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Citations sur Le Domaine (9)

Maintenant il avait soudain découvert quelque chose. Les gens de son espèce n'avaient jamais possédé même provisoirement la terre qu'ils croyaient avoir louée entre un jour de l'An et le suivant. C'était la terre elle-même qui les possédait et non pas seulement depuis les semailles jusqu'à la moisson mais à perpétuité; non pas le possesseur de la terre, le propriétaire qui les expulsait d'une méchante ferme louée en novembre et les jetait sur la route à la recherche désespérée d'une autre méchante ferme toute semblable à louer à un mile ou dix miles de là, ou à deux ou dix comtés de là, avant que n'arrive en mars l'époque des semailles pour la prochaine récolte, mais la terre elle-même, le sol lui-même qui leur faisait mener une vie d'esclaves condamnés à l'indigence et à la pauvreté en les traînant de ferme en ferme, comme une famille ou un clan le fait d'un cousin au dixième degré irrémédiablement en faillite.
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— De sorte qu’il ne reste même plus la carcasse.
— Il y a une cave dessous, dit Ratliff.
— Un trou dans la terre, dit Stevens. Un terrier, comme un animal.
— Il est fatigué, dit Ratliff. Même s’il n’avait pas soixante-trois ou soixante-quatre ans. Il est sous pression depuis trente-huit ans, sans compter (nous sommes jeudi aujourd’hui, n’est-ce pas ?) les sept derniers jours. Et il n’a plus cette tension pour le soutenir. Supposez que vous ayez passé trente-huit ans à attendre de faire quelque chose et que finalement un jour vous l’ayez fait. Vous n’auriez plus beaucoup de ressort. De sorte que ce qu’il lui faut maintenant c’est uniquement de se reposer dans le noir et le calme quelque part un bout de temps.

(p. 616)
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Le camion repartit. La route était déserte au moment où il était descendu. Hors de la vue de la route, ça serait assez loin. Seulement, si possible, personne ne devait entendre le bruit du coup de feu d’essai. Il ne savait pas pourquoi ; il n’aurait pas pu dire, ayant eu à vivre sans aucune solitude intime pendant trente-huit ans, mais maintenant il avait l’intention d’en savourer chaque minuscule brin auquel la liberté lui donnait droit. En outre, il lui restait cinq à six heures avant la nuit et probablement moins que ça de milles à parcourir en suivant le lit de la rivière formé de fourrés épais d’églantiers, de cyprès et de saules pendant un quart de mille, peut-être plus, quand soudain il s’arrêta, figé de stupeur, d’émotion et même de joie. Devant lui, enjambant la vallée un viaduc de chemin de fer. Maintenant non seulement il savait comment atteindre Jefferson sans courir le risque constant de rencontrer des gens qui grâce à cette vieille affinité du comté de Yoknapatawpha le reconnaîtraient et sauraient ce qu’il avait l’intention de faire, mais il aurait quelque chose à faire pour passer le temps jusqu’à la tombée de la nuit, où il continuerait son chemin.

(p. 595-596)
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Et maintenant ils approchaient des collines : une agglomération de petites fermes délabrées, précaires, disséminées parmi les replis érodés du terrain comme des morceaux de papier éparpillés. Le chemin n’était plus empierré depuis un certain temps et à tout moment menaçait de cesser d’être praticable pour tout véhicule. Déjà, à la lumière fixe des phares (Ratliff avait arrêté la voiture) la route avait l’air d’un ravin creusé par les eaux, serpentant vers la crête couronnée de tristes pins noirs, rabougris et chevelus. Le soleil avait passé l’équateur, il était dans la Balance maintenant et il y avait dans la cessation du mouvement et le calme du moteur arrêté une sensation d’automne après le lent écoulement du dimanche et la fraîcheur éclatante, mensongère, qui avait duré presque tout le lundi ; le rempart déchiqueté des pins et des chênes rabougris formait une mince digue contre l’hiver, la pluie et le froid à l’abri de laquelle les champs usés envahis par les sumacs, les sassafras et les plaqueminiers avaient tourné au rouge écarlate. Les plaqueminiers lourds de fruits n’attendaient que le gel et les aboiements des chiens de chasse à la poursuite des opossums.

(p. 614-615)
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Soudain vous vous réveillez et pendant une minute vous ne savez pas où vous êtes pour la bonne raison que vous n’êtes pas là tout entier. Même pendant ces quelques instants où vous ne faisiez pas attention, la vieille terre patiente, pas pressée, qui vous attendait s’est déjà emparée un peu, légèrement, de vous pour la première fois, mais vous vous êtes réveillé à temps. De sorte que s’il l’avait fallu, il aurait pris le risque de coucher par terre à même le sol pour cette dernière nuit. Mais il n’eut pas à courir ce risque. C’était comme si le Vieux Maître lui-même lui avait dit : « Je n’t’aiderai pas, mais je n’te gênerai pas non plus. »

(p. 593)
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Le coton qui remplissait à moitié le fond du camion avait été recouvert d’une bâche pour la nuit, il n’avait donc même pas besoin d’une couverture. Il était confortablement installé. Mais surtout il n’était pas à même le sol. C’était ça le danger, ce qu’il fallait qu’un homme évitât : dès que vous étiez couché à même le sol, tout de suite la terre commençait à vous attirer à elle, à faire entrer votre dos en elle. Dès la première minute où vous aviez quitté le corps de votre mère, le pouvoir d’attraction de la terre commençait à s’exercer sur vous, s’il n’y avait pas eu d’autres femmes dans la famille ou parmi les voisins ou même les domestiques pour vous tenir, vous soutenir, empêcher la terre de vous toucher, vous n’auriez pas vécu une heure.

(p. 592)
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Il descendit de la cabine et dit, employant la formule de remerciement éternelle des paysans : Combien que j'vous dois ? Et le nègre répondit de la même manière : Vous ne m'devez rien. Je v'nais par ici de toute façon.
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En fait, dès que cette idée lui vint, il lui sembla qu’il sentait le Mink Snopes qui avait dû passer une si grande partie de sa vie à avoir des soucis et des ennuis inutiles commencer à ramper, à s’infiltrer, à couler tranquillement comme le sommeil ; il pouvait presque l’observer, en suivant tous les petits brins d’herbes et les minuscules racines, les petits trous que faisaient les vers, en pénétrant dans la terre déjà pleine de gens qui avaient eu leurs soucis et étaient libres maintenant, de sorte que c’était le sol et la terre maintenant qui avaient les ennuis, les soucis et l’angoisse avec les passions, les espoirs et les craintes, la justice et l’injustice, et les chagrins, et que les gens eux étaient bien tranquilles maintenant, tous mélangés, pêle-mêle, sans inquiétude et personne pour savoir ou se soucier de savoir désormais qui ils sont, lui-même parmi eux l’égal de tous, aussi bon que n’importe qui, aussi brave que n’importe qui, inextricable, anonyme parmi eux tous : les beaux, les splendides, les orgueilleux, les braves jusqu’au faîte même, parmi les fantômes et les rêves étincelants, bornes milliaires de la longue histoire humaine : Hélène et les évêques, les rois et les anges apatrides, les séraphins méprisants et damnés.

(p. 641)
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« notre droit de naissance jeffersonnien à acheter, faire pousser, extraire ou dénicher n’importe quoi aussi bon marché que possible obtenu par flatterie, ruse, menace ou force, et puis de le revendre aussi cher que le permettaient les besoins ou l’ignorance ou la timidité de l’acheteur »
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