J'ai longtemps attendu avant de lire L'amie prodigieuse. J'avais pourtant lu beaucoup de bien de la saga parmi mes amies Babelio et je partais avec un a priori favorable. Tellement favorable que je décidais même de l'offrir à ma femme lors d'une occasion particulière (anniversaire, Noël...) parmi d'autres cadeaux. Ma femme et moi sommes tous deux de grands lecteurs, mais avec des biais différents: à moi plus de fictions, à elle plus d'essais, à moi la lecture intégrale, à elle le papillonnage entre les livres et les lectures de passages qui l'intéressent, sans s'obliger à tout lire. Nous n'abandonnons jamais l'idée d'influencer les lectures de l'autre et elle me conseille quasi systématiquement des essais quand je la sollicite... et du coup je tente de lui offrir des fictions qu'elle pourrait apprécier et avoir envie de finir.
Elle a commencé L'amie prodigieuse, a reconnu que le sujet l'intéressait beaucoup (particulièrement les différences pointées entre l'italien "prestigieux" et le dialecte napolitain "dévalorisé"... puisqu'elle est socio-linguiste)... mais elle ne l'a pas terminé. Elle y a laissé quelques post-its comme à son habitude.
J'ai attendu quelques temps pour voir si elle y retournait... et me voyant sans espoir que mes voeux se réalisent, incité aussi par des items très italiens dans certains challenges, imaginant que ma lecture pourrait aussi relancer son intérêt, intrigué par l'aura de mystère autour de l'auteure... bref les planètes étaient alignées, le moment était venu, il fallait se lancer.
J'ai vraiment beaucoup aimé le livre. Sans trop de surprise vu l'enthousiasme général... mais avec quand même la joie qu'un livre à succès ne soit pas décevant, comme il peut l'être parfois avec les best-sellers (j'ai été décu par Da Vinci Code, moins par l'Affaire Harry Quebert, intéressé mais pas estomaqué par L'anomalie de le Tellier... bref on a tous nos histoires personnelles avec les best-sellers). Ici, j'ai vraiment apprécié la façon de nous plonger dans l'histoire, en multipliant d'abord les démarrages de plusieurs axes et en nous frustrant dans des fins de premiers chapitres laissant des moments en suspens. . le procédé est surtout utilisé au début mais a du coup le don de nous accrocher tout de suite, de provoquer l'empathie pour ces deux amies à la relation si particulière.
Car bien sûr le titre n'est pas un faux ami, c'est bien ici une amitié de jeunesse féminine que l'auteure place pour nous sous le microscope. Elle semble autobiographique (ou joue avec les codes de l'autobiographie, notamment dans la façon dont la narratrice dit ne pas se souvenir de certaines choses, ou au contraire dire qu'elle se souvient de la date parce que c'était son anniversaire) et nous immerge au coeur d'une bande de quartier (avec un index obligatoire des familles foisonnantes napolitaines, placé dès le début du livre pour soutenir le lecteur perdu).
Au fil de la lecture, je me suis dit qu'il n'existait que peu de "grands" livres se donnant l'amitié féminine pour sujet principal (j'avais
Fille noire, fille blanche de
Joyce Carol Oates en tête, mais vous saurez m'en donner d'autres en commentaire). J'ai plus d'exemples pour l'amitié masculine, pléthore évidemment pour l'amour, mais la lumière placée ici sur cette amitié, dans ce qu'elle a de complexe dans les sentiments et émotions contradictoires qu'elle provoque m'a semblé originale. le choix d'une narration exclusivement à la première personne nous donne du coup un seul point de vue sur cette amitié, nous plaçant face à nos propres amitiés où nous n'avons aussi que notre point de vue, avec les mêmes surprises parfois face à des gens que nous pensons connaitre par coeur, mais qui nous surprennent parfois dans leurs revirements, leurs prises de décision, car même avec nos meilleurs amis, il y a toujours des zones d'ombres, des jardins secrets. L'auteure ne craint pas de regarder en face ce qu'il peut y avoir de jalousies, de rivalités, de renoncements dans ce sentiment décrit parfois comme si pur, qui serait selon certains plus bienveillant, moins égoïste que l'amour.
Et puis au delà du thème il y a le cadre de l'époque et du lieu, Naples dans les années 50. Naples la populaire, avec certains quartiers dont on ne sort que peu, dont on a du mal à s'extraire, par la réussite scolaire ou par l'argent. Une ville qu'un ami très proche (tiens, tiens...) avait visité avec sa famille et dont il m'avait décrit l'atmosphère très particulière, bienveillante et agressive à la fois, ambivalance que j'ai bien retrouvé dans les mots d'
Elena Ferrante.
Beaucoup de choses à vous dire sur cette lecture comme vous l'avez vu, et je n'ai même pas pu me questionner avec vous sur cette auteure qui ne donne aucune interview, dont on se demande si elle ne cache pas un auteur homme, ou une écriture à quatre mains (oui avec les ordinateurs, c'est comme les pianos, on peut écrire à quatre mains) par un couple d'auteurs. Mais heureusement, il y a plusieurs tomes, nous aurons bien le temps d'y revenir, car j'ai bien sûr envie de connaitre la suite !