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EAN : 9782925141969
216 pages
La Peuplade (18/01/2024)
3.93/5   60 notes
Résumé :
Province du Québec, 1942. Sur Grosse-Île, dans le fleuve Saint-Laurent qu’arpentent les sous-marins allemands, les gouvernements américain, britannique et canadien mettent en place un projet top secret. Des dizaines de scientifiques y sont réunis dans la plus grande discrétion, afin de mettre au point une arme bactériologique nouvelle. Des décennies plus tard, à l’occasion d’un épisode de canicule d’une ampleur inédite, des accès de rage bousculent la petite ville d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Amis lecteurs, je vais en angoisser quelques-uns !!
Pas trop ceux qui passent leurs étés à se faire bronzer sur la plage, plutôt leurs cousins vacanciers, plus rustiques, qui préfèrent les séjours à la campagne et qui connaissent mieux le problème.
Imaginez-vous dans votre retraite rurale par une journée torride, un temps à faire une petite sieste car vous transpirez à ne rien faire.
Vous sombrez dans une douce léthargie, quand soudain un vrombissement désagréable survole vos oreilles.
Là c'est notre présent, mais imaginez que la population des prédateurs se densifie et se généralise.
Mireille Gagné, notre autrice, ne va rien faire dans cette histoire pour nous rendre ces mouches piqueuses plus sympathiques. Qu'on les surnomme en France taons, de façon générale ou aux Québec taons à cheval, mouches à chevreuil ou encore frappabords.
Pour faire monter la pression, elle nous distille par petits paragraphes, tout au long de ce roman, des informations sur l'insecte. de sa naissance, ses caractéristiques détaillées, ses différentes armes, ses préférences, son mode opératoire.
A présent et dans un futur proche, ces mouches deviennent très hostiles à l'espèce humaine. Une vraie haine anime les dernières générations de ces bestioles. Je vous laisse Mireille nous la faire entrevoir : « Vous êtes partout. Vous ne pensez qu'à vous. Vous ne prenez pas la peine d'effacer votre trace. Au contraire, c'est votre unique manière de vous exprimer. Vous vous isolez de votre habitat. Depuis combien de temps êtes-vous incapables d'anticiper l'évolution de votre environnement ?.... En cet instant précis, vous devriez ressentir de la peur. Une angoisse viscérale et atavique dans le fond de vos tripes. Ne captez-vous pas le signal de rage que notre espèce envoie pour vous attaquer ? Nous avons décidé de vous agresser, de vous nuire, de vous contaminer ».
Parallèlement nous suivons, en 2024, l'existence simple mais un peu désordonnée d'un ouvrier, Théodore, vie réglée entre les trois huit de l'usine et les divertissements avec son amie de travail Marguerite. Les dérèglements climatiques se ressentent, et le Québec suffoque sous la canicule et comme si cela ne suffisait pas pour mettre les nerfs à vif, les frappabords pullulent. le sommeil de Théodore est donc très agité. Pour couronner le tout un message inquiétant reçu sur son cellulaire (portable de nos amis d'Outre-Atlantique) provenant du foyer pour personnes âgées. Emeril, le nonagénaire grand-père de Théodore, est très agité et les soignants ont dû l'attacher pour qu'il ne se débatte pas. Cette situation dégradante noue les intestins de notre héros et il finit par se rendre à l'hospice pour kidnapper son aïeul. Ils partiront tous les deux sur les traces du passé d'Emeril.
S'entremêle dans le récit l'histoire de Thomas pendant la seconde guerre mondiale. Nous sommes en 1942 à Montréal, Thomas, jeune scientifique, est réquisitionné par l'armée canadienne avec une trentaine de chercheurs et de savants. Sans savoir le but de leur mission, ils sont transférés sur une île interdite au beau milieu du Saint-Laurent, sous la garde des militaires. L'inquiétude du jeune homme monte. Dans un premier temps, même si la mise à l'isolement lui pèse, sa spécialisation le désigne à une tâche pas trop ingrate inventorier la faune et la flore de l'île. Plus troublante, l'affectation des autres chercheurs qui manipulent entre autres le virus de la rage et de l'anthrax. Thomas se noue d'amitié avec Rachelle et Emeril, quelques autochtones résidants de l'île, engagés comme hommes à tout faire.
Quelle sera le sort de toutes ces personnes dans ce maelström d'angoisse ? Mireille Gagné ne nous ménage pas et manie habilement les temporalités des deux histoires tout en nous familiarisant avec la bête. J'aurais, sûrement, lu d'une traite ce court roman de deux cents pages si la fatigue du soir ne m'avait pas gagnée. Mireille possède un style très addictif et sait transcrire tout au long du récit la pesanteur de l'atmosphère et croyez-moi pas simplement du fait d'un soleil de plomb.
Si vous voulez en connaître plus sur la bébête et sur le final de ce roman, il vous faudra attendre le 18 janvier pour courir chez votre libraire préféré.
Reçu dans le cadre de la Masse Critique de Novembre, je tiens à remercier Babelio et les Editions La Peuplade de m'avoir fait hérisser les poils.
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"Je vous repère d'abord de loin, attirée par vos mouvements, mêmes infimes, et surtout par la chaleur et le dioxyde de carbone que vous dégagez. Je m'avance précautionneusement et hume votre odeur. Vous possédez tous des effluves différents. J'avoue préférer celui des mâles, un peu plus acidulé et épicé, terreux parfois, mais toujours enivrant."

