Des historiens se sont étonnés que des disciples éminents de Socrate aient répondu de manière si aberrante à la vie exemplaire de leur maître. Quelle sorte d’école est-ce donc là qui produit sur la scène de l’histoire un Critias, un Charmide, un Alcibiade ? Il est difficile sans doute de reconnaître le reflet de la Sagesse sur la physionomie de ces hommes qui s’abandonnent sans scrupules à la tyrannie de leurs désirs.
Lorsque, en sa jeunesse, Socrate ciselait le groupe des trois figures destinées au vénérable sanctuaire des Grâces à l’entrée de l’Acropole, quelle idée visait alors sa méditation ? La sculpture absorbe les mains de l’artisan dans le jeu de l’esprit ; elle entraîne la pensée vers l’arrière-plan des images, jusqu’à ce champ profond où les formes, à l’état naissant, puisent leurs valeurs de symboles. Socrate, à cette étape de sa vie, pouvait-il être moins exigeant de vérité qu’au temps où la Sagesse s’incarna en lui ? Il est permis de croire — et les textes platoniciens nous y encouragent — qu’une égale ardeur poussait son tempérament dans les voies de la recherche. Poursuite désintéressée s’il en fut jamais ! course éternelle d’un chasseur que l’appel de l’ultime Beauté — cet appel de l’Amour — jette, dès l’aube, sur les sentiers.
Tandis que le Sage offre à tous, équitablement, la possibilité de s’affranchir par la découverte de l’intériorité ultime, c’est à chacun de ses auditeurs qu’il revient de procéder au dépouillement nécessaire ; il sarclera avec soin le jardin de sa psyché qu’illumine un soleil trop ardent, les herbes toxiques seront arrachées dès leur apparition et les pousses favorables entretenues, stimulées.
Un érudit indien (un Pandit) fort de sa connaissance livresque des textes légués par la tradition (les Sastras) protesterait au nom du purisme dialectique devant les imperfections du langage de Socrate. Peut-être l’accuserait-il avec indignation de travestir grossièrement la vérité métaphysique.
Un Sage authentique n’a rien à dissimuler, il demeure ouvert. C’est un livre vivant que chacun peut consulter selon son désir. Aucun mystère, nulle barrière ne le soustraient à notre approche. D’ailleurs sa façon de vivre constitue un enseignement autant que ses paroles.