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EAN : 9782376650508
300 pages
La Contre Allee (21/08/2019)
3.49/5   39 notes
Résumé :
En 1855, Victor Considerant, ingénieur économiste polytechnicien français et disciple de Charles Fourier, a dans l'idée un projet révolutionnaire de vie communautaire inspiré des phalanstères. Il recrute des colons français et suisses et fait acheter, sans les avoir visitées lui-même, des terres près d'un village isolé au Texas, Dallas, pour y fonder la nouvelle ville de Réunion.

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Victor Considerant parcourt les villes de France pour convaincre des hommes et des femmes de devenir colons associés et de participer à son projet de fonder au Texas, où les terrains sont peu chers, une nouvelle société librement organisée, dans laquelle chacun pourra vivre dans une harmonie heureuse. En 1855, tel Moise avec une trentaine de compagnons, il atteint la terre promise.

Pour moi qui aime l'Histoire, ce roman ne pouvait que m'intéresser. le récit est en effet basé sur des faits historiques, et aussi incroyable que cela puisse paraître, Victor Considerant a bien réussi à convaincre des hommes dont le quotidien monotone manquait de joie, de le suivre dans un projet complètement utopiste et irraisonné : fonder une communauté avec l'espoir de vivre une autre vie.

Thomas Giraud fait référence aux thèses de Charles Fourier, philosophe français dont Considerant va s'inspirer dans sa folle aventure. Je ne connaissais pas cette organisation sociale basée sur des groupements de production et de consommation dans lesquels chacun pratique plusieurs métiers par alternance, ce qui lui permet de développer toutes ses facultés. Les revenus sont répartis entre le capital, le travail et le talent. Ses écrits ont, selon certains, inspiré Karl Marx et jeté les bases du socialisme.

J'ai bien aimé la construction du roman, Thomas Giraud nous entraîne dans cette dramatique épopée à travers le portrait de deux hommes que tout sépare : Victor prépare méticuleusement et scientifiquement l'implantation future. Il essaye de tout prévoir sur ses plans, maîtriser la terre, le climat, les vents, les plantes. Aveuglé par ses théories de société où chacun pourra vivre harmonieusement, il ne voudra pas comprendre ce qui se passe, persistant dans sa folie. Leroux est un agriculteur épuisé qui abandonne tout, attiré par le rêve d'une autre vie. Il va se rendre compte tout de suite de la pauvreté de la terre, il n'y a que des cailloux, de la poussière et des serpents. le terrain est beaucoup trop en pente pour construire des habitations, la rivière ressemble à un ruisseau.

L'écriture précise de l'auteur nous plonge au milieu de cette communauté et nous partageons leur vie, leurs espoirs et leurs déceptions. C'est donc un récit vivant qui m'a intéressé, d'une part par ce que j'ai appris sur un courant de pensée que je ne connaissais absolument pas, et d'autre part par le déroulé de l'histoire qui démontre comment un homme par un discours parfaitement choisi, faisant miroiter un paradis peut entraîner des gens en enfer dans une aventure des plus périlleuses.
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« Tout ce ciel, tout ce sable, cela a dû être simple d'avoir peur de vivre ici, d'avoir peur en vivant ici. » (p. 13) C'est l'histoire de Réunion, rêve d'une ville idéale qui a tourné au cauchemar sur les terres désertiques du Texas. le projet est porté par Victor Considerant, polytechnicien et adepte de la doctrine de Charles Fourier. Pendant des semaines, l'homme harangue les foules pour convaincre du bien-fondé de son projet, « une réalisation grandiose dans le plus bel État du plus beau pays du monde » (p. 58). Finalement, une trentaine de colons français, belges et suisses se présentent au Havre. « Était-ce le manque de quelque chose qui les tenait prêts à tout quitter pour beaucoup de promesses ? » (p. 36) Après la longue traversée de l'Atlantique commence l'interminable périple à travers les jeunes États-Unis. Hélas, les terres que Considerant a achetées par correspondance ne valent rien. Stériles, brûlées par le soleil de l'été et le froid de l'hiver, elles ne produisent que pierres et poussière. Déconvenue, déception, désillusion, désespoir : voilà ce qui attend les colons. L'enthousiasme premier ne fait pas long feu et le beau projet s'effrite. Certains partent, d'autres meurent, et Réunion reste une illusion. « Au fond le langage lui fait défaut pour formuler le vide. Acculé à la honte, devant l'effondrement ou plutôt devant ce qui ne s'est jamais vraiment construit, il ne trouve rien d'autre que du vide à reformuler, de vieilles idées fades et collantes comme un vieux bonbon à ressasser. » (p. 196)