2024, Canada, Théodore, fatigué, usé, par un travail répétitif, une chaleur exceptionnelle, épuisante, se traine pour aller travailler. Il passe des nuits à se battre contre les taons à cheval, des mouches à chevreuil, qui envahissent son appartement par le moindre interstice. Après la mort de ses parents, il est seul à s'occuper de son grand-père, qui vit dans un institut, ça lui retourne l'estomac de le voir attaché et si maigre.

"Délicatement, je dépose ma bouche sur votre peau suave, telle une langue chaude, initiant juste assez de succion pour en goûter la saveur. Une pulsion indescriptible m'envahit. J'entrouvre ma bouche et perce votre tégument de mon stylet en forme de couteau. La plaie ainsi ouverte laisse échapper les fluides corporels. Je suce et avale avec délectation votre sang, fabuleuses proies. Chaud. Sucré. Précieux. Vital. Je suis hématophage."

1942, afin de contribuer à l'effort de guerre, Thomas, chercheur dans une université de Montréal, est réquisitionné par l'armée canadienne, pour travailler en tant qu'entomologiste dans un laboratoire. Il se retrouve sur Grosse-Île, au beau milieu du Saint-Laurent, ils sont trente scientifiques : douze en provenance des États-Unis, quatorze d'Angleterre et quatre du Canada. le programme de guerre bactériologique déployé sur l'île était une collaboration entre ces trois pays. Pourquoi à cet endroit ? interdiction de discuter entre collègues ou avec le personnel de l'armée et les employés de l'île. "If you ever speak, people could die."

A l'ouest, dix spécialistes de l'anthrax s'activaient sur le projet N, un peu plus au nord, quinze virologistes travaillaient sur le projet R (pour Rinderpest), et à l'est, pour le projet F (pour Fly), collaboraient, un virologiste, un pathologiste, deux épidémiologistes et Thomas, spécialisé dans l'étude des insectes.

"Pour nous, les conditions idéales étaient réunies, ce qui nous permettait de nous multiplier abondamment. Vous auriez probablement ressenti de la nausée en nous voyant surgir sur les berges du Saint-Laurent : une nuée de frappabords, en une seule main sombre et vorace, caressant les herbes hautes au lever du soleil.
La plupart de mes congénères s'étaient réfugiés dans les champs où vous laissez paître le bétail. Je m'acharnais jour et nuit sur ces pauvres bêtes sans défense. J'adorais particulièrement leurs oreilles tendres. J'avais la possibilité de les savourer tout en observant leurs yeux désespérés. Cela les rendait complètement folles, et moi, fébrile."

2024, Les températures atteignent des sommets encore inégalés à ce jour au Québec…quarante degrés Celsius. L'énervement est à son comble, des cas de violence à Montmagny, des bagarres, la prolifération d'insectes. Des biologistes cherchent à expliquer l'importante éclosion de mouches à chevreuil dans la région.

