Parfois, avant de lire un livre, un sentiment vous a saisi, qui empêche de l'aborder innocemment, sincèrement.
Ce fut mon cas quant à celui-ci. Et c'était l'agacement !
Issu probablement de certaines critiques dithyrambiques qui insistaient sur l'éclairage « réalité de la rue »
Pourquoi un écrivain « SDF » serait-il nécessairement « céleste » et auteur d'un chef d'oeuvre. ?
Le texte est constitué, de courtes scènes non chronologiques, entremêlant séquences heureuses et malheureuses de l'enfance de l'auteur en foyer, fugues, sanctions, privations, mauvaises fréquentations et belles rencontres.
Bien sûr, nous ne pouvons qu'être émus par cet homme sans. « Aucune odeur paternelle. Et aucun souvenir de tendresse féminine. Comment se construire donc sur le néant ? »
Bien sûr, nous ne pouvons qu'être émus par cet homme «ce gosse solitaire, colérique, jamais apaisé qui tente tout ce qui est possible dans l'interdit. Jeune pousse de délinquant. Éternel asocial.»
Bien sûr nous ne pouvons qu'être ému par cet homme qui dans son parcours chaotique se veut en poète qui a sa muse. « Elle m'a encouragé, toujours, à écrire, dessiner, à coucher sur le papier ce qui m'habite… »
Mais, est-ce littérature ?
Bien sur ce recueil possède une dimension testimoniale quand il aborde l'aide sociale à l'enfance ou les conditions de vie des SDF.
Mais, cet aspect n'éclipse pas ce qu'a de profondément littéraire ce récit autobiographique.
Certes, ce n'est pas un chef d'oeuvre impérissable mais il possède un souffle indéfinissable qui caractérise les véritables livres, un morceau brut de littérature. Qui réside, non pas dans le résultat d'un labeur répété sur le langage, mais en sa spontanéité et en son caractère intact, indemne de retouches. « Écrire mais ne pas se relire trop. Quitte à y laisser des bleus ».
Mais
François Villon était probablement un voyou révolté qui au travers « Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis. »
a traversé les siècles jusqu'à nous.
Mais
Louis Ferdinand Céline était un salaud qui se savait salaud et en rajoutait une couche, a laissé cet incipit de «
Mort à crédit » :
« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.
Hier à huit heures Madame Bérange, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas, surtout !… Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis.
Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde. Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérange à ceux qui l'ont connue. Où sont-ils ?