J’ai alors été précipitée dans un gouffre de sensations, comme si l’on me tirait vers le sol. J’ai cherché à m’accrocher quelque part, mais il n’y avait rien à quoi s’agripper.Mon corps reprenait vie par morceau, ce qui ne faisait que m’alourdir davantage, précipitant ma chute.J’ai ressenti un choc puissant quand je me suis éveillée. Comme si j’étais tombée sur un sol de béton.J’ai eu envie de crier.Mais impossible de bouger.Impossible, presque, de respirer. Il n’y avait rien d’autre que cette douleur paralysante et ce torrent de sons tambourinant dans ma tête.
Après m’avoir épinglée de ses yeux à la couleur si particulière, il s’est détourné et s’est perdu dans la contemplation de l’extérieur. Malgré le monde qui encombrait le jardin, il m’a donné l’impression d’être happé par le vide, sans volonté visible de se sortir du flou.Je me suis levée pour m’éloigner de lui, ou plutôt me soustraire à son magnétisme. J’ai pris le verre vide qui m’était destiné et me suis servi une large rasade d’alcool. Je l’ai avalée d’un trait qui m’a brûlé la gorge.
J’aurais tellement voulu ne pas les décevoir, leur faire croire qu’un « maman » pouvait tout recoller… Mais ils étaient pour moi des étrangers dont je n’avais conservé aucun souvenir. Pas plus que ces vacances dont la famille conservait les photos dans l’immense salon, pas plus que cette marque de fourchette sur la table basse dont on m’attribuait la responsabilité (à ce qu’on m’en avait dit, une tentative de graver mon prénom à l’âge de six ans).
Tous les collaborateurs me regardaient avec insistance sans oser m’aborder ; ces gens dont j’avais peut-être été proche, un jour.Et pour cause, l’ancienne Clara aurait attaché ses cheveux en chignon alors que je les avais laissés flotter, mi-longs, sur mes épaules. Ses pieds ne seraient pas dans des bottines tendance, mais hissés sur des talons qui apporteraient la touche finale à l’ensemble tailleur — chemise blanche impeccable.
Seuls les livres, serrés dans la bibliothèque, avaient résisté à ce coup de folie. Je m’en suis approchée. J’en ai pris un au hasard, sans grande conviction.« Les apparences », de Gillian Flynn. Un des livres préférés de Clara, m’avait dit Ellen. Elle n’avait jamais vraiment compris pourquoi… moi si.Comme poussée par une vieille habitude, je l’ai ouvert. Sentir l’odeur des pages pourrait peut-être m’apaiser.