Supposons un instant que nous soyons, en tant que groupe de personnes, engagés dans une action revendiquant de meilleures conditions pour les métiers de la rue dans un certain pays, et que ce mouvement rencontre une farouche opposition. Dans le feu de l'action, nous nous sommes attribués les services d'un photographe solidaire de notre action. Ce dernier a pris sur le vif quelques scènes typiques et attractives de la vie d'un crieur de journaux et de ses compagnons de travail.
On y voit des gamins de six ans en train de vendre fort tard dans la nuit ; des petites-filles exposées à la vie publique avec toutes ses tentations et ses dangers ; des écoliers faisant du colportage dès cinq heures du matin, avant d'aller à l'école, recommençant après les cours et aussi pendant toute la journée du samedi et du dimanche ; les scènes nocturnes de petits bonhommes travaillant très tard, allant de bar en bar, apprenant ainsi le meilleur moyen de soutirer quelques jours de plus des buveurs, et où ils brisent leur ennui entrecoupant les récits d'aventures catastrophiques par les jeux de lancer de pièces de monnaie jusqu'à une heure avancée de la nuit.
Nous pouvons avoir des idées divergentes quant à l'utilisation exacte de ces documents, mais personne ne s'opposerait sans doute à ce que nous utilisions tous les supports publicitaires possibles afin de recueillir un large soutien populaire.
(Lewis Hine, 1909, pp. 115-116)
Le texte de Walter Benjamin apparaîtra sans doute, à la fin de ce recueil, comme l’ultime réflexion, dans le trouble de la montée du fascisme, sur la valeur d’usage de la photographie. Le concept de vérité est à confronter, lorsqu’il s’agit de photographier une œuvre d’art, à celui d’authenticité. L’œuvre d’art déplacée – de lieu, de nature, d’esprit – est-elle encore une œuvre d’art ? Sa « reproduction » qui dévie la « valeur d’unicité fondée sur le rituel » lui conserve-t-elle quelque chose que cette ritualité ? La reproductibilité ne conduit-elle pas à privilégier la « valeur d’exposition » qui modifie radicalement la fonction artistique de l’objet ? L’accès des masses à l’œuvre d’art n’est-il pas l’un des aspects fondamentaux des données sociales qui ont permis, par exemple, au fascisme « d’esthétiser la politique » ? Questions cruciales que n’épuise pas l’anxiété discursive de Benjamin. La photographie de l’après-guerre, on le sait, lui donnera à la fois raison et tort, car la diversification des usages a, en même temps, précipité la photographie dans ces ornières que le philosophe redoutait, et renouvelé la fonction de l’image fixe qui revient peut-être, par des voies détournées, à une attitude rituelle ancestrale. Ses interrogations fondamentales posent, sans réponse définitive, les jalons d’une attitude analytique. Nul doute que, de toute façon, la photographie ait encore son mot à dire.
(Michel Frizot, p. 8)
La photographie possède un réalisme tout à fait personnel, une attraction spécifique qui n’apparaît pas dans les autres formes l’illustration. C’est pour cette raison que la majorité des gens croient de façon implicite qu’il est impossible de falsifier une photographie. Bien sûr, vous et moi savons que cette foi aveugle dans la photographie est souvent mise à rude épreuve, car s’il est impossible à la photographie de mentir, les menteurs peuvent prendre des photographies. Il devient alors tout à fait nécessaire, dans notre quête de la vérité, de vérifier que l’appareil photographique dont nous dépendons ne contracte pas de mauvaises habitudes. Il y a peu de temps, un des leaders de l’action sociale, qui m’avait pourtant dit auparavant qu’il ne pourrait jamais utiliser des photographies dans son travail, celles-ci étant tellement falsifiées, assura le rédacteur en chef de Kellogg que les photographies sur le travail des enfants en Caroline pourraient servir de preuve dans n’importe quel tribunal.
(Lewis Hine, 1909, « Sur la photographie sociale », pp. 117-120)
[…] ne méprisons pas l’appareil photographique, même si la photographie malhonnête existe.
(Lewis Hine, 1909, p. 120)
Michel Frizot : Nouvelle histoire de
la photographieOlivier BARROT nous fait découvrir "la nouvelle histoire de
la photographie" dirigée par
Michel FRIZOT parue aux Editions BORDAS .
- Il esquisse quelques thèmes de cette histoire en évoquant les pionniers, les premiers
portraits.
- Sa présentation du livre est illustrée de
photos.