"J'ai goûté toutes vos peaux, vos sangs, vos sueurs, hommes, femmes, enfants, malades, stressés, propres, sales. J'ai digéré toutes vos chairs dans l'objectif ultime de me reproduire un jour.
En même temps, cette attente remplissait chacune de mes cellules d'une délicieuse béatitude préorgasmique. J'avais appris de mes ancêtres que la patience se cultive ; on appelle cela la chasse.
Une envie si profonde s'est alors emparée de moi. J'ai craqué. Succombé. Abdiqué. Abandonné toute retenue."

Frappabord de Mireille Gagné, un livre très intéressant, sur un épisode de l'histoire que je ne connaissais pas, une fiction, inspirée de faits historiques. Une leçon aussi pour le futur de notre planète. le titre m'a attiré, ayant déjà croisé ces insectes dans "À la lisière du monde". Moi, qui prend les jambes à mon cou, au moindre bruissement d'ailes, c'est effrayant. Coucou les Canadiens, je vous aime, mais gardez-les chez vous, je vous assure qu'on a ce qu'il faut. Merci.

"Il n'existe pas de mot assez puissant pour décrire l'agacement, l'emportement, la tristesse, l'énervement, l'exaspération, l'impatience, la frustration, l'indignation, l'impuissance, la résignation, l'irritabilité, la susceptibilité, la fureur, l'amertume, la dureté, l'affolement, l'agitation, l'embrasement, la violence, la furie, la rage dévastatrice qui m'habite depuis ce jour-là. Quand je pense à toi et à ton espèce.
Je vous méprise. Je vous déteste. Je vous abhorre. Je vous exècre. Je vous aversionne. Je n'ai jamais vu des individus aussi malveillants envers eux-mêmes et les autres.
J'avais confiance que la canicule persisterait. Vous aviez suffisamment perturbé le climat pour permettre la poursuite de ce cycle. Je laissais leur destin entre les mains de la nature, sachant au plus profond de moi que j'avais parfaitement accompli ma mission. Je t'avais transmis bien plus qu'une simple morsure. Notre rage devenue tienne."

Un récit bien écrit et qui se lit très vite, une découverte pour moi.



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Frappe-à-bord ou frappabord
n.m.
[1874] Au Québec, nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu'elles frappent d'abord leur victime avant d'arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops ; famille des tabanidés.]

Bzz… Tsss… j'imite mal la mouche… pourtant je suis là, à roder autour de ta tête, cette musique énervante, prêt à plonger sur ton corps, te lacérer un morceau de peau avant de te pomper quelques gouttes de sang. Que tu sois bucheron au sang imbibé de sueur et de caribou, ou fille de McGill au sang chaud et à la mini-jupe en poil de castor. Je prolifère dans cet été trop chaud pour le Québec, on pourrait se croire à Cancun, volant en nappe noire et se jetant sur ces proies faciles. La population s'exaspère de ces nuées sauvages, amenant des accès de fièvre et de rage.

Ces frappabords deviennent de plus en plus hostiles et méchamment furieuses, agressives. Parallèlement, le long du fleuve Saint-Laurent, je découvre l'histoire de Grosse-Île. Tout démarra en 1942 alors que des sous-marins allemands commencent à naviguer dans les eaux du fleuve. Les gouvernements américains, britanniques et canadiens décident d'y installer une station scientifique pour y effectuer quelques recherches. Des biologistes, des biochimistes, des militaires et un entomologiste débarquent, projet top-secret, dont celui de propager l'anthrax avec comme vecteur de propagation cette grosse mouche noire… Ouf ou bien sûr le projet n'ira pas jusqu'au bout, au dernier moment, le commandant demanda à brûler toutes les installations militaires, les recherches, le rivage. Mais…

Alternant le point de vue de l'entomologiste ou celui de l'insecte lui-même, l'originalité du récit propose une balade bucolique où au lever du soleil les herbes hautes caressent ses jambes et au coucher du soleil une main noire et bourdonnante s'attaque à leurs chairs... A la limite de l'anticipation, voilà un roman qui fait peur, peur parce qu'au final ce n'est pas qu'un roman. Oui tout est véridique ou presque. Ces expérimentations sur l'anthrax et la peste bovine ont réellement eu lieu à Grosse-Île entre 1942 et 1956, laissant un goût amer dans ma bouche (à moins que ça soit la saveur de mon IPA).
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La vengeance de la nature

Mireille Gagné revient avec un thriller écologique qui, à partir de recherches menées en 1942 par l'armée, va déboucher sur les mutations d'insectes. Durant l'été caniculaire de 2024, l'un des derniers témoins, va pousser son petit-fils dans une quête de vérité. Flippant!

