Même si j'ai le droit de garder le silence, je voudrais témoigner du beau combat auquel je viens d'assister dans cette lecture. Il est à la fois intérieur et sociétal, rythmé de phrases choc, coups de poin
g, avec des mots qui volent en éclat, éparpillés, comme les pensées des gardés à vue qu'il nous est donné de côtoyer dans ce roman. Pourquoi sont-ils là ? Comment le vivent-ils ? Dans G.A.V., l'auteur nous fait vivre l'expérience de la garde à vue en nous plaçant dans la tête de ses personnages : On se retrouve seuls avec leurs pensées, enfermé physiquement mais aussi mentalement puisque, sans distraction, il n'y a plus moyen d'occuper les réflexions autrement qu'en les laissant se dérouler, révélant le plus profond des êtres. Elles prennent alors toute la place, une place démesurée, rebondissant contre les murs de la cellule et contre les parois de notre cerveau, vomissant rage, impuissance, idées politiques, histoires personnelles...
Une fois entré en G.A.V., le lecteur n'a donc plus d'autre choix que de subir les règles du commissariat, les bruits des cellules d'à côté, mais surtout les méditations de chacun sur ce qui les a amené ici. Tour à tour, nous sommes les gardés à vue de ce commissariat en pleine nuit : Angel, habitant de la cité qui ne cesse de penser à son sourire cicatriciel et à ce qu'il a vu - surtout ne pas leur dire qu'il prend un traitement, RIEN À DÉCLARER ; K-Vembre qui a pété un câble à l'usine où elle travaillait - est-ce que tout vient de la différence entre les sexes ? Et puis il y a ces black block arrêtés à la manifestation pacifique pour le climat - eux ne veulent pas s'entendre penser, ils préfèrent chanter LIBÉRÉÉÉÉÉ DÉLIVRÉÉÉÉÉ, c'est de circonstance.
"Ces mômes sont des enragés, ça paraît évident. Et comme tous les enragés, ils vivent mieux en cage."
Parmi eux et quelques autres, les flics régulent la vie en cellule. Blasé aux insultes, pratiquant l'humour de carapace et habitués à gérer le grabuge des cellules, ils sont ce soir particulièrement tendus : Ils recherchent le détenteur de l'arme qui a tiré deux coups de feu la nuit dernière. Est-il l'un d'entre eux ? Et si oui, pour quoi faire, et comment en être arrivé là ? Pour le savoir, il faudra subir les raisonnements intimes de chaque gardé à vue. Et subir est parfois le terme. Car tous ici trompent l'ennui en tentant de faire le tri dans ce flot de mots et d'images mentales que personne ne peut arrêter. Avez-vous déjà essayé d'arrêter de penser ? Leur vie défile sous nos yeux et nous fera entrevoir ce qui les a amenés entre ces murs inhospitaliers.
Concernant le style, l'auteur nous offre des scènes précises et percutantes lorsqu'il s'agit de décrire la vie réglée des flics, les procédures, les manipulations automatiques. Ensuite il souffle une véritable tempête de mots sur le vent de pensées libérées par les protagonistes, match de ping pong entre les phrases qui heurtent les souvenirs et rebondissent sur le présent. Enfermer quelqu'un c'est, paradoxalement, libérer ses pensées puisque plus rien ne les détourne. Subir ce flot est aussi éprouvant pour le lecteur que pour celui qui le vit, bousculé, noyé, vidé. Mais les gardés à vue continuent de cogiter car ils n'ont que ça à faire, et le lecteur continue de lire pour avoir le fin mot, et savourer cette prose travaillée, taillée pour le job. Et s'il tient bon, le lecteur est récompensé car
Marin Fouqué offre une construction qui tient la route. Avouons-le, il est aussi content d'en sortir.
Un lecteur enfermé pendant 400 pages dans les idées des autres qui, pour s'en libérer, doit les écouter jusqu'au bout, les démêler. Les comprendre. C'est parfois long, de laisser la pensée s'écouler, mais c'est en cela que la forme rejoint le fond, et que ce livre fait sens. Car 24 heures au trou, ça s'écoule lentement. Mais ça se lit d'une traite, car une fois les pensées lancées, on ne peut plus les arrêter. A réserver cependant à ceux qui ne craignent pas les lectures exigeantes, car l'auteur rend parfois celle-ci aussi confortable qu'une cellule bétonnée sans toilettes où, seule, trône sur un banc-lit une couverture malodorante qui bouge toute seule.
Ici, finalement, c'est bien par la pensée qu'on s'évade.