Je ne connaissais
Neil Gaiman que de nom, et plutôt comme auteur pour la jeunesse, je m'y suis donc attaquée avec pour seule attente le résumé de quatrième, l'illustration de couverture (rats du sous-sol versus corbeaux de la surface) et la connaissance du contexte (série pour la BBC).
Richard, jeune cadre londonien, découvre par accident, après avoir sauvé la vie d'une jeune fille blessée, qu'il existe une version souterraine de Londres, laquelle partage certains espaces avec la ville réelle, mais, en-dehors de ces lieux, est tout à fait fantasmagorique et plutôt gothique. Il va du reste avoir tout loisir, si l'on peut dire, d'en découvrir les recoins, lorsque la jeune fille, Porte (ou Portia) repart, et qu'il est à son tour confronté à des ennuis, et contraint de refluer vers le monde d'en-bas.
Dès lors, Richard va chercher à retrouver Porte et son compagnon de quête, le Marquis de Carabas, somptueux imposteur, tout de panache et d'ironie, en commençant par le Marché flottant, qui se tient régulièrement dans des endroits différents, en superposition des lieux symboliques de la capitale (le grand magasin Harrod's, ou encore le navire H.M.S. Belfast). Porte, menacée par de dangereux et retors tueurs avec qui Richard a eu à faire également, M. Vandemar et M. Croup, fait passer des "auditions" pour engager un garde du corps. C'est ainsi que Porte s'adjoint les services de Chasseur, sublime chasseresse à la peau caramel, dont la voix peut être douce et caressante comme le miel, mais dont le regard ne fait aucun doute sur ses choix à l'heure de tuer, et qu'elle est plus ou moins contrainte d'accepter la présence de Richard (le boulet) à leurs côtés.
Ainsi commencent les recherches de Porte et de ses amis pour découvrir qui a tué sa famille, pourquoi, et accessoirement pour échapper aux entreprenantes visites des deux sbires commandités pour l'enlever, et, aiment-ils à rappeler, lui "faire du mal", ainsi qu'à toute personne de son entourage - on n'aura pas longtemps à attendre pour faire plus ample connaissance avec leurs façons imaginatives de faire du mal. Nos amis auront à explorer les ténébreux couloirs et tunnels du monde d'en-bas, peuplés par les rats, les goules, toutes sortes de créatures peu engageantes, et pour Richard, souvent affronter ses peurs, notamment celle du vide, son vertige. Il est une Bête qui revient dans ses cauchemars, trophée recherché par Chasseur ; il n'est pas exclu qu'il s'y trouve lui-même confronté à un moment donné...
Neil Gaiman a inventé dans ce roman fantastique un monde baroque, gothique et assez horrifique, quoique à un niveau supportable, des lieux typés et pleins de goûts et d'odeurs, sinon de couleurs, et surtout des personnages hauts en couleurs, bien caractérisés, sur les pas desquels on s'attache facilement et avec plaisir. Il s'agit d'un monde où prédomine le troc et le dénuement, où une vie humaine peut être un tribut de plus ou moins grande valeur, où l'on passe son temps à s'acquitter de "faveurs", monnaie courante de ces bas-fonds. Les épreuves ne manquent pas, et permettent à chacun d'affronter ses démons, d'obtenir le nécessaire, de grandir et trouver du courage à vivre. Les méchants jalonnent les différentes étapes du parcours, avec une sorte de plaisir mécanique à apparaître pour rappeler qu'ils existent et mettre la pression avant, espèrent-ils, de donner libre cours à leurs pulsions sadiques sur les victimes désignées.
Il m'a semblé que
Neil Gaiman a trouvé dans les mots un ressort qu'il n'a cessé d'utiliser tout du long, à savoir partir des noms de lieux ou d'expressions de la cité londonienne pris au sens propre, pour en faire les ressorts de l'intrigue - pour également les opposer à l'incrédulité de Richard qui professe que "ça n'existe pas". Ainsi la Cour du Comte se tient-elle dans la rame de métro d'Earl's Court, ou encore la station Blackfriars abrite-t-elle un sombre monastère de moines noirs... On trouvera encore, au hasard des rencontres, les Parle-aux-rats, le peuple des égouts, les Velours... C'est à la fois une idée riche en symbolisme, un parti-pris de langage à la hauteur du style littéraire et fleuri que l'auteur place dans la bouche de certains de ces êtres souterrains, mais aussi cela revient parfois à des tics, des maniérismes, qui n'ont pas été sans me rappeler
Lemony Snicket dans "Les Orphelins Baudelaire". Les réactions des personnages, les tournants de l'aventure, prenaient un caractère un peu trop systématique. Enfin, et c'est tout personnel, j'ai regretté que les rats ne jouent pas un plus grand rôle dans cette histoire.