Avant d'entrer de plain-pied dans ce roman, une petite définition, celle de Frappe-à-bord ou frappabord. Il s'agit, au Québec, du nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu'elles frappent d'abord leur victime avant d'arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops; famille des tabanidés.]
C'est l'un de ces spécimens qui raconte dans le chapitre initial comment il se délecte des peaux douces et du sang de ses proies.
Sa victime s'appelle cette fois Théodore. Il est éreinté par son travail à la chaîne et par la canicule qui plombe l'Amérique du Nord et notamment Montréal et sa région. le jeune homme a laissé un trou dans sa moustiquaire et ne peut que constater les dégâts. À la douloureuse piqûre succède une rougeur et des démangeaisons.
Le lecteur suit ensuite les pas de Thomas en 1942, au moment où il est réquisitionné par l'armée. L'entomologiste est conduit sur la Grosse-Île du Saint-Laurent où, aux côtés de dizaines autres scientifiques, il participe à un programme de recherches secret. Ou plus exactement, comme il le découvrira plus tard, à l'un des trois programmes lancés conjointement par les armées américaines, britanniques et canadiennes.
Tout d'abord, le projet N (pour Anthrax, ou maladie du charbon en français) doit «produire par semaine cent-vingt kilos d'anthrax destinés à fabriquer mille-cinq-cents bombes». Puis vient le projet R (pour Rinderpest), qui «développe un vaccin contre la peste bovine afin de le produire en quantité suffisante en cas d'attaque allemande sur le bétail des Alliés.» Et enfin le projet F (pour Fly), celui de Thomas, chargé de «développer des méthodes de propagation d'épidémies à l'aide d'insectes (...) Les savants avaient pour objectif de les introduire dans les organismes de différents insectes afin que ceux-ci deviennent des vecteurs de transmission de ces agents pathogènes.»
Si le frappabord est bien le rapport entre les expériences de 1942 et les insectes particulièrement virulents de 2024, un second point commun va surgir, le grand-père de Théodore. À l'époque, il vivait sur la Grande-Île et s'inquiétait des recherches menées là.
Particulièrement agité, le vieil homme est aujourd'hui attaché sur son lit dans le pensionnat où il vit. Des conditions de vie qui vont choquer son petit-fils. Aussi décide-t-il de libérer l'aïeul et de fuir avec lui.
Dans leur fuite, ils retrouveront la Grande-Île et les frappabords pour un final en apothéose.
Ce qui fait froid dans le dos à la lecture de ce thriller écologique, c'est qu'il se base sur des faits réels. Comme l'explique Mireille Gagné, «des recherches biologiques sur la peste bovine et l'anthrax ont réellement eu lieu à Grosse-Île, au Canada, entre 1942 et 1956. Des manipulations expérimentales ont également été réalisées par l'armée américaine à Fort Detrick, aux États-Unis, pour utiliser les insectes comme vecteurs potentiels de contamination.» À partir de là, l'autrice du lièvre d'Amérique a tissé ce livre au suspense haletant. de 1942 à 2028, on suit les apprentis sorciers qui, sous l'effet du réchauffement climatique, réveillent les vieux démons.
Frappabord est certes un roman d'anticipation, mais si proche d'aujourd'hui que les pessimistes se diront qu'il est déjà trop tard et que les optimistes y liront l'urgence d'agir.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.



