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Ce texte reste fondamental pour comprendre notre époque présente, bien qu'il ait été publié dans les années 1970 et que son auteur soit décédé en 1984 – lorsque que l'on parle de surveiller et punir, c'est un comble de mourir cette année-là !
Foucault expose l'évolution de la surveillance et la sanction vers une rationalisation. Il envisage le monde moderne dans la perspective d'une surveillance généralisée. Et malgré les quelque quarante années qui nous séparent de son essai, force est de lui donner raison. L'informatique nous le démontre !
Il explique aussi comment la sanction a glissé de la torture du condamné à l'exécution rapide : on est passé des supplices de Ravaillac ou Damien à la guillotine. Puis, les exécutions publiques ont disparu ; avec elles une excitation au voyeurisme morbide. Au passage, je rappelle aux plus jeunes qu'à l'époque de ce livre la peine de mort est encore en application en France. Elle sera abolie en 1981.
L'espace carcéral aussi s'est rationalisé, comme les espaces hospitalier et de travail, deux lieux où l'on archive et surveille également les individus. S'agissant de l'espace de travail, sa rationalisation atteindra son paroxysme avec la taylorisation, ce découpage des tâches qui transformera l'homme en machine-outil. Pour les prisons, la maltraitance physique du prisonnier s'est muée en privation de liberté.
Autrement dit, l'homme contrôle l'homme, ce qui oblige à repenser la liberté.
Mais la sanction – et c'est maintenant moi qui parle – n'en reste pas moins essentielle pour maintenir un équilibre viable et limiter les instincts individuels. Ne dit-on pas : « Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres » ? L'éducation ne saurait suffire : il faut une répression, raisonnée certes, mais une répression tout de même, pour que les règles de vie en commun soient respectées. Car vivre ensemble – mot aujourd'hui galvaudé, voire perverti – est un jeu qui peut s'avérer dangereux si chacun établit ses lois personnelles sans souci de l'autre.
Toutefois, quelles que soient mes divergences d'opinions d'avec Foucault - sans la prétention d'égaler son savoir! -, elles n'empêchent pas certaines convergences intellectuelles. Car, je le rappelle, Surveiller et punir est un essai majeur.
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Voilà quelques temps que je souhaitais faire la découverte de Foucault, l'entame de celle-ci s'est portée vers cet ouvrage, Surveiller et punir, dont je ne regrette pas la lecture.


Il y fait la généalogie du système pénal -français, avec quelques exemples mondiaux, mais l'extrapolation n'est pas compliquée à faire, la nature humaine restant partout fidèle à elle-même- et comment celui-ci influence notre société.

La privation de liberté est maintenant la peine la plus aboutie dans notre pays, la plus aboutie et la plus conséquente à une époque où la liberté justement ne l'a jamais autant été elle aussi -n'en déplaise à ceux qui aiment à hurler à sa destruction, restons lucides-, la coïncidence ne doit pas en être une.
La prison telle que nous la connaissons a environ deux siècles, et aujourd'hui, comment la considérons-nous ? Comme un échec encore et toujours retentissant, les statistiques sont éloquentes, les probabilités d'y passer une partie de sa vie sont presque supérieures après y avoir séjourné quelques temps que si l'on n'y a jamais été, symptôme d'une erreur en perpétuelle recommencement, ou réussite camouflée d'une préparation des individus ?
A la lecture de ce livre, la réponse ne fait plus guère de doute, mais la prison n'est que la quintessence de la façon dont est organisée notre société contemporaine, elle est l'organisme disciplinaire qui nous est le plus éloigné, mais nous connaissons et expérimentons son principe tous les jours. Non, ce n'est pas un délire de paranoïaque en mal de nouvelle théorie du complot à propager, la façon dont Michel Foucault a mené son étude a des bases tellement solides, cite tellement de sources, possède un raisonnement tellement logique et évident sitôt que l'on nous met face aux bons éléments, que l'on ne peut qu'y souscrire.

Le style d'écriture qu'a choisi Foucault pour nous exposer sa thèse, sans être vulgarisé, est vraiment accessible pour peu que l'on s'en donne la peine ; ne vous excusez pas de ne pas accepter d'ouvrir les yeux sur la manière dont s'articule notre système autour de la prison sous prétexte que cet ouvrage doit être incompréhensible, car il n'en est rien, on peut le lire sans même avoir fait la connaissance avec le genre de l'essai pour peu que l'on s'en donne la peine.


