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Critique de Chri


Michel Foucault nous embarque avec la Nef des Fous, la peinture de Jérôme Bosch (vers 1500), pour un long voyage au bout duquel on pourrait aussi bien tomber sur la scène du célèbre film "Vol au-dessus d'un nid de coucou" où le personnage interprété par Jack Nicholson, interné à l'asile, organise une virée rocambolesque avec les autres internés.
Cette histoire est une boucle autour de la liberté insaisissable des fous, à travers l'ordre social et moral encore à oeuvre à la « libération » des fous par Pinel à Bicêtre et à La Salpêtrière (et par Tuke en Angleterre).
La pensée médicale n'est que secondaire dans cette histoire alors même que ces évènements de la fin du XVIIIème sont considérés comme l'origine de la psychiatrie. Et même en prolongeant jusqu'à Freud, Michel Foucault veut montrer que « si le personnage médical peut cerner la folie, ce n'est pas qu'il la connaisse, c'est qu'il la maîtrise ».
La philanthropie est également secondaire. La solidarité humaine, primaire à toute société, est canalisée par la conscience bourgeoise dans une assistance publique minimale (idée promue notamment par un certain Dupont de Nemours). Il n'y a que des morales closes à l'oeuvre. Celle des Quakers, dans le projet de Tuke, est dépeinte comme une abomination. Les résultats qui tiennent du «quasi-miracle » paraissent évidemment douteux : la « guérison spontanée de la folie n'est peut-être que sa secrète insertion dans une artificieuse réalité ».
Mais le pouvoir du « positivisme » des « légendes de Pinel et de Tuke » se comprend peut-être mieux quand on songe aux terribles conditions d'enfermement au XVIIème siècle, le siècle du « rationalisme » de Descartes, qui marque une « coupure essentielle entre raison et déraison, dont l'internement n'est que l'expression institutionnelle ». C'est qu'à cette époque on enferme pêle-mêle les fous, les libertins, les indigents, les chômeurs, les homosexuels, etc… « Cette société qui devait un jour désigner ces fous comme des "aliénés", c'est en elle d'abord que la déraison s'est aliénée »
Il faudra du temps pour que ce domaine de la « déraison » se vide et laisse la folie toute seule, « objectivée », mais pour autant « l'asile des fous de Tuke et Pinel n'est qu'un rééquilibrage des formes de conscience de l'âge classique ». C'est pourquoi Foucault va observer précisément tout le long de ce livre, les opérations de ces différentes formes de conscience : critique, pratique, énonciative et analytique. Les problèmes soumis à la conscience sont toujours les mêmes : la peur, de devenir fou ou d'être assailli par les fous, la responsabilité, notamment dans les affaires criminelles, l'assistance et le traitement médical.
L'analyse est abondamment nourrie de témoignages d'époque et d'extraits d'oeuvres littéraires. Ce sont autant d'invitations à explorer plus loin : l'Eloge de la folie (Erasme au XVIème siècle), Don Quichotte (Cervantes, XVIIème), le Neveu de Rameau (Diderot, XVIIIème), les oeuvres de Sade (XVIIIème), etc..
Antonin Artaud et Nietzsche jouent un rôle bizarre dans ce livre, leur nom est répété de nombreuses fois sans commentaire ou presque, comme un leitmotiv. Mais on devine le problème.
« Quel est donc ce pouvoir qui pétrifie ceux qui l'ont une fois regardé en face, et qui condamne à la folie tous ceux qui ont tenté l'épreuve de la déraison ? »
Je reste perplexe devant cette étrange fascination pour « la ruse et le triomphe de la folie » et devant un tel scepticisme envers le pouvoir humain de compassion et de solidarité.
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