Bientôt, les hommes naîtraient sans mains, sans bras, sans jambes, sans tête même puisque la machine penserait à leur place. Elle pourrait tout remplacer. Déjà, depuis longtemps, dans les lieux publics, la machine remplaçait l'être humain. Finis les tickets de transport. Lui, avait connu le temps des poinçonneurs dont la présence, dont le geste le rassurait. Finies les mains serrées à quelqu'un qu'on reconnaît, qui fait partie de votre entourage. Serre-t-on les mains à une machine? Bientôt les gens seraient muets, emmurés dans leur appartement. On réglerait toutes ses démarches, tous ses achats de chez soi, avec l'ordinateur. On finirait même par tuer à distance, simplement en appuyant sur un bouton, de loin, sans l'ombre d'un remords.
C'était la main qui saisissait l'écriture, l'empoignait, la broyait, la tordait, pour en extraire du sens à tout prix, tout en sachant que le sens échappait toujours à la main qui voulait le saisir. A bras-le-corps, à corps perdu, à main avide, l'écriture essayait de saisir ce qui lui résistait, ce qui était insaisissable. La main refusait le renoncement et poursuivait son chemin sur la feuille.
La main parlait par les mots qu'elle traquait, qu'elle énonçait et même par ceux qu'elle taisait. C'était la main qui se faisait entendre à travers les mots, dans les interlignes, les interstices, les interdits, les blancs.
Elle était là et c'était une ombre. Elle était là et c'était une absence. Elle était là et c'était un vide.
Les mots ne venaient pas jusqu'à ses lèvres. Il avait trop appris le silence.