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sur 969 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Les Bonnes de Madame, deux soeurs, se livrent à un jeu de rôle criminel où elles deviennent Madame, à tour de rôle, pour le pouvoir, déjà, et pour pouvoir se haïr. Se haïr l'une l'autre, se haïr soi-même, sans oublier d'haïr Madame, évidemment. Animées par l'envie, elles volent les gestes de Madame, elle se vengent, ces Erinyes infernales, de leur orgueil blessé. Elles n'acceptent plus leur condition, d'être bonnes, alors elles deviennent mauvaises …

Cependant, elles l'adorent, Madame, elles l'aiment. Elles lui vouent un culte, un vrai. Elles l'idolâtrent : « Votre poitrine … d'ivoire ! Vos cuisses … d'or ! Vos pieds … d'ambre ! » (p.28) C'est une passion criminelle qu'elles ont pour elle. Elles la comparent à une Marie-Madeleine fantasmée, et c'est « le luxe d'être une prostituée de haut vol, une hétaïre.» Elles la comparent à la Vierge Marie, aussi. « Je suis une Vierge plus belle, Claire » et l'armoire qui préserve les robes de Madame du regard devient un tabernacle. Les bonnes sont dévouées à Madame, et oui c'est de la dévotion, mais véritable. Madame est bonne, elle a de la bonté envers elles ( elle lègue à ses servantes ses vieilles robes dans un élan de générosité, et je souligne "vieilles"). Quand Madame est bonne, elle devient une bonne dans l'esprit des bonnes, comme elles quoi.

Madame, c'est une déesse sacrée, profanée. Elles l'avilissent comme elles peuvent, en lui prêtant les mots qu'elles veulent bien lui prêter (dans un élan de générosité et oui, c'est ironique) lors de la « cérémonie ». Alors que les soeurs se mettent à nu – l'une d'elles commence la pièce en sous-vêtements - elles se déguisent avec les robes de Madame (la noire, c'est pour elles, « [l]a robe blanche est le deuil des reines » (p.21), la rouge, c'est la criminelle, la passionnelle. Madame, jouée par l'une des bonnes ordonne : « Disposez la traîne, traînée ». (p.25) mais « N'essayez pas de me ligoter ». (p.22) C'est un mépris absolu et les insultes qu'elles se lancent, c'est ce qu'elles s'adressent à elles-même. On va jusqu'à se gifler, jusqu'à se « cracher à la face ». Les fluides qui viennent de la cuisine, cette tisane - l'arme du crime - ou ces crachats, ou ces objets qui n'ont pas de place dans le salon (parce qu'ils viennent de la cuisine), comme le réveil, les gants de caoutchouc, incommodent Madame. L'odeur des servantes incommode Madame, autant dire que c'est leur présence qui l'incommode, en vérité. C'est assez poétique d'ailleurs la manière dont Genet parle de ses crachats, des« voiles de votre salive. Par la brume de vos marécages » (p.17)

« Mon jet de salive, c'est mon aigrette de diamants » (p.41)

Ce qu'elles reprochent à Madame, je crois que c'est ce « vous ». Elles doivent de la déférence à Madame, du respect mais elles ne se sentent pas respectées, elles. Madame les confond. Madame bafoue leur identité, en se trompant de prénom quand elles les appelle. Madame prend ses distances vis-à-vis d'elles. Ce « vous » fait qu'elles se sentent seules, solitaires, parce que c'est une adresse impersonnelle, non individuelle, et elles deviennent plurielles, et elles se livrent à ce jeu de rôle, de personnalités multiples. Oui, « cela nous tue » (p.33)

