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LE JEU DE LA VIE ET DE LA MORT

On ne définit jamais tout à fait le duende ! D'ailleurs, c'est à peine si l'on peut transcrire dans une autre langue - la notre, par exemple, proche et latine, pourtant - ce terme presque parfaitement insaisissable. Il tient un peu de la Muse si chère aux poètes romantiques allemands, de l'ange des créateurs italiens, un peu du feu follet, aussi, dont il est l'une des manifestations possibles, le "maître de la maison" comme l'indique l'expression espagnole “dueño de la casa” (pour mémoire, duende dérive directement du "dominus" latin, le maître). C'est parfois un cardon en Andalousie. L'Andalousie ! C'est sans doute sur cette terre que le duende a pris tout son sens, puise toute son énergie, donne toute sa puissance, par l'intermédiaire, la médiation et l'explosion du flamenco.

Pour Frederico Garcia Lorca, le duende, c'est rien moins que «l'esprit caché de la douloureuse Espagne » et c'est à l'occasion de cette conférence, qu'il donna à deux reprises, la première fois en 1933 à Buenos Aires) et la seconde en 1934 à Montevideo qu'il se proposa, par le biais d'une espèce de joute artistique et poétique face au public, d'en donner les contours, à défaut d'en régler une fois pour toute, une explication précise et, dirait-on, scientifique.

Car le Duende, cette chose «au charme mystérieux et indicible », cet espèce d'envoûtement du corps et de l'esprit ne se montre pas, ne se dit pas, ne s'explicite pas : il se vit. Dès lors, quelles plus étonnantes expressions de son existence, de son pouvoir, de ce jeu de vie et de mort que sont, toujours selon Garcia Lorca, les trois grands arts du mouvement : La musique, la poésie et la danse ?

«Tous les arts peuvent accueillir le duende, mais là où il trouve le plus d'espace, bien naturellement, c'est dans la musique, dans la danse, et dans la poésie déclamée, puisque ces trois arts ont besoin d'un corps vivant pour les interpréter, car ce sont des formes qui naissent et meurent de façon perpétuelle et dressent leurs contours sur un présent exact.»

De fait, c'est sans doute le Flamenco, réunissant ces trois arts, qui en sont l'évocation la plus flagrante... Mais la corrida, cet autre jeu du mouvement, mais aussi ce terrible jeu de la mort porté au rang de spectacle en est-il une autre - macabre - représentation... D'ailleurs, Garcia Lorca ne se le cache pas lorsqu'il affirme : «L'Espagne est le seul pays au monde où la mort soit le spectacle national.»

Le duende est donc opposé à l'ange créateur ou à la muse du poète tout autant par ce mouvement perpétuel dans lequel il se trouve - jusqu'à la possibilité même de son absence, de son manque - tandis que les deux autres sont des représentations pour ainsi dire statiques de ce que l'on appelle plus aisément "l'inspiration", mais par ailleurs, il n'est pas comme la Muse qui accompagne, voire souffle le créateur pas plus que comme l'ange qui survole de sa grâce le poète, non : le duende demeure à ce point insaisissable qu'il est impossible d'en attendre quoi que ce soit d'autre que cet espèce de jeu entre l'artiste et ce moment de grâce momentané entretenu par le Duende.

Ce court texte, dans lequel Garcia Lorca joue avec son auditoire, tout autant qu'il raconte ce jeu est une petite leçon, mais d'une intense profondeur, d'hispanité et de création. C'est aussi un pur hommage aux ébouriffement de l'existence, à la nature, à la chair, à la musique et à son cher Flamenco. Un bref texte plein de chaleur, d'enthousiasme, même s'il cède parfois à une certaine caricature de ce que serait l'Espagne la plus profonde (mais pas si éloignée que cela des clichés), que l'on lit cependant avec un intense plaisir, ainsi qu'il en est inévitablement des créations de cet inimitable et immense poète mort trop tôt, sans doute, mais qui, consumé par le duende, eût la grâce au bout de la plume !
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Le Duende n'est ni l'ange ni la muse. Il est cette troisième fonction créatrice.

