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EAN : 9781091365162
Le Realgar (06/06/2015)
4.6/5   5 notes
Résumé :
« Il ne se parle plus qu’à lui-même, parce qu’avec les autres c’est trop difficile. Ils cherchent des noises à son vocabulaire, des double sens à ses propos, alors que pas du tout. »
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Chronique incisive et sensible des maux nés du langage.

Dans son quatrième livre, paru en Juin 2015 aux éditions le Réalgar, Isabelle Flaten accumule et agence, en architecte patiente, une kyrielle de scènes exprimant combien les mots, ou leur absence, peuvent être assassins, et quelquefois sauveurs : paroles blessantes de la mère humiliant sa fille adolescente, ou mots caressants du maître s'adressant au cancre du dernier rang, pour lui prédire enfin un destin de poète.

«Devant le miroir de la salle de bain elle a esquissé un visage de femme, les yeux faits comme des lampions, les paupières pailletées, et les cils clignotants sous le mascara. Sur sa bouche aussi ça rutile, un rouge vermeil appliqué sur ses lèvres par une main fébrile dans l'élan brouillé, un peu coupable, des premières fois. Tout juste a-t-elle refermé la porte, dans le couloir sa mère est là, et immédiatement la lave jaillit, hors d'elle, du plus profond : « Mais d'où elle sort celle-là ? On dirait une roulure ! » Par-dessus les mots deux pupilles incandescentes qui la dardent, elle veut croire à un trompe-l'oeil, effacer ce qu'elle voit. Mais c'est déjà trop tard, il n'y a plus rien à voir, sauf une ombre envolée vers la cuisine. Seule la parole souffle encore, une gifle. Qui balaie tout, sa métamorphose balbutiante, et la toute petite idée qu'elle se faisait d'elle-même. Peut-être ne sort-elle pas du ventre de sa mère.»

Avec une grande économie, ces fragments égrenés de parfois une seule ligne, racontent les guerres quotidiennes des silences et des mots : blessures du langage comme des éclats d'obus, batailles silencieuses, qui sont faites d'empêchements, échanges verbaux qui font tout dérailler comme si chaque destin était, par moments, suspendu au fil d'une phrase.

«Il suffit d'une grossièreté dans la bouche d'une femme pour que tout s'efface en lui, l'idée qu'il s'en faisait, et l'envie qu'il en avait.»

Avec ou sans paroles, les récits prennent des tournures cruelles ou drôles, de décalages en incompréhensions, en explosions tragiques des mots du quotidien ou rares éblouissements d'une communication qui soudain, miraculeusement, comble les attentes de celui qui parle (ou pas), et de celui qui écoute (ou pas).

«Comme il n'écoute jamais rien, elle a rompu par sms.»

«Aussitôt qu'il a terminé sa phrase il s'essuie la bouche pour ne pas laisser de traces.»

«Une fois de plus ce soir quand elle rentre le vieux a la larme à l'oeil, rien qu'à la voir passer la porte, déjà ses yeux dégoulinent, il susurre sa fierté d'avoir une fille comme elle, bientôt dix-neuf ans, et pas un mot à dire, une merveille. Ce soir rien qu'à le voir comme ça à suinter ses perpétuelles foutaises, sa glotte s'enraye, dix-neuf ans de trop et pas un mot pour le dire, un connard. Déjà autour de son berceau il bavait qu'elle était la plus belle. Il répétait que personne ne lui arrivait à la cheville, et de pire en pire avec le temps, plus personne nulle part, parce qu'une famille se suffit à elle-même. Et toujours les yeux trempés à chacune de ses apparitions, avec la vieille derrière en renfort, le mouchoir à la main, prêt à l'essorage, quatre pupilles ruisselantes sur son passage. Sauf qu'elle a l'allure d'une baleine, la tête d'une morue, le tatouage raté, et pas l'ombre d'un garçon pour la sortir de là.»

Une belle découverte, qui donne envie de suivre Isabelle Flaten.

Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/10/03/note-de-lecture-se-taire-ou-pas-isabelle-flaten/
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« Se taire ou pas » est une urgence de lecture. Isabelle Flaten délivre un récit qui oscille entre l'essai et la fiction. La prouesse littéraire est vénérable. Chacun (e) trouvera l'outil nécessaire à la reconquête de parole qui assigne. le silence ne sera plus une chape de plomb. Plus aucun cri ni douleur mais une lumière qui s'élève et communique. Les chroniques sont fédératrices, allouées aux regards multiples d'une auteure qui observe le lever de la vie. Ce qui se murmure dans les antres. Dans ce flot des turbulences, des habitus éclatés ou exaltés. Elles sont désignées, attentives et d'une justesse extrême. Elles sont la somme d'aucuns. Rien n'est laissé dans le hasard d'un alphabet qui s'égare. Isabelle Flaten a pris son temps. Son recul est levier et percutant. Elle a marché dans les infinis existentialistes, dans les psychologies écartelées au vif des errances contemporaines. Ce livre est un panneau indicateur. Il rassemble les chapelles des instantanés de vies. L'écueil entre la parole et le silence, le taire d'un quotidien qui s'effrite ou bien qui prend racine. La parole est libératrice, l'intelligence d'une syllabe qui ne demande qu'à éclore. Se taire, se murer, absoudre le langage qui dérange ou qui se trompe de voie. Se taire, les plis des draps s'expriment, froissés, torturés ou enivrés. Se taire, les verres brisés crissent sous les pas, la parole blessée, se meurt. Se taire, tant le beau est transcendant, s'éveille et prend place. Se taire, la sagesse s'active, cathédrale spéculative. Se taire, un mot de trop, le vide abyssal. « Mais évidemment qu'elle l'a épousé pour sa fortune, pas pour son éloquence. Que croyait-il ? » « Qu'a-t-elle à répondre à ça ? Ah vraiment ? Une parole ne vaut qu'à l'instant où elle est prononcée. » « Deux ou trois fois encore elle se penche, se relève et enfin, des deux mains tendues vers la salle ou bien vers le ciel, elle exprime sa gratitude. C'est sa seule façon de parler. » « le plus souvent il s'exprime en alexandrins. Sinon, personne ne l'écoute. » Les scènes sont gémellaires à nos espaces. Siamoises paroles et signes, silence, se taire. Absoudre le dire pour renaître. « Se taire ou pas » est notre contemporanéité. « Comme il n'écoute jamais rien, elle a rompu par sms. » Bénéfique, nécessaire, fusionnel. Publié par les majeures Editions le Réalgar.



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« Se taire ou pas » n'est pas un roman ni un essai, plutôt un recueil, une succession de réflexions explorant le vaste sujet du langage, du dialogue, de l'échange verbal. du simple aphorisme (« Aussitôt qu'il a terminé sa phrase il s'essuie la bouche pour ne pas laisser de traces ») à la scène de quelques pages, Isabelle FLATEN déroule son écheveau.

Ce petit objet (car sorti en poche) hybride est un enchaînement de situations pouvant appartenir à notre quotidien. Isabelle FLATEN a choisi de montrer des humains « normaux », ni plus bêtes ni plus intelligents que la moyenne, ceux que l'on croise tous les jours (si tant est qu'on n'a pas opté pour le repli de l'ermite), et qui se méfient des mots. « Une parole ne vaut qu'à l'instant où elle a été prononcée ». Une phrase de trop et tout bascule, alors place au silence, à la passivité de fonction parlée.

Des couples entrent en scène, dialogue difficile voire impossible. Ne pas blesser, ne pas s'emporter, tout garder au fond de soi-même, éviter les vagues trop écumeuses. Circonstances embarrassantes, quelle réaction adopter, vers quelle solution s'orienter ? Aux couples distants succède la complicité fragile, la communication intra-muros est celle de l'intime, celle qui se partage à deux ou guère plus, celle qui laisse des traces. Ne pas tout gâcher.

Difficile dans ces conditions d'être soi-même, de ne pas jouer un rôle. Parfois les mots partent comme une fusée incontrôlée et c'est le drame. Parfois ils restent suspendus aux cordes vocales et le résultat n'est guère plus brillant. le choix est cornélien, la sortie de route toujours possible. Alors il arrive que l'on se quitte sur un simple SMS (joies de la technologie) puisque les mots n'ont pas pu jaillir d'un face à face. Et l'oiseau quitte sa cage.

Des instantanés présentés comme des chutes de court-métrage. Les spectateurs prennent les scènes en cours, comme s'ils venaient subrepticement de pousser la porte et de pénétrer dans l'intimité d'une maison dont l'atmosphère est plus tendue que ce que les protagonistes veulent bien en montrer en présence de tiers.

