« J’aime l’automne, cette triste saison va bien aux souvenirs. Quand les arbres n’ont plus de feuilles, quand le ciel conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l’herbe fanée, il est doux de regarder s’éteindre tout ce qui naguère encore brûlait en vous. »
Oh ! Le pâle soleil d’hiver ! Il est triste comme un souvenir heureux.
J'aime l'automne, cette triste saison va bien aux souvenirs. Quand les arbres n'ont plus de feuilles, quand le ciel conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l'herbe fanée, il est doux de regarder s'éteindre tout ce qui naguère brûlait encore en vous.
Il y a un instant, dans le départ où, par anticipation de tristesse, la personne aimée n'est déjà plus avec vous.
De tout ce qui va suivre personne n’a rien su, et ceux qui me voyaient chaque jour, pas plus que les autres ; ils étaient, par rapport à moi, comme le lit sur lequel je dors et qui ne sait rien de mes songes. Et d’ailleurs, le cœur de l’homme n’est-il pas une énorme solitude où nul ne pénètre ? les passions qui y viennent sont comme les voyageurs dans le désert du Sahara, elles y meurent étouffées, et leurs cris ne sont point entendus au-delà.
Je ne voyais rien à quoi me raccrocher, ni le monde, ni la solitude, ni la poésie, ni la science, ni l'impiété, ni la religion ; j'errais en tout cela comme les âmes dont l'enfer ne veut pas et que le paradis repousse. Alors je me croisais les bras, me regardant comme un homme mort, je n'étais plus qu'une momie embaumée dans ma douleur ; la fatalité, qui m'avait courbé dès ma jeunesse, s'étendait pour moi sur le monde entier, je la regardais se manifester dans toutes les actions des hommes aussi universellement que le soleil sur la surface de la terre, elle me devint une atroce divinité, que j'adorais comme les Indiens adorent le colosse ambulant qui leur passe sur le ventre ; je me complaisais dans mon chagrin, je ne faisais plus d'effort pour en sortir, je le savourais même, avec la joie désespérée du malade qui gratte sa plaie et se met à rire quand il a du sang aux ongles.
Quelquefois, n’en pouvant plus, dévoré de passions sans bornes, plein de la lave ardente qui coulait de mon âme, aimant d’un amour furieux des choses sans nom, regrettant des rêves magnifiques, tenté par toutes les voluptés de la pensée, aspirant à moi toutes les poésies, toutes les harmonies, et écrasé sous le poids de mon cœur et de mon orgueil, je tombais anéanti dans un abîme de douleurs, le sang me fouettait la figure, mes artères s’étourdissaient, ma poitrine semblait rompre, je ne voyais plus rien, je ne sentais plus rien, j’étais ivre, j’étais fou, je m’imaginais être grand, je m’imaginais contenir une incarnation suprême, dont la révélation eût émerveillé le monde, et ses déchirements, c’était la vie même du dieu que je portais dans mes entrailles. À ce dieu magnifique j’ai immolé toutes les heures de ma jeunesse ; j’avais fait de moi-même un temple pour contenir quelque chose de divin, le temple est resté vide, l’ortie a poussé entre les pierres, les piliers s’écroulent, voilà les hiboux qui y font leur nids. N’usant pas de l’existence, l’existence m’usait, mes rêves me fatiguaient encore plus que de grands travaux ; une création entière, immobile, irrévélée à elle-même, vivait sourdement sous ma vie ; j’étais un chaos dormant de mille précipices féconds qui ne savaient comment se manifester ni que faire d’eux-mêmes, ils cherchaient leurs formes et attendaient leur moule.
Oh ! le pâle soleil d'hiver ! il est triste comme un souvenir heureux.
Depuis longtemps déjà j’ai séché mon cœur, rien de nouveau n’y entre plus, il est vide comme les tombeaux où les morts sont pourris.
A quoi bon écrire ceci ? pourquoi continuer, de la même voix dolente, le même récit funèbre ? Quand je l'ai commencé, je le savais beau, mais à mesure que j'avance, mes larmes me tombent sur le coeur et m'éteignent la voix.