Une grande découverte qui, bien que pouvant décontenancer, permet une plus fine analyse de notre société contemporaine et de la façon dont celle-ci est organisée.
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Hormis l'histoire intellectuelle au sens strict et l'histoire des théories philosophiques, il m'a toujours paru très avantageux, dans tous les cas, d'associer l'étude de la philosophie à celle de l'Histoire. Il en est ainsi dans ce grand classique que j'ai beaucoup tardé à prendre en main. Deux évolutions survenues à l'âge classique (XVIIe – XVIIIe s.) : les réformes judiciaires qui, partout en Europe suite à Beccaria, visent à transformer la sanction pénale du supplice du corps du criminel à la réhabilitation de son âme, et une invention architecturale due à Bentham, le Panopticon, qui permet de surveiller un grand nombre de détenus simultanément et sans être aperçu, donnent naissance à la prison moderne, et par là même elles révolutionnent dorénavant l'esprit et la pratique de l'exercice du pouvoir et de la domination, par la généralisation de la notion de « discipline », héritée des ordres monastiques, appliquée et diffusée dans tous les domaines de la société : en particulier à l'école, à l'armée, à l'atelier, à l'hôpital et naturellement dans le judiciaire.
Les philosophes du droit des Lumières préconisaient l'abolition de l'aspect spectaculaire des punitions, de leur côté inhumain, cruel et arbitraire, ils aspiraient à justifier les peines à l'aune de leur utilité pour la resocialisation du criminel par le travail, la morale et l'hygiène de vie. Mais leur démarche s'inscrit dans une autre tendance historique lourde : celle de la surveillance des masses, de la normalisation des comportements par la sanction, de leur adaptation par la domination (« dressement ») à une rationalisation de la production, de l'apprentissage, de la guerre au moindre coût et moindre risque de rébellion, et enfin de la production d'un savoir sur l'humain conforme au pouvoir et de la standardisation de telles connaissances avec la diffusion de l'examen. Si les peines deviennent plus douces, la punition se généralise, et c'est l'omniprésence de la détention dans les prisons modernes, fondées sur la « cellule », bien que des études très précoces – pratiquement contemporaines de la réalisation du judiciaire « tout-prison » dès la première moitié du XIXe s. – montrent ce que l'on dénonce aujourd'hui aussi : la prison crée la récidive, elle transforme le délinquant occasionnel en professionnel du crime, le régime carcéral hors du tribunal tend à moduler la peine selon la personne du criminel et son statut social plutôt que selon la gravité du crime et sa nuisance pour la société. Mais Foucault va plus loin : le carcéral, exercice de la discipline par excellence et pour l'exemple, tout en rendant les corps « dociles et utiles », crée la délinquance voire une figure spécifique du délinquant, en sélectionnant parmi les illégalismes ceux qui sont le plus conformes au dessein général du pouvoir : le contrôle maximum et la manipulation des forces sociales par la discipline. S'il vivait aujourd'hui, il trouverait une confirmation de sa thèse dans les nouvelles formes de surveillance ainsi que dans le nouveau discours sur la sécurité...
Tout cela est démontré, par une profusion de textes divers qui parfois versent dans le sordide, uniquement comme une archéologie de cette métamorphose caractérisant la modernité, c'est-à-dire par des textes du XVIIe, XVIIIe et de la première moitié du XIXe s. : l'ouvrage se clôt assez brutalement, sans un point, comme saisi par l'immensité de l'évocation de ses derniers mots : « il faut entendre le grondement de la bataille », par la note suivante : « J'interromps ici ce livre qui doit servir d'arrière-plan historique à diverses études sur le pouvoir de normalisation et la formation du savoir dans la société moderne. »
Et en effet la frustration est constante, durant la lecture, de rechercher des clés d'interprétation des réalités contemporaines, a minima par analogie, alors que le texte apporte toujours un grand soin à cadrer sa démonstration dans le strict respect du contexte thématique et historique. Les innombrables commentateurs et tous ceux qui citent cet ouvrage ne se sont pas privés de faire le saut (et mes cit. ci-dessous ne font pas exception) au point que je n'avais pas du tout imaginé que cet essai était un livre d'Histoire...
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Un livre essentiel et un livre très dur à lire.
Michel Foucault a l'art de raconter et de mettre en lumière faits historiques et mouvements de pensées. Néanmoins certaines parties décortiquant et retranscrivant des scènes de supplices m'ont marqué au point que j'ai sauté des pages.
La réflexion sur le système historique de mise en scène collectif par le spectaculaire jusqu'à l'invisibilité des peines actuelles par le maintien, la maîtrise et l'ordre est passionnant. le raccordement à la place de la religion et / ou des Lumières est vraiment intéressant et donne à voir la gestion du judiciaire et son histoire comme miroir d'une société et de sa santé.
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Corrigez-moi si je me trompe mais il est de notre devoir, puisque c'est aussi le droit de tout un chacun, de remanier le discours, de le reprendre à son compte, de prendre note des actes de langage. L'ensemble des rapports rédigés constituent un ensemble de données ; il faut les classer, les hiérarchiser, pour que ces archives construisent peu à peu un savoir sur l'homme permettant d'en faire l'objet d'une étude : nous en venons aux sciences humaines. Connaître l'homme, c'est essentiel pour le comprendre, pour l'assimiler ; l'objectif premier est de le mener vers quelque chose de bien précis, et puisqu'il est dans la nature humaine de vivre en société, je dirais qu'on le conduit vers le vivre-ensemble ; du moins, en théorie.

