Un roman qui se veut bienveillant, mais qui maltraite son récit et ses personnages.
Au commencement: la taille. Un problème si vaste, avec tant d'acteurs impliqués et tant de victimes, comment le réduire à un texte si court, si éclaté, si peu fouillé, si ce n'est pour chercher à surfer sur la gloire littéraire acquise par
La Mort du roi Tsongor et
le Soleil des Scorta à moindres frais ?
Les personnages manquent cruellement d'ampleur et de profondeur: on nous présente des personnages (le capitaine, Soleiman) dont l'attitude banale, molle n'a d'explication que la magie du non dit: ce que l'on explique pas au lecteur, il l'imaginera. Que le capitaine parte en barque, traverse la mer et se retrouve à Al-Zuwarah, prenne miraculeusement un bus pour Ghardaïa, bus que l'auteur a mis là pour le bien du récit, pour retrouver Soleiman, rien de tout cela n'a de cohérence vis-à-vis de la logique, mais si nous laissons la logique de côté et nous penchons sur la psyché du bon capitaine: qu'y voyons-nous ? le néant. Il en a marre de récupérer des migrants et claque tout, pour faire quoi ? Rien. L'auteur fait donc de son personnage "utile" un bon à rien qui dégoûté de son travail, ne cherche plus à aider. Il l'envoie vers l'autre personnage et le fait mourir. C'est plus simple quand on ne sait pas comment conclure.
Arrive alors un problème supplémentaire:
Laurent Gaudé refuse de juger les actions qu'il décrit, organise si chichement. Pas d'axiologie, si ce n'est un discours lisse fait pour ne heurter personne et qui met à égalité toutes les actions des personnages. Alors, à quoi bon proposer ce roman ? En effet, s'il souhaitait faire oeuvre utile, il fallait sans doute alerter avec plus de force, dénoncer avec plus d'implication, critiquer réellement, être corrosif sans doute, mais pour cela creuser le sujet, les personnages, l'action et faire le travail que l'on attend d'un auteur qui s'empare d'un sujet d'une telle importance, non pas d'un simple écrivant qui noircit des pages pour se nourrir.
C'est un livre qui a le mérite de simplifier les choses à l'extrême et de proposer un divertissement gentillet, pour que l'on s'offusque dans son fauteuil. Mais pour qui attend d'une oeuvre de fiction qu'elle soit intelligente, non pas audacieuse, mais impliquée dans son sujet, ce roman est à fuir.