Cette pièce, c'est dans doute mieux de la voir sur scène avant de découvrir le texte. En effet, dans le texte, on a le nom des personnages qui parlent, ce qui fait qu'on sait dès le début que c'est Claire et Solange qui parlent, et non véritablement Madame. le jeu de rôle est apparent. Alors qu'au théâtre, on ne sait qu'à posteriori que le début n'est qu'un jeu, une représentation. C'est bien l'avantage de la représentation de créer l'illusion. Les préparatifs prennent du temps au début, et le crime reste inachevé dans la première scène, on s'étonne sans doute de ce meurtre qui est joué dès le début, j'imagine, puis tout s'éclaire lorsqu'on comprend que les rôles ne sont pas ce qu'ils sont. Il y a un retournement de situation, les rôles s'interchangent, et on comprend peu à peu. On découvre que Madame n'est pas Madame mais Claire , et que Claire n'est pas Claire mais Solange ( et Madame n'étant pas de la partie, personne n'est Solange, parce que personne ne joue Solange).
C'est bien une crise de l'identité cette pièce. Solange, à la fin, proclame son nom, haut et fort . Il s'agit de s'affirmer.

Comment jouer « Les Bonnes » ?   Comment s'effacer – quand on est une bonne ? Comment faire preuve de discrétion ? Et comment prépare-t-on un meurtre en toute discrétion ?

« Chaque geste suspendra les actrices ». Genet préconise un « jeu un peu titubant » , comme une hésitation, comme une exaltation. Les Bonnes sont ivres de sang.
Ainsi, « [l]e moindre geste te paraît un geste d'assassin » (p.40)
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Genet s'inspire d'un fait réel dans sa pièce, le meurtre par les soeurs Papin de leur maîtresse et de sa fille.
A la sortie de la pièce, beaucoup ont voulu y voir une représentation de la lutte des classes, une révolte du marginal contre la société conformiste,...

Mais les Bonnes sont hors de toute réalité. La pièce se construit dès le début comme un huis clos perverti, où les apparences règnent et prennent le pas sur le réel. Les bonnes jouent à être Bonne, à être Madame, à être Criminelles... mais qui sont-elles au final? Possédées par leur condition, dépossédées de toute humanité, elles ne retrouvent d'identité que lorsqu'elles jouent un rôle. Et ce dernier finit par avoir raison d'elles: Claire et Solange sont contraintes de devenir les masques qu'elles ont forgés, ceux de la Sainte et de la Criminelle.

Genet joue avec les conventions théâtrales et sociales pour montrer toute la cruauté des relations humaines et du regard destructeur que nous portons les uns sur les autres. C'est ici l'échec de l'identité: il est impossible d'être soi-même, cela n'existe pas. Et l'issue de ce jeu de dupes est nécessairement fatale: c'est sans doute une de ses pièces les plus cruelles (malgré le grotesque qui la colore), davantage que le Balcon où les miroirs virevoltants du déguisement entretiennent le tourbillon. Dans les Bonnes, la fin est un couperet, un jugement sans appel.
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Je pense que les pièces de Jean Genet ne sont pas assez souvent montées.
C'est un auteur qui perturbe par son style et sa puissance théâtrale pour ne pas dire sa violence. Mais cette violence n'est pas gratuite; Genet à des choses à dire sur la société dans laquelle il vit.
"Les bonnes" est une oeuvre majeure. Première pièce de Genet (elle date de 1947) c'est aussi la plus célèbre.
En s'inspirant d'un fait-divers des années 30 - le meurtre des soeurs Papin contre leur maîtresse - il va réinventer complètement les deux héroïnes, femmes de chambre de leur état : Solange, l'aînée, et Claire, la cadette. de même qu'il imagine le rituel sadique et fantasmatique auquel elles s'adonnent, dans lequel elles jouent à tuer Madame, pour venger la honte de leur condition.
C'est donc un rite macabre que nous montre Genet dans un huis clos (la chambre de Madame) assez oppressant. Et la folie des personnages rappelle la folie de ce monde.
Vraiment excellent.

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Inspirée d'un fait divers-les soeurs Papin assassinent sauvagement leurs maîtres- transposée à l'écran : la Cérémonie de Chabrol, les Blessures assassines de JP Denis- c'est la pièce la plus célèbre peut-être, de Genet.

