Voila, c'est fini…
La peur, l'égoïsme, la bêtise et la lâcheté auront eu raison de l'Aquarius. Pourtant, ce bateau affrété par SOS méditerranée respectait
la loi de la mer, lui. Une loi qui dit qu'en mer on doit porter secours
à quelqu'un en difficulté, quelles que soient les circonstances.
Davide Enia, lors de séjours à Lampedusa, va recueillir des témoignages d'habitants de ce petit rocher perdu entre Sfax et Malte, entre Tripoli et la Sicile où tant de migrants on pu renaître, où tant d'espoirs ont pu sombrer.
Des habitants qui avouent avoir eu un reflexe de repli quand la première embarcation de fortune, en 1996, est venue accoster sur l'île avec ses premiers naufragés de la vie. Des portes fermées quelques minutes juste le temps d'avoir honte et de laisser parler l'humain.
Du plongeur qui pour toujours se demandera s'il aurait mieux fait de sauver cette femme et son enfant qui étaient à cinq mètres de lui plutôt que les trois personnes qu'il a sorti de l'eau et qui étaient plus près, à cet autre qui lors du naufrage du 3 octobre 2013 ( 350 morts, 150 rescapés) a vécu une plongée traumatisante, de celles qu'on imagine même pas dans les pires cauchemars, les témoignages sont bouleversants. Des habitants qui assurent l'après sauvetage aux pêcheurs sauveteurs, tous n'ont que faire des considérations économicomerdiques, la question de la solidarité et de l'aide ne se pose pas, les mains tendues ne sont qu'évidence.
Et puis il y a les témoignages de ceux qui ont vécu l'inimaginable, ceux qui se sont confiés pudiquement sur leur parcours.
Que de regards perdus, anéantis, dans ces pages…
Les jours, les mois, les années passent et toujours le même drame qui vient s'échouer sur le sable blanc. Et toujours les mêmes héros, meurtris, qui font tout leur possible pour repousser la mort qui règne dans ce coin de Méditerranée, faisant de leur île une terre d'accueil, n'en déplaise aux politiciens et autres fanatiques identitaires ou cravatés des « marchés ».
La faucheuse qui rode en permanence dans les parages renforce les liens entre les hommes.
Davide Enia fait aussi la part belle à l'amitié dans son ouvrage. Amitié entre les îliens, entre certains d'entre eux et lui. Et puis il y a la famille Enia, sicilienne. Les rapports distants (sicilien comme dans les plus belles caricatures, des rapports « d'homme ») avec son père.
Davide Enia va lui demander de l'accompagner, le contexte fera évoluer la relation. L'oncle Beppe, comme un lien entre eux, un sacré bonhomme.
C'est à croire qu'il faut que le malheur s'invite pour qu'on se dise qu'on s'aime…
Ce livre est dur malgré une retenue dans les témoignages, une pudeur qui accompagne des gorges qui se nouent et des regards humides à travers les mots.
Loin des yeux de l'occident…