Le soleil vient juste de sortir à l'horizon, inondant la baie d'une lumière teintée de rouge. Les oiseaux circulent, sternes et mouettes, pélicans et canards randonnent à travers le ciel, l'in d'eux rompant parfois sa formation et plongeant dans l'eau calme pour attraper quelque petit poisson.
Pour un homme de l'Ouest, les récifs de corail à l'horizon rappellent les petites bosses que font les silhouettes de bisons quand on les voit de loin sur la prairie.
Les chênes verts étaient immenses au-dessus de nos têtes, leurs branches noueuses et tordues surplombant de luxuriantes fougères vertes et des mousses de toutes sortes.
Près de 100 000 oies des neiges et bernaches du Canada se levaient de leur remise nocturne sur un lac voisin et se mettaient à voler comme un énorme essaim et à évoluer comme si elles ne formaient qu'un seul corps.
Il y a quelque chose d'unique lorsque l'on descend une rivière : c'est cette impression de passage, ce sentiment d'être brièvement témoin et acteur, de faire à la fois partie des éléments et de se laisser porter par eux au loin.
Ces fardeaux ne nous empêchent pas forcément d'agir, mais ils pèsent lourdement sur nos vies; nous les rangeons dans des boîtes et nous les remisons quelque part au fond de notre coeur brisé, puis nous les trimballons ainsi durant le reste de notre vie.
Nous étions partis dans la baie et sur le delta, cette riche zone humide où Jimbo avait passé sa jeunesse. A cette époque il pouvait faire l'école buissonnière des jours durant, voire des semaines, pour satisfaire sa passion de la chasse aux canards en solitaire et libre d'explorer pour en apprendre le maximum sur les oiseaux, les animaux, les poissons et les marées. J'enviais cette science qu'il avait emmagasinée en passant sa vie dans un endroit pareil. Cette somme de connaissances qui vous pénètre jusqu'aux os dans votre jeune âge et qu'il est si difficile, sinon tout simplement impossible, d'acquérir plus tard dans la vie.
Le canyon semble sans fin et d'une profondeur dépassant l'entendement. Tout cela donne une assez bonne idée de ce que pourrait être l'infini.
Certaines contrées sont hantées par nos fantômes et parfois il suffit de remonter en voiture et s'éloigner de cent ou deux cents kilomètres pour leur échapper.
Selon une vieille antienne, on traverse la vie avec un certain nombre d'intérêts pour ce qui nous entoure. Mais ceux-ci diminuent avec le temps jusqu'à ce qu'on atteigne un état dans lequel tout ce qui nous importe est de nous occuper de notre corps en décrépitude. Puis on meurt. Pour enrayer un peu ce scénario inexorable -- je ne parle évidemment pas de la mort, contre laquelle je ne peux rien --, j'imagine qu'il est bon d'engranger au maximum les motifs d'intérêt, un peu comme l'on se soucie de son épargne retraite.