-même ne sait pas :
« Ce livre n'est pas un livre. Ce n'est pas une chanson. Ni un poème. Ni des pensées. » Ce livre ? Il n'est qu'un ramassis d'émotions toutes plus douloureuses les une que les autres. Ce pourrait être intéressant à lire nous dit-elle, certes, mais en rien dissemblable d'une « publicité ». C'est dit !
J'ajouterai juste que ce livre est une bonne entrée en matière pour découvrir l'auteur. Il reflète parfaitement les contradictions, la poésie, la difficulté et le bonheur de la lire… Ce livre est court de mots mais longs en termes de réflexions qu'il suscite. Il est d'ici mais il n'a aucun pays.
« C'est ça l'écriture. C'est le train de l'écrit qui passe par votre corps. le traverse. C'est de là qu'on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup, s'emparent de vous. »
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