Avec cette chronique d'un échec annoncé, l'auteur brosse le portrait d'un maniaque du contrôle. « Il ne voulait pas vivre de l'improvisation, ne pas composer avec les aléas. » (p. 114) Victor Considerant est aussi complètement incapable de se remettre en question, car il estime que ses calculs sont bons, que l'erreur ne vient pas de là. Il ne comprend pas pourquoi ses plans ne tournent pas comme il l'imagine. « Ses dessins, il faudrait que, même si ça lui déplaît, il les ajuste pour tenir compte de la réalité. Pas l'inverse. » (p. 124) Sauf qu'en fait, le fouriériste n'a pas tout planifié : il reste une inconnue qu'il ne sait pas intégrer dans ses prévisions mathématiques. « Ce qui l'a le plus surpris, c'est que personne ne lui ait dit que le malheur devait se prévoir. » (p. 265)

Je ne connaissais pas l'épisode historico-géographique et socio-philosophique de Réunion. Il m'inspire autant d'admiration que de déception et de frustration. le site a disparu, recouvert par Dallas qui n'était alors qu'un village, mais qui s'est prospèrement étendu sur des terres qui ont fait le malheur d'une poignée d'Européens. Preuve que le Far West est un monde plus cruel pour certains que pour d'autres. « Je ne veux pas recommencer à vivre là-bas comme j'ai vécu ici. Ailleurs sera mieux car ailleurs est toujours mieux. » (p. 78) La narration qui alterne sans cesse entre première et troisième personne rend le discours plus audible, plus direct, plus immédiat. C'est presque comme si on y était, les pieds dans la poussière et la tête brûlée par le soleil texan.
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Réinventer la société est une constante de notre humanité. Depuis la diffusion des théories de Charles Fourier, les tentatives de fondation d'un phalanstère, entre aventure et utopie, se sont multipliées (p51). Certaines communautés ont perduré (ex : Twin Oaks - USA), donnant raison à tous ceux qui avaient des projets similaires. Avec « le bruit des tuiles », Thomas Giraud décrypte les mécanismes de construction et de destruction d'une société idéale, nous expliquant pourquoi des êtres, pas nécessairement infortunés, décident un beau jour de s'établir sur une terre inconnue. « Était-ce le manque de quelque chose qui les tenait prêts à tout quitter pour beaucoup de promesses ? » (p36). Nous affirmant que la foi est le moteur de toutes les folies : « (…) avoir cette forme de foi qui rend aveugle à tout ce qui n‘est pas l'espoir du paradis. » (p87). On ne peut s'empêcher, en lisant ce roman, de penser à la fresque magnifique de Paul Thomas Anderson « There will be blood » dans laquelle l'ambition et la conquête sont si bien décrites. Mais j'ai surtout vu dans ce livre une métaphore habile de la création et de l'échec d'une entreprise. Dans les deux cas, on parle d'une société, de sa croissance, de la gestion des hommes, de la responsabilité et du charisme (ou de l'incompétence) du fondateur. Jusqu'au nom du phalanstère : « Réunion ». Quant aux fameuses tuiles, elles sont une allusion non dissimulée aux ennuis qui s'accumulent. Tous les passages dédiés au partage des tâches sont un écho aux débats actuels sur la quête de sens et les nouvelles organisations du travail. Une lecture à double sens donc, plutôt plaisante, malgré quelques lourdeurs et de nombreuses répétitions des idées.
Bilan : 🌹🌹
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*Livre lu dans le cadre de l'opération "Explorateurs de la rentrée littéraire" organisée par le site Lecteurs.com*

