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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avant d'entamer mon compte rendu, je dois avouer que j'ai triché. En effet, il s'agissait là d'un texte de Giono que je n'avais pas lu. J'ai donc commencé par réparer cette erreur (in collection Cahiers rouges des éditions Grasset) et je me suis ensuite lancé dans l'écoute du texte interprété (je tiens à ce terme !) par Pierre-François Garel, dont vous pouvez découvrir, entre autres, sur Youtube le talent indéniable en écoutant notamment sa lecture de la lettre de Proust à Bizet. Et si sa voix vous rappelle, pour ceux qui connaissent, celle de Jean Topart, c'est normal car on retrouve chez Garel ces même accents lancinants qui envoûtent imperceptiblement l'auditeur.
Le récit proprement dit de Giono ressemble à de la prose poétique et se prête ainsi parfaitement à la lecture. Des phrases comme celle-ci sont de fait une invitation à l'oralité : « Oui, de ce qui est d'humanité, moi j'imagine, et j'aime assez m'en aller dans ces vies qui ne sont pas à moi et puis de les suivre un moment, et puis de les quitter au moment où ça devient pénible, et de revenir dans la vie de mon corps qui est ce qu'elle est mais qui est mienne. »
Dans cette ode à la Nature, tant chérie par l'auteur au fil de son oeuvre, on chuchote ou l'on clame : ici tout est voix pour dire le monde et le ciel. Là, les étoiles sont comme du riz qu'on jette ou des « graines au vent », dit le texte. Plus loin, le désir de la chair le dispute à celui de la terre. Tout s'exprime dans ce chant des sens. Ce sont les « pays de derrière l'air » qui s'ouvrent alors. Là aussi se déroule une cérémonie mystérieuse qui change d'année en année et relève du conte, où se dépensent les « économies du berger », c'est-à-dire ses rêves. Rêves qui se forment en parlant, ce que Garel sait exactement exprimer, donnant l'impression que nous y sommes dans cette assemblée merveilleuse de bergers.
Il était donc fort logique de lire à voix haute un pareil texte, lequel recèle de ces phrases qui ressemblent à des maximes : « Les bêtes sont des vierges ; elles ne salissent pas les gestes qui font la vie. Elles font la vie simplement. »
La vie, magique et mystérieuse, elle est là qui bruisse, évocatrice jusque dans les nuages, qui « ont une vie d'algues et de fucus : des herbes épanouies dans les mamelles de la vague comme les éponges à lait dans les seins des femmes ». Cette vie, Garel la contient dans l'intonation de sa voix, ses pauses judicieuses, bien loin d'un ton déclamatoire pénible ou d'une récitation léthargique aussi efficace qu'un somnifère !
Il faut effectivement les tenir ces phrases gorgées de poésie immédiatement évocatrice : « La terre est accroupie dans le ventre du ciel comme un enfant dans sa mère. Elle est dans du sang et des boyaux. Elle entend la vie, tout autour, qui ronfle comme du feu. »
Aussi, lecteur ou auditeur – étant entendu que, selon moi, il est préférable de connaître un texte, destiné à être lu, avant de l'écouter –, « ouvre-toi, ouvre-toi, le bonheur et la joie sont là qui veulent entrer. »
Enfin, il ne reste plus qu'à signifier à monsieur Garel, à la manière d'un fameux gascon affublé de quelque non moins fameuse protubérance : c'est un peu court, jeune homme, de Giono il reste bien des textes à lire en somme ! Sachant que l'intéressé, en plus du Serpent d'étoiles, a déjà enregistré Que ma joie demeure, Jean le Bleu et Regain, du même Giono. Mais avec une telle voix, je me dis que cela aurait beaucoup d'allure avec une autre histoire de troupeau, de Giono, je veux parler du Grand troupeau !

(Remerciements sincères aux éditions Thélème et, comme toujours, à Babelio !)
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Torturé à coups d'Enfants et la rivière et de Gloire de mon père pendant mes lointaines et jeunes années, j'entretiens une souveraine méfiance envers tout auteur soupçonné, à tord ou à raison, de régionalisme. Giono c'est "même pas en rêve". le hussard sur le toit de Rappeneau ne m'avait pas assez enthousiasmé pour que je change d'avis, et en plus, il y a assez de livres qui m'intéressent sans que j'aille m'encombrer de ceux qui ne m'intéressent pas.