Ici généralement on préfère se taire. D'ailleurs aucun dialogue n'est imprimé, certains sont tout au plus suggérés. Et la logique est implacable : les mots peuvent être une arme, y compris contre soi-même, ils peuvent à jamais déconstruire l'amour.

Isabelle FLATEN sort de sa besace à multiples fonds à la fois des mots ou expressions surannés (notez que le verbe « suranner » l'est lui-même quelque peu, suranné, tout comme « besace », et que j'apprécie particulièrement les mots surannés) assaisonnés avec son humour par petites touches mais bien réel et communicatif. Sa force est de nous faire participer, on se reconnaît dans certains traits, certaines situations, la lecture en devient active. L'humour noir sait lui aussi s'installer par surprise : « L'enfant la regarde à nouveau, puis il soupire que tout cela est de sa faute, si elle ne l'avait pas fait naître, il ne serait pas obligé de mourir ».

La domination masculine est secouée à juste titre, par de courtes mises au point féministes. Croquis de l'intimité d'un couple : « Et il fait son grand seigneur, il commande une autre bouteille en précisant qu'elle est toute pardonnée. Sauf qu'elle n'a rien à se faire pardonner, rien du tout ». Isabelle FLATN s'exprime librement, en écriture quasi orale, mais pas seulement, puisque quelques images sont de la poésie pure. Ce recueil de 2015 sera suivi d'un exercice similaire en 2018, « Ainsi sont-ils », où l'autrice reprend la même recette qui par ailleurs fonctionne à nouveau sans aucune lassitude. le présent « Se taire ou pas », ce titre ô combien juste, est ressorti en 2020 en version poche, tout comme la première édition et « Ainsi soit-il » chez les éditions le Réalgar, et il est recommandable sans aucune restriction, d'autant que son prix est modique.

https://deslivresrances.blogspot.fr/
Lien : https://deslivresrances.blog..
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« Se taire ou pas » est un recueil d'histoires courtes, parfois de simples phrases, de l'instant à l'histoire de vie. « Se taire ou pas » parle des mots, ceux qui sont tus ou non entendus, échangés ou retenus, de trop ou trop peu, apaisants ou blessants, aimants ou haineux…

Et Isabelle Flaten a décidément un vrai don (déjà relevé dans « Chagrins d'argent »). Elle a le regard acéré et le talent, stylistique et humoristique notamment, pour rendre compte de nos petits vices et vertus… Elle a l'oeil pour débusquer nos failles, nos petits schémas récurrents, ces comportements que nous pensons uniques mais qui se retrouvent chez tant d'entre nous… tant nous sommes différents et semblables à la fois. Au fil des pages, j'ai donc reconnu un ami, un parent, une voisine et bien sûr, moi-même.

Elle a l'art de pointer ce qui fait mal, comme cette petite phrase de la mère à la fille aussitôt annihilée, ou à l'inverse ce qui fait simplement du bien, comme la chaleur d'une voix.

Isabelle Flaten est une caméra, une loupe qui passe sur les gens, les situations. Elle s'y arrête quelques instants en zoomant, afin de mettre au jour toute la subtilité et la profondeur des comportements à l'oeuvre, elle pointe la faiblesse ou la force et repart ensuite à la chasse d'autres êtres à sonder. Elle nous montre, nous laisse voir, sentir, ressentir sans juger ni expliquer… nous laissant à nos impressions et émotions brutes de spectateurs tantôt douloureuses tantôt joyeuses…