Si je vous dis « phalanstère », cela vous parle ? Je vais tout de suite couper court à toute spéculation, il ne s'agit pas d'un insecte ou d'une obscure maladie rare mais bien d'un concept utopique élaboré par Charles Fourier, un philosophe français. Alors de quoi parle-t-on exactement ? Dans le concept de Fourier, la phalange est une communauté d'individus mettant en commun leurs compétences et leur travail pour le profit de tous. le phalanstère est le lieu de vie de cette communauté. Des règles très strictes sont mises en place, par exemple sur le rapport entre le nombre d'individus et la surface occupée ou encore sur l'organisation des bâtiments ou bien sur l'organisation du travail.

Après ce propos liminaire essentiel, rentrons dans le vif du sujet. L'auteur nous raconte ici la tentative de création par un polytechnicien, Considerant (oui, c'est son nom), d'une communauté inspirée du modèle des phalanstères. Vous vous doutez que tout ne va pas se passer comme il l'a prévu. Un ensemble d'éléments perturbateurs tel que le terrain prévu pour accueillir la communauté et le climat, les voisins qu'ils soient opposants ou profiteurs, ou encore les personnalités au sein du groupe vont venir se placer entre Considerant et son projet qu'il a imaginé et millimétré dans les moindres détails. Notre idéaliste va vite se rendre compte que le fossé entre les plans sur le papier et la réalité est parfois important.

Le thème de ce roman est original et vient titiller la curiosité du lecteur, c'est indéniable. Il va pousser le lecteur à s'interroger sur ce concept de communauté à l'organisation idéale, sur la vie en groupe qui peut rapidement être mise à mal par les oppositions entre certains types de personnalité et également sur la nature humaine en générale. Les interactions entre les différents protagonistes sont particulièrement intéressantes, que cela soit entre Considerant et les membres de la communauté, entre les voisins et la communauté ou encore au sein même de la communauté. Pas de dialogue ici, l'auteur reste sur une narration très descriptive, assez détachée et cela va entraîner un effet plutôt indésirable sur le lecteur à mon sens (au moins sur moi en tout cas).

Je m'explique, l'écriture est belle, aucun doute là-dessus, les mots sont maniés avec précision par l'auteur. Quelques effets de style ont pu par moment me faire lever les yeux au ciel et me faire dire « il en fait un peu trop là » et si l'on excepte ces quelques « lourdeurs » stylistiques (je n'aime pas vraiment ce mot mais je n'en avais pas d'autres en stock dans l'immédiat), cela reste agréable à lire et la multiplicité des points de vue apporte un vrai plus au récit. Mais, car il y a un mais, cette narration « détachée » a eu pour effet, sur moi en tout cas, de ne me procurer aucune émotion. Des questionnements, des réflexions, oui indéniablement, mais pas d'émotion, pas d'étonnement, pas de « oh » ni de « aaah », bref, je suis resté détaché de ce roman et c'est un peu dommage compte tenu de ses qualités.

En conclusion, un livre présentant une thématique intéressante, agréable à lire, bien écrit, poussant le lecteur à s'interroger mais il manque un petit quelque chose pour immerger le lecteur dans le récit. La narration est sans doute un peu trop « chirurgicale », c'est du moins l'impression que cela m'a donné. Mon avis final est plutôt nuancé sur cette lecture bien que je ne la déconseille pas. A réserver donc à un public plutôt averti ou du moins bien intéressé par ce sujet (ou encore très curieux).
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Au milieu du XIXe siècle, Victor Considerant (sans accent sur le E, l'homme y tient), adepte des thèses de Charles FOURIÉ, planche sur le projet d'ouvrir une communauté d'inspiration fouriériste, un immense phalanstère libertaire qu'il implantera du côté de Dallas au fin fond du Texas dans des Etats-Unis encore méconnus en France où il vit. La gestation va se faire par étapes, la préparation est ardue, mais Considerant est confiant. Il espère dégoter une quinzaine de compagnons de route pour concrétiser l'affaire. le terrain est pensé puis repéré, il devra être idéal. le but de l'expédition est de vivre au plus près de l'autosuffisance dans le respect de chacun et la rotation des tâches, sans hiérarchie, sans dieu ni maître.