En pratique, c'est différent parce qu'on ne s'entend pas toujours. On se dispute. On s'entretue même, parfois. On meurt ensemble, aussi. L'état de nature n'est pas loin, d'autant plus quand on vit dans la jungle des villes. On se demande comment se constitue la société, lorsque la violence règne.

Michel Foucault entre direct dans le vif du sujet. Il fait de nous les spectateurs d'une condamnation à mort et on assiste à la représentation théâtralisée de la violence. Il faut bien solliciter la participation du peuple puisqu'il s'agit de faire souffrir le condamné, avec une surenchère de détails , pour mieux l'édifier, et surtout, pour que le pouvoir s'affirme de la manière la plus absolue. Ils ne manquaient pas d'imagination pour torturer les gens à l'époque. On a l'impression d'assister à mille morts sur la même personne. Pourquoi une telle violence ? Parce qu'il s'agit de châtier le pire des crimes : le régicide. C'est un peu comme un parricide, mais c'est encore plus scandaleux parce qu'on s'attaque au pouvoir absolu, au représentant de l'État, qu'on imagine volontiers choisi par Dieu, s'il n'est pas Dieu lui-même. On punit un sacrilège. La violence qui peut paraître gratuite a une fonction sociale, politique, et j'ajouterais même religieuse, puisqu'il s'agit de s'intéresser aux rituels qui régissent la société, à tout ce qui nous réunit, aussi.

La circulation des feuillets où le condamné proclame son crime rend le châtiment légitime. C'est le fait divers de l'époque. Le peuple réclame parfois la punition, notamment contre les tueurs d'enfants, mais il se révolte aussi, à l'inverse, contre le bourreau, contre les représentants du pouvoir. Une autre forme de littérature apparaît alors, écrite par le peuple et pour le peuple, où le criminel proclame son crime non plus pour rendre légitime le châtiment mais pour exprimer sa révolte. On idéalise peu à peu le criminel, pour en faire un symbole, contre le pouvoir absolu. Il a fallu faire autrement, parce qu'on s'éloignait de l'objectif : la main mise sur le peuple. On essaie de limiter les supplices, en créant l'échafaud, par exemple, pour que l'exécution soit rapide, et puis c'est pratique pour séparer le corps de la tête, pour éviter que les idées de rébellion, les idées révolutionnaires, ne s'expriment en actes. La violence entraîne la violence et il ne faut pas s'étonner de voir l'échafaud, l'instrument privilégié de l'État, réutilisé pour attenter au chef du chef de l'État.

Le pouvoir, peu à peu, se fait plus prudent, plus discret, plus subtil. On établit des Codes, on écrit pour que la loi retrouve sa légitimité. La justice se fait plus visible, la procédure, plus lisible. Enfin, en théorie, parce qu'encore de nos jours, il faut connaître les codes pour comprendre leur jargon. La justice s'exécute de manière insidieuse, secrète. C'est un nouvel investissement politique et détaillé du corps. Au lieu de s'attaquer ouvertement aux corps, qu'on souhaite dociles, on forme les idées, par le discours : l'idéologie.