J'avais tord une fois de plus.

Il aura fallu une note sibylline de Philippe Walter au détour de son extraordinaire Canicule pour me convaincre de mettre le nez dans des pages de Giono.

L'histoire : le narrateur, jamais nommé, dans une Provence de début de siècle, celui d'avant, raconte sa rencontre avec un berger et sa famille. Un berger qui, avec ses mots à lui, remis dans les mots de Giono, lui dit la Terre, les courants telluriques et les forces chthoniennes qui traversent le monde, les étoiles, les bêtes, la vie, la mort et le secret de l'âme que détiennent ces hommes, portiers des mondes que sont les bergers.

C'est une incroyable rencontre que ce livre.
La langue est dense, travaillée et pourtant fluide. le style de Giono, c'est tout. C'est à la fois pompeux et ampoulé, mais aussi panthéiste et travaillé par les forces du monde qui semblent se nicher entre le blanc des pages et le noir des caractères. Il faut probablement un certain âge pour goûter ces mots et ces phrases. Heureux ceux qui y ont accès jeunes.
Le narrateur veut observer la rencontre des bergers, non pas de ces jeunes pastoureaux à la houe, non, celle des hommes qui semblent encore fait de la terre et de l'esprit du monde. Et pour nous y faire accéder, Giono sublime la Provence, loin des clichés. Giono veut en être le spectateur et le sismographe. Le résultat est somptueux. On est comme lui immergé dans un monde rocailleux et fluide où les courants de la vie et de la mort, végétale, animale et humaine semblent difficile à démêler. On tremble avec lui de rater sa participation à ce qui ressemble à une liturgie, à une fête au sens de Mircéa Eliade, celle du Grand Temps qui réactive les forces du monde en les énonçant, en les jouant. La transcription finale de cette célébration déçoit un peu, car il n'y a pas de secret du monde détenu par les pâtres provençaux.
Le seul secret véritable c'est de faire partie du monde, de savoir le lire, de se taire ou de le chanter.

