La terre est une légende

Ce principe qui me fait lire jusqu'au bout tout livre commencé, voici qu'il me coûte beaucoup avec ce bouquin là. Au prétexte d'un petit travail qu'on m'a confié sur la notion d'imaginaire et ses rapports avec la science, je m'étais mis en devoir de lire ce livre qui n'est nullement indispensable sur le sujet; la science devant l'imaginaire des hommes, tel est le sous titre de "La terre est une légende". L'auteur y enfonce des portes ouvertes (une certaine continuité entre la pensée mythique et la pensée scientifique) avec un gros trousseau de clés fondues dans un alliage savant d'anthropologie et d'épistémologie de l'inévitable physique quantique, toujours nécessaire à qui veut paraître profond. Une certaine science - occidentale bien entendu - y est subtilement accusée d'arrogance ou de candeur, oublieuse de son enracinement mythologique.
Derrière ces idées très convenues c'est une conception du réel qui se dessine discrètement sans vraiment s'assumer - une pensée qui ménage l'héritage de la pensée scientifique avec une forme de pensée magique. Un façon de ménager la réalité avec ses fantasmes qui ressemble à celle de Fritjof Capra dans le Tao de la physique. L'enjeu est de réenchanter le monde en faisant appel aux interprétations les plus naïves de la science moderne: ainsi peut-on lire pages 165-166 "De toute façon, s'interroger sur le pouvoir de l'esprit sur la matière, c'est devoir poser la question de la relation de l'esprit à la matière. C'est d'emblée poser une autre définition de l'esprit que celle donnée par Jean-Pierre Changeux dans 'L'homme neuronal'. Car si l'esprit est créateur de réalité, fût-ce en provoquant l'effondrement de la fonction d'onde ou en provoquant des maladies, il y a logiquement peu de chance qu'il soit lui-même un effet de la matière, le résultat d'un jeu neuronal. L'homme magicien ne peut être un homme neuronal". Le chat de Schrödinger et la médecine psychosomatique sonnent au petit matin des magiciens.
Pour rester scientifiquement crédible on cite les grands noms; Einstein, Ilia Prigogine, Claude Levi-Strauss, Durkheim, Mauss, Frazer. Mais à côté de cette assemblée académique, il s'appuie sur des travaux contestés, tels ceux de la paléoanthropologue Anne Dambricourt-Malassé (représentante bien connue de la théorie dite de l'intelligent design) mais aussi de scientifiques que l'auteur présentera parfois comme douteux, voire un peu trop ésotérique mais dont les résultats lui paraissent néanmoins assez significatifs pour être cités. Ainsi, à propos des travaux du chimiste Marcel Vogel qui "prétendit être entré par la méditation dans la plante au point de pouvoir détailler l'organisation des molécules d'ADN", Michel Faucheux conclu prudemment: "Inutile de dire qu'il semble bien que nous nous trouvions là devant un cas de dérive ésotérique de la science qui ne peut que provoquer le scepticisme le plus profond."
Si le scepticisme de l'auteur semble souvent manquer de profondeur son imagination n'en manque pas: plus on avance dans le livre, plus on s'enfonce dans les abysses du raisonnement parapsychologique avec, parfois quelques beautés telle cette interprétation pages 218-219 du mythe de la caverne de Platon comme inspirée par une Near Death Experience (NDE)...