On s'intéresse aux utopies où tout fonctionne comme sur des roulettes parce que tout est savamment orchestré, huilé. On les réalise : on bâtit ces architectures parfaites, qui permettent de coordonner l'ensemble pour une meilleure efficacité, pour un meilleur contrôle, aussi. C'est l'utopie politique, parce que si on pense selon d'autres critères, ces murs qu'on construit attentent à la liberté. L'utopie a ses limites et se transforme très vite en dystopie. On surveille constamment les individus avec le modèle du Panopticon, via la tour de contrôle. La tour elle, demeure impénétrable au regard, ce qui fait qu'on se retrouve confronté au regard inquisiteur de Dieu qui voit tout, à notre conscience, parce qu'on se retrouve seul face à nous-même, parmi la multitude.

On instaure la discipline. Voici une définition trouvée à la va-vite sur wiki : "Une discipline est un petit fouet à base de cuir, de chanvre ou de métal servant à s'infliger sévèrement une punition corporelle, selon un rite religieux. Il s'agit d'une forme de mortification". Ah non pardon, je dois confondre ... La discipline, selon Foucault, c'est l'exercice du corps et de l'esprit, selon une mécanique bien spécifique, selon un emploi du temps donné, sur le modèle des monastères, où le temps est découpé en fonction des temps de recueillement, des rituels.

C'est une nouvelle "anatomie politique", une "mécanique du pouvoir", qu'on applique un peu partout, dans les institutions religieuses, médicales, scolaires, militaires, judiciaires. On nous suit, on crée des dossiers sur nous : dossier scolaire, dossier médical etc. et ce même si on a pas de casier judiciaire. L'administration permet un meilleur contrôle des masses, une meilleure gestion des hommes, une meilleure productivité, une économie optimale. On nous capitalise.

C'est une justice codée, qui se veut égalitaire, mais on a en contrepartie les dispositifs disciplinaires et " les disciplines réelles et corporelles ont constitué le sous-sol des libertés formelles et juridiques" (p.258). Michel Foucault parle d'un "contre-droit", puisqu'il s'agit d'un mécanisme d'objectivation, de normalisation, d'une subordination consentie parce qu'elle est subtile.

Autrement dit, on nous prive de notre liberté d'être nous-même en nous formant selon une norme préétablie. On est déterminé par les lois mais plus encore par les techniques disciplinaires qui assujettissent nos corps et nos esprits, dès l'enfance.

Je finirai cette critique qui est déjà bien trop longue par la partie que j'ai préféré du chapitre "Prison", dans la sous-section " Illégalismes et délinquance". C'est un compte-rendu de la Gazette des tribunaux, datant d'août 1840. Un jeune garçon de treize ans, orphelin, est inculpé de vagabondage et condamné à deux ans de correction. "Il serait à coûp sûr passé sans traces, s'il n'avait opposé au discours de la loi qui le rendait délinquant (au nom des disciplines plus encore qu'aux termes du code) le discours d'un illégalisme qui demeure rétif à ces coercitions". Le journaliste note :
"Le président : On doit dormir chez soi. - Béasse : Est-ce que j'ai un chez soi ? - Vous vivez dans un vagabondage perpétuel. - Je travaille pour gagner ma vie. - Quel est votre état ? - Mon état : d'abord j'en ai trente-six au moins ; ensuite je travaille chez personne. Il y a déjà quelque temps que je suis à mes pièces. J'ai mes états de jour et de nuit. Ainsi par exemple, le jour, je distribue de petits imprimés gratis à tous les passants ; je cours après les diligences qui arrivent pour porter les paquets ; je fais la roue sur l'avenue de Neuilly ; la nuit, j'ai les spectacles ; je vais ouvrir les portières, je vends des contre-marques ; je suis bien occupé. - Il vaudrait mieux pour vous être placé dans une bonne maison et y faire votre apprentissage. - Ah ouiche, une bonne maison, un apprentissage, c'est embêtant. Et puis ensuite, le bourgeois, ça grogne toujours et ensuite, pas de liberté. - Votre père ne vous réclame pas ? - Plus de père. - Et votre mère ? - Pas plus, ni parents, ni amis, libre et indépendant."

Rares sont ceux qui se sentent réellement libres.