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Je pense qu'il y a une forme de snobisme à chérir les écrivains Québécois. Ils sont étrangers mais pas trop, puisqu'ils emploient la langue de Molière. Mais cet engouement est justifié. Il y a chez les auteurs francophones une fraîcheur, un détachement, une originalité que nos littérateurs hexagonaux ont perdue. J'ai récemment retrouvé ces qualités chez Kevin Lambert et Éric Chacour. Mireille Gagné, avec un peu moins de panache, ne fait pas exception.
De quoi le Frappabord est-il le nom ? D'un spécimen de taon redoutable qui mord ses proies sans ménagement. Pendant la seconde guerre mondiale, des militaires inconscients ont l'idée de l'utiliser pour transmettre un virus létal. le cauchemar devient réalité quand survient une énième manifestation du dérèglement climatique.
Pour raconter son histoire, Mireille Gagné s'est placée dans la peau des chercheurs, du petit fils de la première victime avérée et, trouvaille géniale, d'un frappabord malin et retord. C'est évidemment le témoignage de la vermine qui m'a le plus amusée. Il donne son piquant au récit (lire les chapitres intitulés « proie » et « coït » - un bonheur coupable). C'est d'ailleurs au taon que revient la responsabilité de tuer le suspense et de punir ces hommes qui n'ont toujours pas compris qu'en maltraitant la nature, ils courent à leur perte. Plus bêtes, tu meurs…
Une fable écologique qui se lit avec plaisir.
Bilan : 🌹
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critiques presse (5)
LActualite
11 mars 2024
Il propose un équilibre parfait entre le passé et le présent, et inclut même d’habiles petits chapitres qui présentent le point de vue de l’insecte honni. L’intrigue est plutôt limpide et se laisse dévorer d’une traite.
Lire la critique sur le site : LActualite
LeJournaldeQuebec
22 février 2024
Dès les premières lignes, on est fascinés. La menace écologique se terre depuis des décennies, et elle est de surcroît racontée du point de vue de l’espèce qu’on a cherché à transformer. Troublant !
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeDevoir
01 février 2024
Dans Frappabord, l'écrivaine se penche sur les mystérieuses expériences scientifiques réalisées sur la Grosse Île.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeJournaldeQuebec
29 janvier 2024
Son livre, écologique, intrigant, subtil et tumultueux à souhait rappelle à quel point l’humain peut être destructeur quand il fait des recherches scientifiques.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaPresse
22 janvier 2024
Inspiré de faits historiques, le nouveau roman de Mireille Gagné, Frappabord, prend par moments l’allure d’un cauchemar éveillé. Terriblement inquiétant, mais furieusement captivant.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
"On ne peut jamais savoir qui sont nos véritables ennemis avant de leur avoir fait confiance".
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(Les premières pages du livre)

« Frappe-à-bord ou frappabord[fʀapabɔʀ] n. m.
[1874] Au Québec, nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu’elles frappent d’abord leur victime avant d’arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops ; famille des tabanidés.]

PRÉDATEUR
Je vous repère d’abord de loin, attirée par vos mouvements, même infimes, et surtout par la chaleur et le dioxyde de carbone que vous dégagez. Je m’avance précautionneusement et hume votre odeur. Vous possédez tous des effluves différents. J’avoue préférer celui des mâles, un peu plus acidulé et épicé, terreux parfois, mais toujours enivrant. Subtilement, je continue de m’approcher. Je voltige autour de vous pendant de nombreuses minutes, dessinant des cercles concentriques de plus en plus rapprochés. J’ai de la chance lorsque vous dormez. J’en profite allégrement. J’étudie de manière méthodique votre comportement, votre respiration, le mouvement de vos yeux derrière vos paupières, la pulsation du sang dans vos veines saillantes, sur votre poignet, votre cou. Ce que la majorité des gens ignorent, c’est qu’en tournoyant ainsi, j’analyse les parties de peau que vous ne pourriez pas atteindre avec l’un de vos membres si jamais vous détectiez ma présence.
J’apprécie particulièrement les nuits caniculaires, quand vous vous êtes dénudés dans votre lit, la fenêtre entrouverte. Le bourdonnement de mes ailes est avalé par le bruit ambiant extérieur. Je vous agace jusqu’à ce que vous vous retourniez sur le ventre. J’ai alors accès à l’épiderme translucide et moite qui se trouve derrière vos genoux. Rien que d’y penser, cela me procure un frisson de plaisir. Souvent, je ne peux plus refouler cette envie de chair tendre. Après avoir choisi avec précision le coin le plus sûr, je succombe. Je vous effleure d’un contact léger, puis je me pose doucement sur vous, grâce à mes pattes agissant comme des amortisseurs. Quelle extase ce premier toucher, juste avant la morsure douloureuse qui signalera à coup sûr ma présence.
Délicatement, je dépose ma bouche sur votre peau suave, telle une langue chaude, initiant juste assez de succion pour en goûter la saveur. Une pulsion indescriptible m’envahit. Ma tête. Mes yeux indépendants l’un de l’autre. Ma vision panoramique. Mes ailes triangulaires. Mes pattes et mon thorax poilus. Mon abdomen rayé jaune et noir. J’entrouvre ma bouche et perce votre tégument de mon stylet en forme de couteau. La plaie ainsi ouverte laisse échapper les fluides corporels. Je suce et avale avec délectation votre sang, fabuleuses proies. Chaud. Sucré. Précieux. Vital. Il m’arrive parfois de détacher un morceau entier de votre chair que je digère oisivement des heures durant. Je ne pense pas être méchante, non. Je suis hématophage. Pour procréer, je me nourris du sang des grands mammifères. En horde, nous pouvons extraire jusqu’à un litre par jour de nos victimes. Dans certains cas, ma piqûre peut transmettre des maladies.