La recherche de coopérants sur la base du volontariat va se dérouler par meetings que Victor tient ici et là. Discours huilés, bien préparés, genre d'éloges qui vendent du rêve. « Il se racle la gorge, reprend son discours là où il avait été arrêté, dans la deuxième sous-partie de la deuxième partie, il faut partir de zéro, de rien pour faire le tout, d'un endroit qui soit vierge, où personne ne nous dise ‘vous êtes chez moi voilà comment vous allez faire', pour que nous puissions construire une société organisée selon une bonne manière, une société librement organisée dans laquelle chacun pourrait vivre dans une harmonie heureuse, avec l'accord affectueux de chacun pour chacun, selon non pas une place mais des places qu'il pourrait occuper au cours de la même journée, de la même vie selon les préceptes de l'attraction passionnée ».

D'une quinzaine de consentants, la petite troupe se voit rapidement lestée d'une trentaine de membres. Considerant aurait désiré moins - le terrain est petit - mais flatté aux entournures, il accepte tout individu qui voudra bien se joindre à la Grande Aventure. Parmi ceux-ci Leroux, usé par le travail à la ferme, déglingué de partout à seulement 26 ans. Il sera celui tapi dans l'ombre, en retrait, taiseux, mais paradoxalement le plus obstiné. Quant au nom de la Communauté, après plusieurs tergiversations Considerant lui choisit Réunion. Avec un accent sur le E ce coup-ci.

Alors que toute cette petite troupe en est encore à peaufiner son projet sur le papier et sur la terre française, les premiers mécontentements jaillissent. Certains protagonistes veulent par exemple avancer la date de départ de plusieurs mois. Même peu enchanté, Considerant se plie à leur bon vouloir. Sa femme Julie restera à quai, au Havre, là où les aventuriers embarquent pour une traversée de trois mois durant laquelle Considerant souffrira d'un solide mal de mer. À l'issue de cet éprouvant voyage, la concératisation de Réunion peut enfin avoir lieu. Elle va tourner court.

Thomas GIRAUD semble particulièrement à l'aise avec les figures de perdants de l'histoire. Après son portrait d'un musicien oublié dans « La ballade silencieuse de Jackson C. Frank » (https://deslivresrances.blogspot.com/2018/06/thomas-giraud-la-ballade-silencieuse-de.html) il réitère avec le parcours de cet apprenti communautaire parti de bases solides pour un projet d'envergure humaine torpillé par l'individualisme, mis en déroute par la hiérarchie se mettant naturellement en place, un hameau mal structuré, mal réfléchi sur le positionnement des bâtiments, des autochtones rugueux voire carrément hostiles (pourtant 1855, date du début du phalanstère, ça ne fait pas si longtemps que les « Américains » ont piqué la place aux Indiens) mais aussi le soleil, le froid, la faim, la soif, la sécheresse et surtout, surtout, une invasion de sauterelles. de criquets pèlerins rectifierait Considerant qui avait donné trois ans pour évaluer l'avancée du projet et faire le bilan. Ce dernier n'est pas fameux. Et pourtant, tous autant qu'il sont, ils y auront cru, même si pour certains les Etats-Unis étaient plus prosaïquement synonymes de vacances plutôt que de Communauté. « Il aurait fallu plus de tout : de terres fertiles, d'hommes pour arracher quelque chose d'un peu sérieux de ces étendues, d'instruments, d'ombres ». Il aurait en effet fallu beaucoup plus pour éviter le premier mort…