Cet enfant m'a rappelé le Mondo de J. M. G. le Clézio, cet enfant vagabond, épris de liberté et qui s'effraie à l'idée qu'un jour, on l'emporte comme les chiens dans le véhicule de la fourrière, pour le conduire ailleurs, pour le faire disparaître.
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Dans « Surveillé et punir », Foucault décrit le passage d'une société de punition à une société de surveillance (généalogie de la morale). Foucault montre que, dans notre société disciplinaire, le corps n'est plus une donnée naturelle, qu'il est investi, requis, traversé par des procédures qui le rendent docile, obéissant afin qu'il puisse être utile (les disciplines). Les corps sont dressés ni par une institution, ni par un appareil mais en application de savoirs-pouvoirs diffus, omniprésents, anonymes, étendus, détaillés, pointilleux, d'une machinerie sans titulaire (micro pouvoirs), comportant instruments, techniques, procédés, niveaux d'application, cibles (micro physique). En les dépersonnifiant, les corps sont individualisés, assignés à un espace pour être normés, archivés, et constamment surveillés. C'est la vie elle-même qui devient objet de pouvoir. Foucault dévoile dans « Surveiller et punir » le rapport qui existe entre un ensemble de techniques de pouvoir, qui prend pour cible les corps, les vies, et la généralisation de la prison. Pour Foucault, c'est la société disciplinaire qui produit, de l'extérieur, certes comme résultat le plus radical et le plus abouti, la prison.


Foucault décrit méticuleusement le passage des supplices aux cellules, de la vengeance à la punition, d'une société de terreur, de spectacle où une multitude contemple quelques-uns à une société de surveillance où une multitude est surveillée par un petit nombre. L'idée de vengeance du souverain attaquée dans sa souveraineté a été abandonnée au profit d'une technologie du redressement par la société toute entière lorsqu'elle est atteinte dans ses fondements. Foucault montre comment, sous la double impulsion d'une orthopédie morale et d'une architecture qui en fournit la possibilité, l'ère carcérale a pris naissance. Un dispositif visant à l'amendement des coupables, au châtiment de l'âme est dans nos sociétés modernes mis systématiquement en place. Les prisonniers sont individuellement encellulés et mis sous surveillance constante. le retour sur soi, l'intériorisation de la faute doit permettre de réifier les âmes sans meurtrir les corps ; la méfiance généralisée doit forcer à l'obéissance. La société ne puni pas moins mais différemment nous dit Foucault. Elle punit avec une sévérité atténuée mais avec plus de généralité. Ce que la peine a perdu en densité, elle le gagne généreusement en étendue. La civilisation disciplinaire a produit la prison mais elle n'a pas eu à faire à une fille ingrate. Bonne élève, la prison a carcéralisé en retour la société toute entière étendant ses procédures arbitraires hors d'elle-même. Un pouvoir carcéral s'est autonomisé du contrôle de la justice et de l'opinion, il a cogéré la peine en inventant des procédés inédits et généralisables (la prison s'est révèlée aussi comme un lieu de production d'un savoir : comportementalisme, techniques de classification, de gestions spécifiques du temps et de l'espace ...).


Foucault dans « Surveiller et punir » affirme : la prison n'échoue pas, elle réussit ! Il faut, nous dit-il, pour s'en persuader, sortir de l'explication interne de la gestion des détenus et se préoccuper de ce qui en amont l'alimente : la production des illégalismes. Les illégalismes sont des éléments positifs du fonctionnement social. Tout espace législatif ménage des espaces profitables et protégés où la loi peut être violée, d'autres où elle peut être ignorée, d'autres enfin où les infractions sont sanctionnées. La bourgeoisie parvenue au pouvoir n'a plus supporté les anciens illégalismes populaires. La centralité du matériel et de la propriété privée, la prise en compte du corps force de travail de l'ouvrier (rendement, absentéisme, migration ...) ont impliqué une reconfiguration autre des illégalismes. La prison a été l'instrument de réaménagement du champ de ces nouveaux illégalismes, la courroie de distribution de son économie. La prison a localisé une plèbe déclarée dangereuse, elle l'a marginalisée, coupée de ces racines sociales pour former une certaine forme d'illégalisme professionnel : la délinquance. Dit autrement, la délinquance a été cette découpe intentionnelle historique de certains illégalismes dans l'épaisseur des illégalismes que la prison a eu pour tâche de cerner, d'exalter, de stigmatiser. Analysée à la lumière cette économie des illégalismes, la prison s'est révélée un efficient appareil d'intégration plutôt qu'exclusivement de répression. Il y a eu en effet de multiples intérêts à cette professionnalisation. La délinquance a entretenu un conflit idéologiquement profitable avec le restant de la population, elle a favorisé l'acceptation de la répression et le contrôle policier sur l'ensemble de la société et elle a servi de main-d'oeuvre à la bourgeoisie pour surveiller, infiltrer et manipuler le prolétariat. Elle a pesé sur l'illégalisme populaire et laissé dans l'ombre l'illégalisme des classes au pouvoir.