Line Amselem, dans "Traduire le Duende", dit qu'il est, en Espagne, un esprit follet, un charbon sec d'Andalousie ou le charme inexpliqué du flamenco. Il est indéfinissable et intraduisible.
Frederico Garcia Lorca ne l'explique pas non plus. Il le frôle avec ferveur dans un discours qui nomme les corps, les voix, les mouvements qui ont été pris de Duende.
Le public, face au Duende, est saisi d'un enthousiasme qu'il exprime par des Olé ou des Dieu soit loué. Parce que le public sait que l'artiste est pris dans un combat avec la mort. Et la vie n'est jamais aussi exaltante que lorsqu'elle est vue, de l'autre coté d'un mince filtre, depuis la mort et qu'elle nous est rendue au travers d'une danse, d'un chant, d'une poésie déclamée.
Il faut lire ce livre en le déclamant. Ce n'est pas grave si toutes les références ne sont pas comprises, elles restent des sonorités et des couleurs. Il faut lire ce livre en le déclamant et peut-être entendrez-vous le Duende, ce vent de l'esprit qui annonce "le baptême permanent des choses fraichement créées".
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J'avais eu, il y déjà quelques années, l'occasion de travailler sur ce texte de Federico García Lorca, dans sa version originale, en espagnol. Je l'ai redécouvert, avec plaisir et émotion, dit par Jacques Higelin, en français, dans une belle lecture musicale enregistrée en 2014.

Jeu et théorie du Duende est le titre d'une conférence prononcée en 1933 et 1934 par Federico Garcia Lorca à Buenos Aires, puis à Montevideo. C'est une leçon sur l'esprit caché de l'Espagne en général et de l'Andalousie en particulier, un concept, un « je ne sais quoi » qui évoque à la fois une grande souffrance, un démon intérieur, un instinct ; une transe, une possession, un talent…

Si la tonalité du début est un peu ironique, dès que Federico García Lorca évoque le « duende », jeu de mot sur une contraction de « dueño de la casa », le ton devient envoûtant, lyrique, tellurique… le « duende » est un pouvoir mystérieux et inexpliqué auquel l'auteur donne, en partant de l'Andalousie, une portée universelle ; seront cités Socrate, Nietzsche, Cézanne, Paganini, Velasquez, Rimbaud… et bien d'autres.
Si le « duende » est un démon, il n'a cependant rien de diabolique au sens de possession. le « duende » est profondément intérieur, inscrit dans le sang. Ce n'est pas un doute, mais une lutte, une blessure jamais refermée.
Federico García Lorca met en balance l'ange, la muse et le « duende » car ce dernier n'est ni un guide, ni une source d'inspiration. Tous les arts peuvent accueillir le « duende » mais il est davantage à son affaire quand il s'agit de faire intervenir le corps comme dans la danse, la musique, la poésie déclamée ou encore la tauromachie. C'est un talent qui permet de revisiter avec bonheur et brio les thèmes anciens car il y apporte du sang frais ; il se charge parfois de mysticisme ; il véhicule des vibrations et des effets perçus par tous.
Mais personne ne s'amuse, ni dans le flamenco, ni dans la corrida… La mort est omniprésente dans la vision du « duende », flamboyante.

Un texte très court, à connaître.

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pour le plaisir anticipé - cela me semblait si évident - du texte, et pour le charme de ces petits livres simples et raffinés que fait Allia (sans compter leur prix infime : 3 euros) :
« jeu et théorie du Duende », texte d'une conférence donnée par Garcia Lorca, dans une édition bilingue avec une nouvelle traduction par Line Amselem.
Un ton légèrement ironique et désinvolte au début, pour remuer des phrases et une réalité qui se veut (qui est) profonde, des éclairages et comparaisons inattendues, la beauté des images.
Cela se développe en digressions, orientations divergentes pour mieux cerner l'essentiel.
On trouve, outre Socrate et Descartes, Vélasquez, Zurbaràn, Goya bien entendu et Keats, des torreros, Goethe, Paganini, Manuel Torres « grand artiste du peuple andalou » (qui ne l'a pas), Nietzsche, Cézanne, Sainte Thérèse (d'Avila bien entendu), Rimbaud, Pastora Pavpn « sombre génie hispanique » avec Ignacio Espeleta « beau comme une tortue romaine » et Elvira la Caliente « putain arisstocrate de Séville », Quevedo, Valdès Léal, des danseurs et danseuses, et un garçon de Salamanque tué par un taureau, et d'autres, et de la nuit, des plantes....
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Livre-essai sur la théorie du "duende", acte de passion au coeur des traditions espagnoles, et incarnation de l'artiste dévolu à son art. Il s'agit ici d'une esquisse de la flamme qui fait réellement vivre l'Espagne et sa relation à la mort.

Une lecture rapide, simple et agréable, qui donne envie d 'en découvrir davantage sur cet étrange fougue.
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Petit bijou de Lorca qui tente d'expliquer ce qu'est le Duende, cet esprit, cette inspiration poétique espagnole que l'on a tant de mal à expliciter mais qui frappe cependant lorsque l'on y est confronté.
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