Thomas GIRAUD se fait plaisir, la langue est poétique, froide ou drôle, toujours au plus près du détail, très rigoriste. Il avait entamé sa carrière littéraire par la superbe biographie romancée de la jeunesse d'Élisée RECLUS « Élisée avant les ruisseaux et les montagnes » en 2016 (https://deslivresrances.blogspot.com/2018/10/thomas-giraud-elisee-avant-les.html), sa plume a encore évolué depuis, son texte est encore plus beau, il rend presque glorieuse une épopée désastreuse, comme pour ne pas oublier qu'avant et depuis, d'autres communautés ont réussi leur pari, ont existé et survécu. Il a choisi de dépeindre celle qui peut-être accumulait toutes les tares pour justement ne pas aboutir, les premières erreurs s'installant avant même la mise en oeuvre du projet Réunion qui survivra une poignée d'années, cahin-caha. le fond est plein d'aventures palpitantes (et accessoirement des exemples à ne pas suivre), la forme est ronde et stylée, ciselée avec de longues phrases documentées qui touchent leur cible. Ce livre est encore un excellent cru de la Contre Allée, il restera comme un moment fort – y compris le titre fort bien senti - de la rentrée Littéraire 2019.

https://deslivresrances.blogspot.fr
Lien : https://deslivresrances.blog..
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critiques presse (1)
Actualitte
11 septembre 2019
Trop peu d'accroches réellement concrètes et historiques font de ce livre seulement un roman très bien écrit et très agréable à lire, s'appuyant sur des sentiments et des comportements humains invariants (cupidité, racisme, intolérance, individualisme, …).
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Quelques instants de satisfaction intérieure et puis, repoussant une mèche de cheveux ou se frottant les yeux avec la paume des mains, il retrouve des pensées plus mélancoliques, presque sinistres, qui lui permettent progressivement de chasser l’enthousiasme de mauvais aloi, la vision et l’intuition du bonheur achevé pour parvenir à la difficulté, à tout ce qu’il faudra faire. Les choses concrètes qu’il faut dire. Il manœuvre avec lui-même, marmonne et s’enjoint silencieusement à de l’austérité, de la sobriété avec quelques petits trucs qui produisent toujours chez lui un vif effet : les sermons des prêtres sur les tombes des enfants morts, la brume, le souvenir de certains cours magistraux faits par de vieux enseignants chevrotants et en habit, leurs mains tremblantes. Et surtout, ne pas se laisser aller à ce qui fait les miracles, le scintillement, les solutions aux problèmes trouvées dans un écart de la pensée, par hasard. Ne pas oublier le bruit de tuiles que l’on brise une à une, ces bruits de toits qui s’écroulent.
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Au bout du trajet, une petite vingtaine de minutes après Dallas, il y a, au pied de la lettre, un champ de ruines. Un champ très grand, quoiqu’il soit difficile de délimiter la taille du champ tant l’espace des ruines, ce fantôme de pierres absentes, se mêle dans un camaïeu de jaune, au soleil, au ciel, au sable, à la poussière dans l’air, au reste du désert. Il y a seulement de gros tas de pierres et de bois qui permet d’imaginer des maisons. Partout un mélange de sable et d’une terre légère qui s’envolerait si l’on soufflait dessus, juste bon à fabriquer de la chaux. Ça crisse sous les dents. Des restes de cheminements plutôt que de chemins, là où la terre et le sable sont plus écrasés. Des pierres qui ne sont pas déjà dans les murs de la maison d’un autre au milieu de rien si ce n’est ces petites touffes vertes. À partir des décombres on devine des maisons resserrées autour de deux ou trois bâtiments plus grands, éventrés, sans toitures. Plus loin, plus au sud, d’autres maisons mieux alignées. Des restes dispersés. Une organisation demeure identifiable, les murs, même tombés, continuent de faire parler, même si c’est très peu, ceux qui étaient là : comme si, malgré l’absence de toute trace écrite, on pouvait encore les entendre dire j’ai été là. Il y a les traces du passage d’une vie habitée mais pas celle de la mort qui serait restée. Pas de cimetière, seulement une croix. Il y a des ustensiles variés, incompréhensibles, de