MAUDIT FRAPPABORD
Théodore émerge abruptement de son sommeil, comme si un coup de douze lui avait été tiré dans les oreilles. Une vive douleur l’assaille dans la jambe droite. D’un geste instinctif, il frappe derrière son genou et sent une matière juteuse et visqueuse se disperser entre ses doigts. Un rictus de douleur déforme son visage ; il frotte vigoureusement sa peau.
— Maudit frappabord.

Il s’assoit péniblement sur son lit. Sa tête tourne encore à cause de la soirée de la veille. Les restes d’une caisse de bière bien entamée, ainsi que plusieurs carcasses vides, gisent à ses côtés. En pleine canicule, la journée s’annonce difficile, d’autant plus qu’il a accepté à contrecœur de faire un double aujourd’hui. Il se met debout, prenant soin d’étirer chaque articulation. Ces dernières années, il doit faire plus attention ; ses nerfs ont commencé à se transformer en acier.
C’est étonnamment paisible dans son appartement, à l’exception du vrombissement des insectes. Pas de cris, pas de chicane chez les voisins d’en haut. Pas de télé qui joue en continu. Aucun murmure en provenance de la rue malgré la proximité d’une artère principale. Même le rideau de la chambre reste immobile ; nulle brise ne vient le gonfler à un rythme irrégulier. Théodore le tire et observe par la fenêtre. La ville est au ralenti. Qu’est-ce que les gens peuvent bien faire en ce moment ? Où se terrent-ils ? Un immense cratère semble sur le point de s’ouvrir sous ses pieds et de l’avaler. Théodore flaire un danger, mais ne peut déterminer ni sa source ni sa nature. Cette sensation est irritante. Le silence le rend mal à l’aise. D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours détesté l’absence de bruit, le vide amplifiant l’écho de son propre néant. Nerveux, il vérifie l’heure. Déjà treize heures quarante-cinq. Il doit accélérer la cadence pour ne pas être en retard à l’usine où il est attendu à quinze heures. Pour animer son appartement, il allume la vieille radio de son grand-père et avale deux ibuprofènes.
Un nouvel épisode de violence conjugale a été déclaré à Berthier-sur-Mer hier en soirée alors qu’un homme s’est barricadé chez lui avec sa femme et leurs deux enfants, et menace de les tuer. Il s’agit du sixième cas similaire à survenir cette semaine…
Écoutant distraitement les nouvelles, Théodore se dirige vers la cuisine pour se préparer un verre de Coke et un grilled-cheese, mais son irruption soudaine dans la pièce effraie trois mouches à chevreuil, qui s’envolent. Par où ont-elles pu entrer ? L’une d’elles se pose sur sa main. Il la secoue pour faire fuir l’insecte, essayant de le suivre des yeux. Une deuxième mouche atterrit près de sa bouche. Il la chasse également, mais avec dédain. Ces bestioles l’écœurent. Il ne sait jamais d’où elles viennent ni ce qu’elles transportent. Il abhorre par-dessus tout les voir se frotter les pattes, s’imaginant qu’elles complotent un coup fourré à son insu. Perturbé par leur présence, il en oublie la tâche qu’il était venu accomplir et saisit le tue-mouche rangé sur le dessus du réfrigérateur, avant d’entreprendre une tournée à l’intérieur de son petit appartement. Rien ne cloche dans la fenêtre du salon ni dans celle de la salle de bain. Sur celle de sa chambre par contre, il remarque une fente étroite dans la moustiquaire, apparemment grignotée par une petite créature. Il approche son visage pour mieux observer le trou, mais à la seconde où il s’apprête à y glisser l’index, une deuxième morsure douloureuse se fait ressentir, derrière l’oreille droite cette fois. Impulsivement, il frappe sa tête. Le taon à cheval est tué sur le coup, laissant une trace rouge sur ses doigts. Il se demande si c’est son propre sang.
… reçoit aujourd’hui à l’émission une psychologue spécialisée dans les cas de violence conjugale. Bonjour. Pensez-vous que ce pic de violence pourrait être en partie lié à la canicule qui sévit en ce moment ?
La brûlure est encore plus aiguë que la précédente. La mouche a dû emporter un bon morceau de peau.
— La chienne !
