Le procès n'est pas pour demain. En attendant il va rester en maison d'arrêt. Un lieu où la vie s'arrête. C'est précis, les mots. Sa peine c'est de ne pas encore connaître sa peine. Son avocat ne lui donne aucune date. Ni même l'espoir d'une date. La justice prend tout son temps. p.244
Jamais ces deux-là ne se sont autant parlé. La maladie les rapproche. Le temps compté. Un sourire éclaire le visage de Brun. Ce taiseux veut dire ce qu'il sait du monde qu'il quitte. Une sorte de transfusion du père au fils. […] Brun est en veine de confidence. p.125
Il se souvient. La mémoire lui revient par éclairs. Il y croyait. Ils y croyaient tous. […] Semer était sa façon de prier. Paysan n'était pas un métier. C'était ce geste ancestral toujours recommencé. Se nourrir pour ne pas mourir. Se faire l'égal de Dieu en multipliant le grain qui donne le pain. Un champ laissé en repos était un crime. Il fallait défricher le sol, l'ouvrir bien net, tracer une raie franche, semer des graines soigneusement sélectionnées. Féconder, fertiliser. Produire. Lutter sans cesse contre la nature pour s'en rendre maître. Même s'il faisait partie de la nature, lui aussi. p.115
Sur la plaque de lave de Clermont on lit cette inscription des amis des Soulaillans en date de 1983, l'année de naissance de Mo : « Pas en avant, pas en arrière. Toujours plus haut ! » Ce qui frappe, ce sont les mentions de villes et des lieux remarquables portés de part et d'autre de deux arcs de cercle. Le premier indique des destinations proches, Autun Besançon, Guéret. Le second nourrit l'imaginaire, Delhy, La Havane Kiev. Mais aussi les Monts de l’Oural et la Terre de Feu. Par ce subterfuge, Suzanne a voulu envoyer un message à son fils : court le monde, aussi loin que tu partiras, il existera toujours une route pour te ramener. Les distances sont calculées dans l'ordre des azimuts et en orthodromie - un mot savant qui veut dire « à vol d'oiseau ». Ainsi, depuis le rebord de la table au pouvoir magique l'Everest se trouve exactement à « 8453 km », signe qu'on peut tout atteindre, même le toit du monde si on sait planer par la pensée. p.87
Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvé pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.
Produire était devenu un gros mot. On voyait aux informations les paysans sans terres du Brésil et du Sahel. Et chez nous en ouvrant les volets on contemplait nos terres sans paysans.
Brun sortit une gauloise de son paquet fripé;
"Nous autres les hommes on en veut toujours plus. C'est notre grande différence avec les oiseaux"
« Il n’avait de rapport au monde qu’à travers ses terres …. Sa raison de vivre était tout enfouie dans ces étendues fécondées qui portaient l’épi comme un destin vertical. Plus il se penchait sur ses sillons, plus il se sentait grand, utile, et somme toute heureux. »
Nous paysans avons souvent manqué de vigilance, et mon père a payé de sa vie les excès d'un système où les conseilleurs s'étaient changés en pousse-au-crime. Mais est-ce une raison pour nous dénaturer encore ?