Les Bourgeois, c'est une famille dont la narratrice raconte l'histoire, depuis la fin du XIXe jusqu'à nos jours, une famille comme il en a existé sûrement beaucoup en France au XXe siècle, une famille nombreuse, bourgeoise et catholique, une où « chacun avait la compagnie des autres, le grand mouvement du groupe, l'exemple que donnaient les grands et les espiègleries des petits, le chaud de leurs corps dans la chambre, le chaud des larmes partagées, le chaud des rires et des bêtises, un vaste réconfort dont la saveur était aussi multiple que l'étaient les caractères ».
Le récit commence en novembre 2013, par la mort de Jérôme, 80 ans, qui quitte la vie après une vie bien remplie, né dans une fratrie de dix enfants. Et peu à peu la narratrice (qui appartient à cette famille mais se tient en retrait, dont on n'apprend rien, pas même le prénom, et qui se confondrait presque avec l'auteur – et ce point de vue narratif crée un effet particulier et très intéressant) tisse des liens entre les personnages de cette famille, revient en arrière en regardant une photo, raconte la vie des parents de Jérôme, Henri et Mathilde, fiancés durant la guerre de 14-18, leur petite vie qui épouse évidemment la grande (« Comme c'est vertigineux n'est-ce pas de coller ex post les événements remarquables les uns à la suite des autres et de connaître, puisque tout est consommé, ceux qui furent prémonitoires des drames qu'on a traversés. Et comme on regrette que les avertissements confus qu'ils avaient donnés n'eussent pas été entendus dans le temps où ils pouvaient l'être. Appartenir à une époque c'est être incapable d'en comprendre le sens. »), et leurs dix enfants qui évoluent dans cette sphère particulière où les enfants ne parlent pas à table, où la maîtrise de soi est essentielle, où on obéit aveuglément à l'Eglise… des choses aujourd'hui plutôt méprisées et moquées et tout l'art d'
Alice Ferney est de montrer ce que cela avait de précieux aussi et de grand : « C'était sans violence mais sans laxisme, et loin d'être étriqué (cet adjectif qui sert si souvent à décrier
les bourgeois), ce n'était pas débridé évidemment, c'était une quête de la noblesse de coeur. Entre étriqué et débridé, il y a la droiture : répondre par ce qui est juste, recevoir les événements et les personnes en se tenant de face et debout. »
Et ces dix enfants, Jules, Jean, Joseph, Nicolas, Louise, Jérôme, Claude, Guy et Marie, on apprend à connaître leurs particularités, leur caractère, leur lien avec l'histoire, les guerres (mondiales mais aussi celle d'Algérie ou d'Indochine), mais aussi toutes les mutations économiques et sociales, que la narratrice explore et questionne avec beaucoup d'intelligence et de finesse. Par exemple, en 1940 : « qui nous garantit cependant, nous qui souvent jugeons, que nous ne prenons pas aujourd'hui des décisions qui mèneront à des violences et à des crimes encore bien pires que ceux dont nous les accusons, non pas de les avoir commis ou approuvés, mais de ne pas les avoir vus arriver. le présent est lourd et opaque, la teneur des jours n'est pas historique. »
Une belle réflexion sur le temps, la famille, l'histoire portée par une superbe écriture.
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