Ce livre est un trésor et je ressens chaque fois une sorte de jubilation en le lisant. Comme tous les vrais trésors, il faut, pour le trouver, une détermination sans faille, le roman n'est hélas plus édité…
Bogomil est un brigand de grand chemin, une sorte de Robin des Bois des Carpathes, qui depuis sept ans, dépouille le trésor royal pour le répandre en largesses auprès du petit peuple des montagnes moldaves. Libre, insaisissable, il tient en échec le pouvoir qui le traque. Face à lui, le roi dépêche son plus grand général, Dracopol, le despote de Kyralessa. Entre temps, le général l'apprendra à ses dépends, l'homme est devenu une légende :
« Ce qui est tout à fait impossible, c'est de décapiter la légende de Bogomil. On ne peut pas décapiter une légende, comme on ne peut pas décapiter le vent, comme on ne peut pas décapiter la lune. Bonhomme étant un être humain, on peut le capturer et lui couper le cou. Un homme, c'est une vie. Mais une légende, ce n'est pas de la chair, c'est de l'esprit. Et l'esprit, on ne peut pas le décapiter, pour porter sa tête sur un plateau d'argent au roi de Roumanie. A aucun roi de la terre. Jamais. C'est un ordre malheureux que le roi donne au général Dracopol. Car plus on frappe une légende, dans l'intention de la tuer, plus elle grandit et plus elle devient belle. »
Qui est ce voleur qui peut forcer un général à passer, dans ce village, devant la statue du capitaine Kyralessa, mort en sauvant la reine et dont tous les livres d'histoire racontent les exploits, après avoir, ce 29 septembre, sous les yeux de tous les voyageurs, volé les dix millions du coffre royal ? L'enquête au château du despote est menée tambour battant. Les habitants du village sont accusés de complicité et torturés…
Pourtant, énormément de poésie, de délicatesse, de sagesse, de beauté dans ce récit âpre.
Il fut un temps où je dévorais tous les «
Virgil Gheorghiu » qui me tombaient sous la main. Tour à tour diplomate, prisonnier, exilé en France où l'auteur a reçu l'asile politique, en Argentine, il devient tardivement prêtre orthodoxe puis patriarche de l'Eglise orthodoxe roumaine à Paris où il meurt en 1992. Il se fait connaître avec
La vingt-cinquième heure, livre qui sera porté à l'écran.
Le meurtre de Kyralessa est à mon sens, de tous ceux que j'ai pu lire, le plus beau de ses romans. On y plonge dans l'âme moldave. le texte est emprunt d'une nostalgie tragique où l'ancien monde, le monde ancestrale, traditionnel, côtoie celui d'une modernité qui s'éloigne de l'essentiel. Les personnages sont décrits avec beaucoup d'acuité, d'empathie et de grâce ; maître Apostol, l'instituteur ou le malheureux orphelin, Séraphin toit de chaumes, évoluent dans un monde ou l'homme et la nature communient profondément. L'auteur semble avoir puisé dans les secrets de sa propre histoire pour nous raconter ce conte roumain. Tour à tour, déclaration d'amour à son pays, épopée humaine, c'est d'abord l'humanité que sonde l'auteur dans une langue inoubliable. Une perle de livre…