Foucault met enfin à jour, avec la prison, le personnage qui allait désormais dominer la scène judiciaire : l'individu dangereux. Extrapolé à partir de faits indéniables mais aussi isolés et (ou) résolus qui se transforment en tendances natives, dispositions permanentes, l'individu dangereux est à la fois considéré comme malade et criminel sans être l'un ou l'autre. Il a la double appartenance au champ judiciaire et au champ médical. Un déplacement a été ainsi significativement opéré : ce n'est plus l'acte qui est désormais répréhensible mais son auteur. La psychiatrie dans notre société contemporaine est devenue le vecteur dominant de la scène judiciaire avec la question centrale de la dangerosité et ses deux corrélats : l'accessibilité à la peine et la curabilité des détenus. La notion de risque est aujourd'hui mise en avant et la peine est le moyen non de punir mais de prévenir. Foucault pensait que si la dangerosité traduit souvent un danger imaginaire, une virtualité, les mesures pour la circonscrire en revanche étaient réellement productives d'insécurité, de peurs et d'obsessions sécuritaires.


Michel Foucault déclarait : « Ecrire ne m'intéresse que dans la mesure où cela s'incorpore à la réalité d'un combat, à titre d'instrument, de tactique, d'éclairage ». « Surveiller et punir » est-il l'instrument souhaité par l'auteur ? Est-ce que cette subtile mécanique peut encore rogner quelques barreaux, ouvrir quelques portes, élargir quelques brèches, écarter certains murs ? Elle l'a indiscutablement fait. Une fois lu, faut-il ranger sagement l'ouvrage sur une étagère, faire quelques commentaires élogieux, approximatifs ou savants et retourner à la routine des peccamineux surveillants, des portiques mouchards, des orwelliens ronds-points et des incertaines coursives ? Un spectre de Foucault semble pourtant encore hanter l'espace du carcéral.
Foucault avec « Surveiller et punir » a durablement changé notre regard, il a rendu inévidentes nos évidences les plus quotidiennes. Il a montré selon quelle nécessité la prison est advenue et du même coup comment elle pourrait disparaître. le recours à l'incarcération comme dispositif pénal privilégié n'est en effet pas de toute éternité. Il a montré plus généralement comment du savoir produit du pouvoir disciplinaire dans la société toute entière.
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Après la théorie de la justice de John Rawls, je suis de nouveau confronté à une lecture qui a pour thèmes la justice et les idées utilitaristes de Bentham. Mais cette fois, l'ouvrage est bien plus abordable et agréable à lire, malgré la complexité du sujet traité. Peut-être parce que Foucault écrivait en français tandis que l'ouvrage de Rawls a été traduit de l'anglais. Dans cet ouvrage, considéré comme l'un des plus important de Michel Foucault, l'auteur explique comme est apparu la prison moderne dont le type panoptique est le modèle par excellence. de "l'exécution spectacle " dont le régicide Damiens a été l'une des victimes les plus célèbre à l'enfermement (couvents, maisons de fous, atelier-manufactures, etc.) puis à la prison moderne dont Mettray est la forme la plus aboutie en 1840, plusieurs siècles se sont écoulés accompagnés de réflexions diverses dont Bentham a été l'un des plus important contributeur. Outre l'apparition de la prison moderne, Foucault explique le rôle de la prison comme expression du pouvoir de l'Etat. La prison comme forme de privation de liberté est t-elle une punition ? Vise t-elle à remettre dans le droit chemin les "mauvais citoyens" ? Ou au contraire comme le prétend ses détracteurs dès son apparition, la prison est t-elle une fabrique à délinquant ?
Surveiller et punir a été une agréable surprise d'autant que le sujet ne me paraissait pas si accessible de premier abord.
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Un gros classique des sciences humaines et sociales, et j'ai compris pourquoi. D'où vient l'idée d'enfermer pour redresser ?