cuisine ou de bricolage, probablement, un amoncellement de bois, de vaisselles salies par les années à prendre la pluie, le sable et le soleil. On devine des sentiers que la végétation au sol, même rase, même si elle a repris largement à son compte l’espace, n’a pas encore recouverts. Du vide avec pourtant des souvenirs apparents. Quelques murs qui tiennent encore permettent de penser les portes inutiles de plusieurs petites maisons tassées. Les oiseaux font vraiment beaucoup de bruit ou alors c’est à cause du silence du lieu ? On ne vit pas ici, sur ce plateau de sable, on ne peut pas y vivre, c’est impossible, comme si l’impossibilité de le faire était plus encore, une interdiction, de celles innées, enfermées dans les os et dans le sang, pour vous obliger à vivre ailleurs, sauver l’espèce, sauf, bien sûr, s’il ne s’agit que de survivre. Et encore. Car comment respirer ? On doit se prendre tout le vent dans la figure, un vent bien rempli de sable. Car comment manger ? Car à qui parler ? Tout ce ciel, tout ce sable, cela a dû être simple d’avoir peur de vivre ici, d’avoir peur en vivant ici.
Fin 1860, ces ruines, c’est tout ce qu’il reste de Réunion, initiative de la Société de la colonisation dont Victor Considerant était sur place l’exécutant, les bras et les jambes pour parler comme les publicités anthropomorphistes du XVIIIe siècle mais dont il fut, en amont, la tête, l’âme. Celui qui avait élaboré tout ça. Ce naufrage aussi bien sûr.
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Il a été prévu que Considerant soit reçu chez un sympathisant, un ami de la cause fouriériste, abonné aux revues, un type qui n’est un ami surtout que parce qu’il partage les mêmes vues sur le sens des choses à accomplir pour améliorer la vie des autres et la sienne. C’est avant tout un inconnu, dévoué admiratif révérencieux, avec un solide sens de l’organisation, qui a rabattu pour cette réunion tout ce que le canton compte de socialistes et de fouriéristes, c’est-à-dire de bibliothécaires, de journalistes sans emploi, de petits entrepreneurs aux idées larges, de médecins qui éradiquent gratuitement les maladies le dimanche, de ces avocats qui se croient connaisseurs des hommes d’avoir été commis d’office. Il a aussi repoussé les chaises et les bancs contre les murs, mis la table dans un coin avec des carafes de vins, des verres et de quoi manger un coup.
Considerant connaît son public et avant même d’y être, il imagine sans effort ceux qui seront là, sages et attentifs, raides comme beaucoup de ceux qui ont des valeurs auxquelles ils tiennent, l’élégance élimée dans leurs vestes de laine et de velours un peu flasques, presque débraillés, des moustaches, des cheveux épais et longs, des chapeaux tenus respectueusement à la main comme le font les paysans à la messe. Si seulement c’étaient des paysans ou des ouvriers agricoles. Ce sont ceux-là qu’il lui faudrait. Ou bien des menuisiers, des charpentiers, des maçons, des cuisiniers, des hommes et des femmes qui savent faire pousser, construire, bâtir à partir de rien, à partir du vide. Mais ceux-là sont occupés ailleurs par leurs mains, leurs bras, leurs jambes ou épuisés, couchés, endormis par la fatigue de la journée, de leurs bras, de leurs jambes. Ceux qui vont l’écouter ce soir ne souffrent pas de la faim. Si devant Considerant ils seront dans leurs petits souliers, ils ont cette solide assurance qui naît en dessous du menton et qui s’étale jusqu’au mollet de ceux qui font trois bons repas par jour. Ils auront le teint vif. Considerant regrette l’homogénéité de son public ; il aimerait que ce soit un peu plus bigarré, plus représentatif des différentes catégories de la société, car c’est pour tous qu’il écrit et qu’il pense. Non pas qu’il espère créer une société nouvelle où toutes les anciennes catégories sociales seraient représentées, mais plutôt que sa foi dans sa vision prophétique et rationnelle serait mieux récompensée si ses raisonnements séduisaient au-delà des habituels intéressés. Il fera avec ce qu’il a : ceux qui le lisent ; ceux qui lui ressemblent. Ce n’est déjà pas si mal.
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« Je ne veux pas recommencer à vivre là-bas comme j’ai vécu ici. Ailleurs sera mieux car ailleurs est toujours mieux. » (p. 78)