Giono est un grand chanteur.
Lien : http://leslecturesdecyril.bl..
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[mes excuses par avance pour la longueur de mon papier, . Bien sûr, libre à vous de lire jusqu'au bout ou en diagonal].
J'ai déjà lu Giono (pas tout, loin de là). Je sais à peu près à quoi m'attendre (en résumé : du lyrisme poétique à la limite du délire..), je sais ce que j'espère (de la poésie en prose), mais là (p.25 du Livre de Poche 1979) il en fait quand même beaucoup dans les audaces de langage : 1/2 étoile en moins, mais ça ne se verra pas dans son Serpent d'Etoiles.
Au début donc, je me pose la question : est-ce de la poésie en prose comme "d'habitude" (Que ma joie demeure..) ou se laisse-t-il écrire cette fois vraiment en roue libre, gardant la 1ère image, les 1ers mots qui viennent ? Cherche-t-il beaucoup ou écrit-il vite ? Mais il (p.37) faut dire que Giono cherche, dans ce(s) livre(s) une harmonie totale avec le cosmos, la nature (ses 3 premiers livres, il les a regroupés sous le titre de "la trilogie de Pan"); il cherche à dire une relation idéale d'osmose et de symbiose que l'humain pourrait (devrait ?) tisser - et tisse parfois - avec tout ce qu'il y a autour de lui, tout ce qui l'environne : animaux (Giono dit "les bêtes") - tous les animaux -, végétaux, minéral.
Et c'est presque indicible.
Il lui faut donc inventer un langage pour dire cet indicible qu'il pressent, qu'il ressent, qu'il cherche, appelle. D'où, par exemple, le langage inhabituel - donc étrange - intuitif mais aussi sensuel, pour dire la "grasse" femme du potier qui est comme l'argile que celui-ci pétrit, femme qui entend, sent et voit les signes de la terre dans la grotte abri. Elle est médium et l'une des filles est nommée " la sorcière".
(44) Giono élargit la terre, élargit le ciel, élargit le monde, en élargissant le langage ( " homme, ouvre-toi").
Sur un détail plus littéraire (80) : j'ai vu que 2 ou 3 lecteurs doutaient du statut du narrateur et de ce livre. Est-ce Giono ? Est-ce un conte ? Je n'ai sur ces 2 points aucun doute : Giono est le narrateur et le livre est "officiellement" une "chronique journalistique", mais je propose de le nommer " documentaire ethnographique poétique". Une preuve ? Etonnamment (il n'aurait jamais fait cela dans un roman) il explique (au début du chapitre III) ce qu'il a écrit précédemment et justifie (presque) pourquoi il a fait une analogie entre les moutons et la mer. Une autre preuve ? L'arrivée du télégramme, au nom de " Monsieur Jean, de Manosque", ouvert par tous les "Jean" habitant Manosque avant que la factrice ne le lui présente et qu'il sache, en comprenant le message sibyllin, qu'il lui est bien adressé. Il récidive au chapitre IV, en écrivant de nouveau "je". Je ne vois décidément pas comment on peut avoir un doute sur le statut du narrateur.
Quant au statut de ce livre, c'est une "chronique journalistique" et je le vois comme un documentaire ethnographique écrit avec force poésie puissante, sur 2 "événements" dans le monde des bergers : un mineur et un majeur. le mineur est "la grande révolte". Je laisse découvrir ce qu'il est. le majeur est "le jeu des bergers" ou "la comédie", sorte de représentation théâtrale, en partie improvisée, par quelques bergers, dans un mélange de divers parlers, dont Giono tente une transcription en français compréhensible, qu'il qualifie d'imparfaite et de maladroite.
Ce dit des bergers est assez hallucinant (ils deviennent quasiment des shamans, mais sans prise de substances) et dépend aussi des émotions et des rêves qu'ils ont eus pendant l'année : un récit oral avec musique (fifres, d'instruments en terre cuite - gargoulettes -et des cordes tendues entre des branches d'arbres - les "arbres-lyre" - que le vent fait vibrer). Ce récit oral, ce dit, est la version de 3 ou 4 bergers (pas forcément toujours les mêmes d'une année sur l'autre) qui le créent sur le moment, d'un récit cosmogonique de l'espèce la plus ancienne et universelle, où l'on trouve des éléments de la Génèse et de l'Ancien Testament, récit où l'on retrouve aussi des éléments de cultures anciennes, de civilisations disparues (où notamment la figure du serpent est centrale) mettant en représentation, en scène et en mots la création du monde, les éléments fondamentaux (l'eau, la terre, l'air..), les animaux, le 1er homme et la 1ère femme..
Ce récit - et donc ce "petit" livre de Giono - est essentiel, aussi dans le sens de l'Essence. Encore aujourd'hui. Non seulement il hisse - en le décrivant le mieux possible - le monde pastoral, disparu il y a peu, des grands troupeaux d'ovins et des grands bergers , à un niveau culturel aussi élevé que les montagnes des Alpes de Haute-Provence, mais on peut le lire aussi aujourd'hui comme un puissant plaidoyer pour "la Nature", le "Vivant" et un avertissement pour l'humanité, qui est résumé dans le dit des bergers, donc dans ce "reportage" par la phrase, souvent citée : "Si l'homme devient le chef des bêtes alors, elle, la terre, est perdue". Pour avoir une chance de comprendre cette phrase, il faut lire ce livre (1 journée suffit..).
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Giono au sommet de son art, dans son chant infini à la Provence, dans son audace constructive, dans sa poésie chantant les hommes
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Un roman puissant, poétique, délirant, Giono en diable.
Surtout le ne lisez pas: écoutez-le, la lecture de Pierre-François Garel sublime ce chef d'oeuvre.
Laissez-vous porter par les collines, sous les étoiles d'un soir d'été de Provence, laissez vous conter par les bergers la naissance de la Terre…
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