Cet ouvrage philosophique et historique fait une généalogie de l'institution carcérale. Il est question de prison, mais aussi d'autres lieux modernes de correction disciplinaire, de contrôle des corps et d'actions thérapeutiques sur les esprits (Foucault parle d' "orthopédie sociale") : l'armée, l'hôpital, l'école... il résonne toujours dans l'actualité sociale. Surveillance, exercices, classement, examens et enregistrements sont finalement décrits dans leur développement historique, pour montrer comment les forces sont canalisées et maîtrisées. Car les hommes et les femmes doivent être utiles. Cet assujettissement est organisé techniquement : Foucault parle de biopouvoir et de technologie politique du corps. Il existe de nombreux procédés disparates, ce n'est pas le fait d'un État en particulier ou d'une institution.
Foucault retrace le passage des tortures et exécutions publiques à un jeu de douleurs plus subtile et discret, avec l'idée d'une peine corrective. Il y a une humanisation visible (respecter l'humanité des personnes), un adoucissement des lois dès le 18è siècle; mais le corps des condamné•es devient un bien social utile, dissuasif pour les autres.
Dès le 19è siècle le spectacle punitif devient progressivement enfouissement bureaucratique, et le châtiment devient une économie des biens suspendus (prison, travail forcé, déportation...)  La discipline devient l'art de répartir les personnes dans l'espace, avec des techniques de contrôle des activités... L'appareil pénal s'est médicalisé, psychologisé et pédagogisé.
Cet ouvrage propose de nombreux concepts et notamment le panoptisme, avec la panoptique comme figure architecturale de la surveillance absolue, institution disciplinaire parfaite...et ce dispositif peut s'intégrer à n'importe quelle fonction (éducation, châtiment, thérapie, observation...)
La prison est en tous cas présentée comme un grand échec de la justice pénale : elle ne diminue pas le taux de criminalité, elle provoque la récidive, peut même créer des réseaux de délinquance...elle fait tomber dans la misère les familles de détenu•es. Mais elle n'est pas remise en cause car elle a des fonctions précises.
Difficile de résumer cet ouvrage passionnant étayé de nombreux exemples et de fines analyses.
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Compliqué de résumer un tel livre qui constitue rien moins qu'une date, une référence absolue, par son ambition analytique et son érudition..
A noter qu'ici Foucault fait d'avantage oeuvre d'historien et de sociologue que de philosophe, notamment dans une première partie ou il examine pour la période du moyen âge et de l'ancien régime les notions de Supplice et de Punition envisagées tel qu'il le précise lui-même, comme " affirmation emphatique du pouvoir" , "présence déchainée du souverain" , et "cérémonies par lesquelles le pouvoir se manifeste "
Il faut attendre la seconde partie du livre et la thématique de la Discipline comme contrôle du corps pour voir apparaitre une approche plus conceptuelle qui postule la fabrication d'une individualité cellulaire, organique , génétique et combinatoire.
La dernière partie de l'ouvrage centrée sur le panoptisme et la prison prends cette fois un tour politique en caractérisant les perspectives totalitaires de l'un et la capacité de la seconde à circonscrire et fabriquer une délinquance qui permet de masquer et de laisser dans l'ombre les illégalismes de la classe dominante.
La seule réserve - importante- que l'on peut avoir ici concerne l'écriture et l'organisation discursive particulièrement indigeste qui noie par trop souvent la réception et le déploiement d'une pensée pourtant majeure.
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Il est toujours interessant de découvrir la vision de la société et des évolutions de celle çi par le biais de la pensée .
Ce livre se propose de démontrer que suivant l'auteur , le progrés serait néfaste à l'homme.
Si l'on peut éventuellement étre d'accord avec certains points , il y a quand méme de gros désaccords .
En effet le progrés n'est pas l'ennemi de l'humain , au contraire .
Il permet à celui ci de parvenir à une autonomie qui n'était que réve auparavant . Dire que le progrés est nefaste c'est un peu se replier dans sa coquille et cela n'est clairement pas une solution .
Si Foucault à raison sur certains aspects , il se fourvoie totalement sur d'autres , ce qui fait que la lecture de cet opus peut laisser comme image celle d'un esprit important certes , mais en décalage total par rapport aux réalités de la vie et de la société .
Certes cela n'empéche nullement de découvrir cet opus qui est par bien des aspects digne d'intéret .
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