Un grand roman américain que
Les corrections ! L'auteur
Jonathan Franzen nous présente la famille Lambert, en apparence bien ordinaire, qui vaut bien n'importe laquelle. Il fait même davantage : il la dissèque sous toutes ses coutures, révélant au grand jour un drame cruel et dérangeant mais ô combien fascinant. Au grand bonheur des lecteurs qui auront la patience et le courage de traverser ces quelques 700 pages.
Alfred Lambert, le patriarche, est un ingénieur-retraité d'une petite compagnie ferroviaire du Midwest américain. Un homme simple, foncièrement honnête mais surtout vieillissant, à la santé physique et mentale vacillantes, déclinantes. Cet homme malade, obstiné, qui n'en fait qu'à sa tête, se terre au sous-sol où il passe ses journées sur son vieux fauteuil laid. Sa femme Enid semble plus sympathique au premier abord. Mais elle dérange avec son insistance à vouloir sauver les apparences, à se mêler de tout et de rien, à picorer, à juger les gens selon ses valeurs d'un autre temps, figées, immuables. Et que dire de son obstination, de son obsession à vouloir rassembler tout son petit monde pour Noël sans le demander directement.
Puis il y a les enfants. Ils sont trois et ils ont fui leur petite ville de St. Jude (ou bien le nid familial ?). L'ainé, Gary, occupe une position enviable dans une boite de la Caroline du Nord. Marié, père de trois garçon, il a crée sa propre famille, parce que c'était la chose à faire. Mais il n'est pas nécessairement heureux, il lutte contre la dépression et cède devant les exigences de son épouse capricieuse. Aussi, il ne pense qu'à l'argent, le nouveau dieu des temps modernes. Il ne souhaite surtout pas finir comme son frère cadet, Chip. Ce dernier a été viré de son emploi de professeur d'université et survie grâce à des piges dans des journaux à New York. Il rêve de devenir écrivain mais ne subit que des revers et des déboires. Puis il y a Denise, plus stable en apparence, qui vit à Philadelphie. Après un mariage raté et un flirt avec le lesbianisme, elle concentre ses énergies à trouver des recettes pour son nouveau restaurant gastronomique (elle est chef) et à concilier tout le monde.
À eux cinq, les membres de cette famille dysfonctionnelle représentent différentes facettes de l'Amérique. Je crois que tout le monde peut s'identitifer à un des personnages, ou du moins y reconnaître quelqu'un de sa connaissance. Dans son roman, Franzen dresse un portrait impitoyable de cette classe moyenne supérieure, fait une critique sociale. Et c'est très réussi. Les Lambert sont autant victimes du sort (du destin) que des choix personnels qu'ils font. Ils se débattent dans un chaos dont ils sont à moitié responsables. Combien de fois ai-je lancé aux personnages (dans ma tête, bien sur) : « Fais pas ça ! Non ! » Inutilement, cela va de soi. Après tout, les Lambert sont tellement crédibles, complets, complexes. Ils sont humains !
Les corrections permet d'explorer des thèmes universels comme la vieillesse (et tout ce qu'elle entraine : déchéance, sénélité, sort réservé aux personnes âgées), la famille, l'argent, la quête de soi, etc. La vie tout court. Qui peut se vanter de ne pas se sentir concerté ? Et Franzen parvient nous interpeler encore davantage grâce à son style, qui mélange habilement humour (corrosif, cynique ou décapant, selon chacun) et intelligence. Il n'est pas moralisateur du tout, il ne s'appitoie pas sur les malheurs des Lambert comme tant d'autres l'auraient fait. Non, il ne fait que dérouler sous les yeux des lecteurs, avec un réalisme incroyable, leur histoire. Elle semble d'abord ordinaire et ennuyeuse (elle l'est un peu par moments, je pense à toutes pages sur les recherches et spéculations financières de Gary), mais elle se révèle compliquée, dure, éprouvante. Il faut s'y habituer, et ce, dès les premières pages. D'autant plus que l'auteur ne laisse que très peu de place à l'imagination. Tout y est décrit, raconté avec une froide précision. Bref, un ncontournable de la littérature américaine moderne, selon moi.