Résolu à soulager la douleur, il va chercher une débarbouillette dans la salle de bain. Combien de fois son grand-père lui a-t-il préparé de telles compresses quand il était plus jeune ? Pendant qu’il fait couler l’eau pour qu’elle refroidisse, il se regarde dans le miroir. Tire la langue. Soulève les paupières au maximum. Essaie de sourire. Le constat est rude. Il est fatigué, usé. Aux yeux des autres, il paraît probablement plus vieux qu’il ne l’est en réalité. Et sale aussi. Il n’arrive pas à se débarrasser de ce pigment bleuté qui colore la peau de ses mains et de ses avant-bras. Avec son teint pâle et ses cheveux blonds, ça lui donne un air de mort-vivant. Théodore hausse les épaules et délaisse son reflet. Il passe sa main sous l’eau qui, enfin, paraît suffisamment froide, puis mouille la serviette. Il tourne la tête et plie son oreille pour observer derrière. Une goutte de sang a coulé le long de son cou, et une autre perle, coagulée directement sur la piqûre. Il nettoie la trace et applique fermement la compresse ; la brûlure s’atténue. Il rince le tissu et l’applique derrière sa jambe. Théodore ferme les yeux, apaisé, mais la douleur revient en force aussi vite que la froideur se dissipe. Il abandonne la débarbouillette tiède sur le coin du lavabo et la discussion qui continue à la radio. La psychologue poursuit.
… que différents facteurs peuvent exacerber la colère, et pas seulement dans les cas de violence conjugale. Par exemple, la chaleur marquée des derniers jours et la prolifération d’insectes en parallèle avec la fermeture du célèbre média social peuvent agacer certaines personnes plus susceptibles… il ne faut pas sous-estimer…
Théodore a à peine le temps de prendre une douche, de manger et de s’habiller que sa montre indique déjà quatorze heures quarante-cinq. Après avoir enfilé ses bottes à cap d’acier et ses vêtements de travail, il attrape les clés de sa vieille voiture et referme la porte derrière lui. Pas le temps de se faire un lunch. De toute manière, il préfère se tourner vers la machine distributrice : sandwich au jambon sur pain blanc et Orange Crush. Pendant un bref instant, il regrette de ne pas avoir réparé la moustiquaire avec du tape gris avant de partir, mais il ne fait pas demi-tour et continue sur sa lancée. Il verrouille la porte à double tour sans se rendre compte que le téléphone fixe retentit sur le comptoir de la cuisine, le son étouffé par le bruit de la radio qui continue à marmonner les mauvaises nouvelles du jour. Le vieux répondeur s’active et enregistre un message.
Vous feriez mieux de venir voir votre grand-père. Il est très agité depuis hier. Si vous ne le visitez pas, nous devrons l’attacher, et vous savez qu’il n’aime pas ça.
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Par habitude, il active les essuie-glaces pour laver les traces d'insectes écrasés sur son pare-brise, mais de grandes souillures de sang mélangées avec une substance jaunâtre épaisse barbouillent à présent sa vitre. Contrarié, il éteint le moteur et sort de sa voiture. Avant de franchir le seuil de la porte du centre, il inspire profondément, et retient son souffle. Théodore éprouve une haine viscérale envers cet endroit. Il a toujours été extrêmement mal à l'aise avec l'idée de voir des gens mourir. Que dire de l'odeur de merde aseptisée qui plane partout ? Ça le prend aux tripes. De retour chez lui, il en a pour plusieurs jours avant qu'elle ne le quitte complètement. Elle semble s'agripper désespérément à lui avec des griffes acérées. Lorsqu'il pense l'avoir neutralisée avec du savon parfumé, l'odeur revient en force. Maintenant qu'il approche de l'âge auquel ses parents ont perdu la vie, Théodore ressent une angoisse sans nom l'envahir chaque fois qu'il se trouve à proximité de l'hospice ; elle continue de croître, croître, croître. Un jour, il redoute qu'elle n'occupe tout l'espace en lui. Rendre visite à son grand-père sur ses derniers milles ne contribue en rien à apaiser cette anxiété. La mort surgit à chaque tournant.
