Dans
Les Bourgeois, famille si bien nommée, Aline Ferney nous offre une belle saga allant du milieu du 19ème siècle à nos jours , plus spécialement axée toutefois sur la génération née entre les deux guerres.
Précisons que si ce roman s'inscrit dans une époque où les valeurs de solidarité, de respect de l'ordre, d'obéissance envers les parents et la société en général étaient largement répandues dans toutes les classes de la société, il n'a pas prétention à embrasser tous les milieux. Il se concentre exclusivement sur cette bourgeoisie aisée, privilégiée, héritière d'une tradition qu'il ne venait à l'idée de personne de contester ("le drapeau, l'armée, l'honneur, Dieu, voilà qui vous tenait un homme" p.91), où les hommes avaient à coeur de
remplir leur rôle de pilier familial et où les femmes privées de droits entraient dans le mariage comme dans un piège douillet.
Les fratries de huit ou dix enfants se succédaient chez
les Bourgeois, de sorte qu'il n'est pas toujours facile de se retrouver dans des familles si nombreuses que les générations finissaient par se chevaucher (le petit dernier était souvent encore en culottes courtes quand l'aîné se mariait.).
Si loin que nous paraisse ce monde, tant les mentalités longtemps figées ont évolué rapidement au 20ème siècle, on parvient cependant à éprouver beaucoup d'empathie pour les personnages qu'
Alice Ferney fait défiler sur la route du temps. Leurs valeurs immmuables recèlaient de beaux sentiments de générosité, de don de soi et d'altruisme, certainement plus nobles que notre individualisme moderne.
L'auteur pénètre les coeurs et les esprits avec tellement de finesse qu'elle réussit à refaire de ces disparus des êtres de chair, avec leurs qualités et leurs faiblesses. le lecteur en vient à éprouver une réelle émotion à leur fréquentation. Il partage leurs joies - évenéments heureux de la vie, retrouvailles emplies des rires des ribambelles de cousins, mais aussi leurs peines - l'épreuve de la guerre (certains ont eu la malchance d'en connaître deux) ou le chagrin de parents devant la mort de leurs fils fauchés sur les champs de bataille à l'aube d'une vie brillante.
Une des réussites de ce roman est aussi d'avoir enchâssé ces histoires de famille dans la grande Histoire pour les mettre en perspective, analyser et comprendre les mentalités et les comportements en essayant de faire abstraction des connaissances historiques que l'on n'avait pas à l'époque. Un très beau travail de recherche dans ce roman fort bien documenté.
Le revers de la médaille - et c'est le seul regret que j'émettrai- est qu'
Alice Ferney, emportée par un désir de bien faire sans doute, a péché par abondance de détails. A mon sens le roman aurait gagné à avoir une bonne cinquantaine de pages en moins. On aurait pu, par exemple, se passer aisément de connaître par le menu les avancées et reculs des armées pendant la guerre de 40, ou de savoir que la loi Neuwirth fut adoptée le 19 décembre 1967 et qu'elle abrogeait les articles L.648 ET L.649 du code de la santé publique. Tous ces détails rallongeant inutilement la lecture ont pour conséquence de détourner l'intérêt de l'humain.
En dépit de cette réserve, il reste que
Les Bourgeois m'a procuré un vrai plaisir de lecture. Au-delà de la saga familiale romanesque, cet ouvrage est une réflexion sur la fuite du temps qui nous remet face à notre propre finitude. Pas de tristesse, pas de regrets , pas de nostalgie, juste de la mélancolie. Tout passe!