Et comme j'aime voguer au coeur des êtres, sauter d'âme en âme, m'y relier et m'y ouvrir, m'interroger, m'émouvoir, j'aime particulièrement ces auteurs au regard si juste qu'ils m'aident à me rapprocher de l'autre.
Lien : https://emplumeor.wordpress...
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Ils en balancent souvent des choses pareilles, des boulettes toutes faites de l’air du temps, du papier mâché par d’autres qu’ils avalent sans réfléchir, bercés par l’illusion d’en faire à leur tête. Or ils n’en ont pas ou si peu, tout juste de quoi se cogner à un monde bien trop vaste pour eux, tant les avis ne sont pas comme ils le croient, si bien partagés.
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Elle a à peine le temps d'enfiler un verbe, d'y accoler un petit complément que déjà sa phrase est chassée par la suivante, d'origine celle-là, issue d'une syntaxe implacable, presque une sentence, et la voilà forcée de se taire pour ne pas piétiner la soirée de ses gros sabots. Donc elle observe le bruissement des bouches et le vol des mouches en pensant à plus tard quand elle sera dans son lit, enfin seule dans son monde. Certains soirs c'est l'orgie, ils se lâchent soudainement dans des soubresauts à n'en plus finir, des éructations graisseuses qu'elle s'efforce d'appréhender du mieux possible. Elle calque sa grimace sur les leurs, elle prend l'air étonnée s'ils le sont, ou bien elle se marre pour leur faire croire qu'elle est avec eux malgré tout, malgré la plaisanterie qui lui échappe, sinon c'est le malaise, la fête interrompue par son trouble, et de ça il n'en est pas question. Mais d'y retourner demain pourquoi pas, après tout elle a appris les gestes qui sauvent.
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Donc elle la ferme. Par crainte aussi sans doute de leur dévoiler l'envers du décor, des manières d'être ou de vivre qui ne leur ressemblent pas, pas du tout, les siennes par exemple, dont ils n'ont pas même envisagé l'hypothèse.
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Il y a les mots blessants et les mots caressants, choisir son camp est selon elle, le plus noble des engagements.
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Aussitôt qu’il ouvre la bouche tout s’apaise. Le timbre de sa voix d’abord, lisse et limpide comme une pluie d’été, un glissement d’eau douce sur sa peau, une caresse inattendue. Parfois pour accueillir plus profondément le vibrato, elle ferme les yeux, toute entière soumise à la puissance de l’empreinte.
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Videos de Isabelle Flaten (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Isabelle Flaten
"Pour cette onzième rencontre qui se déroulera, pour la première fois, dans le cadre de l'opération La Voie des Indés (http://lavoiedesindes2013.wordpress.com/), l'équipe des Soirées de la Petite édition convie la maison d'édition strasbourgeoise La Dernière Goutte. Fondée par Nathalie Eberhardt & Christophe Sedierta en 2007, la Dernière Goutte s'est fait une spécialité de défendre des textes forts aux univers grotesques, bizarres ou sombres (comme le dit si bien leur site web). Rééditions d'auteurs français oubliés, création contemporaine à fleur de peau ou mystérieuse, mais aussi textes rares allemands, hongrois côtoient toute une jeune génération d'auteurs argentins qui, pour autant qu'ils sont sombres, n'en oublient pas moins d'embarquer les lecteurs dans le rêve, la farce ou la mélancolie.
Au programme de cette soirée, on effeuillera les empêchements de la vie quotidienne avec Isabelle Flaten, on partira à la recherche du poète Endsen dans les rues de Prague avec Pierre Cendors, on jettera un œil Derrière le mur de briques hongrois de Tibor Déry, on visitera les prisons de Poritsky, on partira (ou on restera) à Buenos aires, avec Mariano Sisikind, on tâtera La Peau dure de Fernanda Garcia Lao, on parlera d'un Affabulateur, des romans oubliés de Jacques Sternberg, de L'homme de trop, on pénètrera dans la Casa Balboa de Mario Rocchi et l'on produira une Thèse sur un enlèvement avec Diego Paskowski. Et bien entendu, nous finirons la soirée autour d'un verre!
Nous serons accompagnés, dans l'exploration de ces mondes fantasmatiques par Christophe Sedierta, l'un des éditeurs, et ses invités: Pierre Cendors et Isabelle Flaten, auteurs, et Frédéric Gross-Quelen, traducteur de l'espagnol. Il se pourrait que d'autres invités se joignent, un peu plus tard à la soirée.
De plus, l'éditeur a accepté, spécialement pour les Soirées, de proposer son nouveau titre: Enfer, s'écria la duchesse, une satire surprenante de Michael Arlen qui ne sortira en librairie que le 3 novembre. Avis à ceux qui aiment les avant-premières!
Pour en savoir plus sur la maison, les traditionnels liens:
le site http://www.ladernieregoutte.fr/ la page facebook : https://www.facebook.com/pages/Editio...
Pour être informé de l'actualité des soirées de la petite édition, retrouvez-nous sur notre page facebook: https://www.facebook.com/SoireesDeLaP...
ou sur Libfly.com: http://www.libfly.com/soirees-de-la-p...
La Voie des Indés est une opération d'exploration collective de l'édition indépendante. Plus de renseignements ici: http://lavoiedesindes2013.wordpress.com/"
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