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C’est à cause du bruit des tuiles qui se brisent, de la peur des toits qui s’écroulent, qu’il n’a pas voulu faire comme eux. Il n’aurait pas pu supporter de vivre avec cette approximation, cette fragilité devinée dans chaque jointure, dans ce mortier de dernière minute qui colmate ces centimètres qui manquent avec peut-être un peu trop d’eau et un sable de qualité médiocre, savoir que tout n’a pas été parfaitement construit comme on l’avait pensé, qu’i a fallu ajuster. Ajuster, c’était leur mot. Tout le temps, on ajustera, tu as ajusté, ça s’ajuste ça, c’est que ça n’est pas encore ajusté ; et lui il entendait pour accompagner ces ajustements les tuiles tomber, un bruit comme des assiettes que l’on casse une par une.
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Vidéo de Thomas Giraud
"J'ai le goût du merveilleux, ce sont des restes d'enfance." C'est avec ces quelques mots de Romain Gary, extrait de "La Nuit sera calme", que nous démarrons ce nouvel épisode de notre podcast. Car il y sera justement question d'éblouissement des premières fois, de cet âge où chaque découverte est un trésor à apprivoiser. D'enfance, en somme.
Pour nous accompagner : nous recevons Valentine Goby, autrice de nombreux romans pour adultes, mais aussi pour la jeunesse. Son dernier livre, "L'Île haute", nous emmène à la rencontre de Vadim, jeune garçon de 12 ans, qui vit à Paris. Nous sommes en 1943 et il est envoyé dans les Alpes. Officiellement pour soigner son asthme, mais surtout pour fuir les Allemands... car il est Juif. Arrivé après un long trajet en train et dans la neige, Vadim découvre la splendeur de la montagne, immensité enivrante qui le rend minuscule.
Au cours de cet entretien, Valentine Goby nous dira comment est née cette envie d'écrire un roman d'apprentissage, et en quoi l'enfance la fascine et l'inspire.
Juste après, nous retrouverons les libraires de Dialogues, Romain, Rozenn et Laure. Ils ont sélectionné pour nous plusieurs romans sur l'enfance et l'émerveillement. 
Bibliographie : 
- L'Île haute, de Valentine Goby (éd. Actes Sud) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20859799-l-ile-haute-valentine-goby-actes-sud
- Murène, de Valentine Goby (éd. Actes Sud) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18855093-murene-roman-valentine-goby-actes-sud
- L'Anguille, de Valentine Goby (éd. Thierry Magnier) https://www.librairiedialogues.fr/livre/16758956-l-anguille-valentine-goby-thierry-magnier
- Chèr.e moi (éd. Seuil) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21362899-cher-e-moi-lettres-a-l-ado-qu-lettres-a-l-ado--collectif-seuil
- Germinal, d'Émile Zola (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/843968-germinal-emile-zola-folio
- Les Misérables, de Victor Hugo (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/11354695-les-miserables-victor-hugo-folio
- E = mc2 mon amour, de Patrick Cauvin (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/185907-e-mc2-mon-amour-roman-patrick-cauvin-le-livre-de-poche
- Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud (éd. Contre-allée) https://www.librairiedialogues.fr/livre/16687921-elisee-avant-les-ruisseaux-et-les-montagnes-thomas-giraud-contre-allee
- Ciel bleu, de Galsan Tschinag (éd. Métailié) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18909888-ciel-bleu-une-enfance-dans-le-haut-altai-galsan-tschinag-anne-marie-metailie
- L'Invention de Louvette, de Gabriela Trujillo (éd. Verticales) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955179-l-invention-de-louvette-roman-gabriela-trujillo-verticales
- le Petit Prince, d'Antoine de Saint-Exupéry (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/392754-le-petit-prince-avec-des-aquarelles-de-l-auteur-antoine-de-saint-exupery-folio
- Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/8194310-les-aventures-d-alice-au-pays-des-merveilles---lewis-carroll-folio
- L'Étranger, d'Albert Camus (ed. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/440374-l-etranger-albert-camus-folio
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