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Avant d’arriver sur l’île, Thomas n’en savait que très peu au sujet de cette bactérie qui était appelée le Bacillus anthracis. Il en avait un peu entendu parler à l'université dans ses cours de biologie, mais sans plus. Il a donc été à la fois fasciné et effrayé d'apprendre par l'Américain qu'elle possédait la capacité, dans un milieu hostile comme la terre, de se transformer en spore. Protégée par une coque rigide, elle devenait incroyablement résistante aux variations de température, d'acidité, aux explosions ainsi qu'aux désinfectants. Selon lui, elle pouvait survivre sous cette forme encapsulée plus de cent ans tout en conservant ses propriétés. C'était sans doute la principale raison pour laquelle cette bactérie avait été choisie par Washington, cette spore se révélait une arme bactériologique redoutable.
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Personne n'en savait beaucoup plus que ce que le major Walker leur avait dévoilé après leur arrivée. Le programme de guerre bactériologique déployé sur l’île était une collaboration entre les Américains, les Britanniques et les Canadiens. Les autorités à Washington suivaient l’état d'avancement des recherches. L'Île était divisée en trois.
À l’ouest, dans le hangar à proximité du quai, dix spécialistes de l’anthrax s’activaient sur le projet N (pour Anthrax, ou maladie du charbon en français). Leur cible était de produire par semaine cent-vingt kilos d’anthrax destinés à fabriquer mille-cinq-cents bombes. Quand le major Walker avait mentionné ce nombre, tout le monde avait retenu son souffle, Thomas le premier. Il n’avait pas pu s'empêcher de penser à la quantité de personnes susceptibles de perdre la vie des suites de cette production. Après un an à ce rythme, les chiffres devenaient absolument horrifiants.
Un peu plus au nord, à droite de l’étable, il y avait le projet R (pour Rinderpest), qui visait à développer un vaccin contre la peste bovine afin de le produire en quantité suffisante en cas d'attaque allemande sur le bétail des Alliés. Étant l’un des plus grands producteurs agricoles capables de nourrir les soldats au front, le Canada était sans doute déjà dans la mire des Allemands. Ainsi, quinze virologistes se relayaient, pressés par le major Walker, qui rappelait régulièrement l’imminence d’une telle attaque et, surtout, les conséquences catastrophiques qu’elle engendrerait sur l'issue de la guerre.
Et puis à l’est, dans une maison qui avait servi de laboratoire pendant la quarantaine des immigrants, collaboraient au projet F (pour Fly) un virologiste, un pathologiste, deux épidémiologistes et Thomas, spécialisé dans l'étude des insectes. Leur mission consistait à développer des méthodes de propagation d'épidémies à l’aide d'insectes. Pour cela, avaient été collectées avec soin des souches de virus extrêmement virulentes, des bactéries, des parasites et des champignons prometteurs en provenance des quatre coins du monde. Les savants avaient pour objectif de les introduire dans les organismes de différents insectes afin que ceux-ci deviennent des vecteurs de transmission de ces agents pathogènes. p. 44-45
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Vidéo de Mireille Gagné
Le Salon dans tes oreilles - S1E17 - Cabaret de poésie féministe
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Avec:
Nora Atalla, autrice Laurence Gagné, autrice Alex Thibodeau, autrice Salomé Assor, autrice Mireille Gagné, autrice Marie St-Hilaire-Tremblay, autrice Rosalie Lessard, autrice Catherine Cormier-Larose, animateurice Gaële , Musicien
Livres:
Nora Atalla, Morts, debout!, Écrits des forges Alex Thibodeau, Infantia, le lézard amoureux Laurence Gagné, Les jardins de linge sale, le lézard amoureux Salomé Assor, Un, Éditions Poètes de brousse Marie St-Hilaire-Tremblay, Noctiluque, Éditions Les herbes rouges Mireille Gagné, le ciel en blocs, éditions l'Hexagone Rosalie Lessard, Les îles Phoenix, éditions du Noroît
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