Claire et Solange servent Madame. Mais la chambre de Madame, avec ses bijoux, ses fleurs, ses robes et ses fards est plus que le temple de leur amour-haine pour leur patronne: c'est le lieu de leur déréliction, la scène où se jouent leurs fantasmes de pouvoir, d'érotisme et de travestissement.

Mais comme dans un vrai théâtre, ce jeu-là est minuté. Comme une représentation. Ou comme le mécanisme d'une bombe à retardement.

Personne n'en sortira indemne.

La poésie et la provocation de Genet , sa langue somptueuse et baroque, continuent de semer le trouble et le malaise: un théâtre qui n'a pas pris une ride!
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Lu en première, relu ensuite, rerelu quand mes enfants l'ont à leur tour étudié, auteur passionnant, pessimiste, tragique, huis-clos infernal, relation folle entre ces deux soeurs et leur haine-fascination pour madame, jusqu'à la mort. À 16 ans j'avais été happée par le texte et je considère toujours cette pièce comme incontournable. Mais c'est un texte qui doit s'étudier, se décortiquer, où chaque mot, chaque phrase, chaque changement de pronom demande à être analysé. Inutile de le lire au bord de la piscine ;)
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Les bonnes. Les Diaboliques. Peut être... L'effet miroir de la servitude : une certitude. Un regard et surtout une mise en scène de la domesticité, de la servilité. Femmes folles dans un système établi qui ne peut à bien y regarder que conduire à une pure sauvagerie. Un véritable pousse au crime. Une machine de destruction puisqu'elle destructure, dépersonnalise les êtres. Les bonnes se mettent en scène chaque jour. A trop jouer de la sorte qui est on vraiment ? Nous sommes tous " au service de" , ...de qui? de quoi? Prenons garde à notre propre mise en scène. C'est ce que je veux retenir de cette pièce. Une étonnante mise en garde. Astrid SHRIQUI GARAIN
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A partir d'un fait divers, Genet écrit l'histoire de deux "bonnes" dans une famille bourgeoise, leurs relations ambiguës ainsi que toute la violence qu'il existe entre maîtresse et domestique.
Cruel et dérangeant.
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Bonsoir à toi qui passe par là. Ce soir, j'ai lu " Les bonnes ", la pièce de théâtre schizophrénique de Jean Genet. Quelle oeuvre déroutante et troublante que celle-ci. On suit l'histoire De Claire et Solange, deux soeurs au service de Madame, toujours bonne avec celles-ci. Et pourtant, les deux soeurs détestent leur bienfaitrice et conspirent contre elle au sein de jeux de rôles tordus livrés dans sa chambre en son absence. L'une d'elle a pour projet de tuer madame en l'empoisonnant et tente de la faire souffrir en faisant enfermer son amant au cachot à coup de dénonciations. le malaise devient oppressant et c'est là que madame entre en scène, l'attitude des bonnes redevient exemplaire mais lorsque celle-ci court rejoindre son amant, le délire reprend jusqu'à atteindre son apogée. Plus qu'un délire schizophrénique, il y a dans ce roman toute la révolte de femmes au service d'autres et ne supportant plus leur condition de domestiques. Et toi, as-tu déjà lu cet ouvrage ? Qu'en as-tu pensé ? As-tu un autre titre de Jean Genet à me proposer ? ----------------------------
Extrait : C'est facile d'être bonne, et souriante, et douce. Quand on est belle et riche ! Mais être bonne quand on est une bonne ! "
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Voilà une pièce de théâtre que j'ai A-D-O-R-E ! Un mélange détonnant entre fait divers et théâtre, cette pièce est excellente, elle se lit en quelques heures seulement. C'est une pépite qui permet de s'évader dans un autre monde, libérer son imagination pendant quelques heures.
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j'ai adoré ce livre car le suspense reste à son comble jusqu'à la fin.
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