L'érudit essai de
Mircea Eliade, aussi subtil soit-il dans sa volonté de faire comprendre au lecteur occidental les nuances d'une discipline qui peut souvent nous sembler paradoxale, nous révèle également l'imperfection de notre langue à traduire ses textes fondateurs sans commettre d'inflexions dénaturantes. le Yoga devient ainsi un ensemble de notions agissantes (« le Sâmkhya et le Yoga refusent à l'esprit (purusha) tout attribut et toute relation ») orientées vers une fin (« […] le but de la connaissance n'est pas la vaine recherche de la cause première et des origines historiques de cette condition, mais la délivrance »). le niveau de manifestation des phénomènes n'est que vaguement identifié sous le nom d' « esprit » en tant qu'il désignerait des états plus élevés que les simples « états psycho-mentaux ». Et pourtant, même si
Mircea Eliade nous présente une véritable cosmogonie, il en parle parfois d'une manière telle qu'elle nous apparaît plus souvent sous la forme d'une philosophie créée d'esprit d'homme.
Bien que certains paragraphes éveillassent en moi de vagues réminiscences horrifiées d'un
Teilhard de Chardin (« On ne peut pas obtenir la libération finale sans connaître une étape préalable de « cosmisation » ; on ne peut pas passer directement du chaos à la Liberté. La phase intermédiaire est le « Cosmos », c'est-à-dire la réalisation du rythme sur tous les plans de la vie bio-mentale »), l'essai de
Mircea Eliade réalise un travail impressionnant de défrichage qui essaie toujours de rester, malgré d'incompressibles impossibilités, proche de l'essence du véritable Yoga (cessation des fluctuations des pensées) bien plus que nombre d'autres essais consacrés à ce sujet. Il surmonte également les difficultés qui peuvent s'opposer à notre compréhension en soulignant les différences qui peuvent surgir d'un yoga à l'autre selon s'il se développe dans la sphère de l'hindouisme ou dans celle du bouddhisme. Encore faudrait-il certainement, pour saisir la substantifique moelle de ces nuances, être soi-même hindouiste, ce qui est impossible hors hasard de naissance, ou bouddhiste – ce qui est peut-être encore moins possible puisqu'aucun empêchement n'étant clairement explicité pour les occidentaux pensant vouloir le devenir, la plupart le deviennent n'importe comment.
Il me semble que nous avons beaucoup perdu du caractère antihumaniste des spiritualités (si le mot convient) orientales en les important en Occident. Si le yoga vise réellement à l'arrêt des fluctuations du mental, alors tout ce qui s'écrit à son propos n'est qu'une circonvolution prudente et leurrante.