A nouveau, j'ai plongé avec délice dans ce roman signé Goddard. le ressort de ses histoires est à chaque fois le même : un événement du passé surgit dans le présent et va troubler celui-ci - ceux qui s'y trouvent mêlés directement ou indirectement. Avec un anti-héros, type ordinaire, intelligent mais un peu lâche ou insouciant, parfois stupide, comme fil conducteur amené à démêler l'écheveau. le talent de l'auteur est de nous hameçonner dès les premières pages de son roman et de nous "emporter" tout au long d'épais volumes, comme autant de longs voyages qu'on achève à regret.
En 1977, un ex-prof au chômage, Martin Radford, est engagé par un riche propriétaire, Leo Sellick, installé à Madère, avec charge d'éclaircir le passé d'un homme politique, Edwin Strafford. Sellick a retrouvé les mémoires de l'ancien propriétaire, Strafford, dans la demeure qu'il a achetée, et voudrait absolument découvrir pourquoi le destin politique et le mariage de celui-ci se sont trouvés subitement brisés.
Robert Goddard nous entraîne, de main de maître, à travers les méandres de cette histoire nébuleuse à la recherche du secret de l'infortuné Strafford. Au service de ce roman, les qualités propres de l'auteur : d'abord son intelligence ; une solide formation universitaire propre à planter un background historique ou juridique à chaque fois bien documenté ; un style dosé qui évite la lassitude (entre dialogue, description et réflexion), des alternances, classiques cette fois (l'imprévu s'insinue sans qu'on s'y attende), des références littéraires (ici le mélancolique
Thomas Hardy) et bien sûr une construction habile et ciselée. Quant aux personnages, ils sont subtilement décrits et présentent toute une palette des comportements humains : il y a une garce superbe, des hommes de pouvoir détestables, que rien ne semble arrêter, d'autres petits, vains, mesquins ou lâches, et aussi des personnages attachants, mais aucun n'est un stéréotype. Lire un roman de Goddard, c'est retrouver le plaisir de la "detective novel à l'ancienne" associée au roman victorien (façon
Elizabeth Braddon - sans son côté "feuilletonesque" rocambolesque). le tout revisité années 1970/80 (ce qui nous épargne des contacts intempestifs entre protagonistes par mail ou smartphone au profit de visites !). Avec toujours un point d'ancrage en Angleterre, ajouté à une destination exotique, pour le dépaysement (ici Madère). Si certains passages "politiques" des mémoires d'Edwin Strafford peuvent apparaître un peu longs, ce roman est selon moi l'un des meilleurs de l'auteur. Nous sommes happés du début à la fin. L'histoire d'Edwin est bouleversante et profondément émouvante, et le souvenir de Martin, d'Edwin, d'Elisabeth et de ce malin d'Ambrose ne s'est pas dissipé une fois le roman refermé. Tels des personnes de chair que nous avons rencontrées et bien connues.