Avec ces lieux sombres,
Gillian Flynn affirme son éblouissant talent.
Talent de conteuse, tout d'abord, alternant de chapitre en chapitre les voix du passé et celle du présent.
Celle du présent, c'est celle de la petite fille, devenue adulte, qui a assisté, impuissante et cachée dans un placard, à l'assassinat de sa famille : sa mère et ses deux soeurs. Sans avoir rien vu, Libby Day a accusé son frère de quinze ans d'avoir commis ces atrocités et Ben purge sa peine de prison depuis vingt quatre ans.
Cette Libby Day, adulte dépressive et immature, vit d'expédients. Il lui a visiblement été impossible de dépasser le drame qu'elle a vécu, d'admettre qu'elle a accusé son frère sans la moindre preuve et de se construire le moindre avenir !
Incapable d'insertion sociale satisfaisante, elle se résout afin de gagner un peu d'argent, à entreprendre une enquête sur les événements d'il y a vingt-cinq ans, suite à la demande d'un groupe de soutien persuadé de l'innocence de son frère. Elle va alors entamer une enquête qui va la mener de surprises en surprises. Ce qu'elle fait d'abord par intérêt, elle va ensuite le continuer de son propre chef, afin de découvrir la vérité. Et en cela, ce personnage plutôt négatif au départ va évoluer de manière spectaculaire jusqu'à devenir humainement touchant en manifestant courage et pugnacité.
Les voix du passé sont celles de la mère et de Ben qui content par le menu le détail de cette journée fatidique ayant mené inexorablement la famille vers son destin.
On passe d'un chapitre à l'autre, de 1985 à aujourd'hui, et ce, d'une manière si naturelle, qu'il semble au lecteur qu'il n'y ait aucune rupture de ton et qu'il reste installé dans la continuité de l'histoire.
Talent d'analyse, ensuite, tant les personnages à la psychologie fouillée gagnent une épaisseur et une parfaite crédibilité. Et aucun d'entre eux n'est sacrifié ! rien ici n'est laissé au hasard. Et tout s'enchaîne parfaitement dans une suite logique, menant directement et inéluctablement vers la catastrophe finale. Un seul bémol cependant : certaines scènes très crues de sexe et de violence, pas forcément indispensables pour l'évolution de l'intrigue ; il m'a même semblé y sentir une pointe de complaisance de la part de l'auteur !
Enfin le principal talent de
Gillian Flynn dans cette histoire, c'est de restituer avec une précision qui tient du prodige les réalités sociales de la crise rurale aux Etats-Unis pendant les années 1980. le comportement de tous les personnages reflète cette désespérance, cette profonde misère qui assaille les êtres en perdition, ceux qui ont tout perdu ou savent qu'ils sont sur le point de tout perdre, ceux qui errent dans des paysages dévastés par la crise économique, ceux qui se débattent face à l'adversité avec leurs illusions perdues.
Qu'adviendra t-il finalement de Ben et de Libby, les deux seuls rescapés de la journée du 2 janvier 1985 ?
Eh bien, pour le savoir, lisez "
les lieux sombres", vous ne perdrez pas votre temps !