-...apprend-moi à tomber Vicente…
-Le principe est simple Esteban, mais il faut pratiquer longtemps… retiens ceci et pratique, pratique, quand tu auras mon âge, tu tomberas encore mieux que moi… retiens ceci : tout est dans le regard… quand tu sens que tu vas tomber, jette un œil au sol et retiens bien tout ce que tu vois... puis, dès que tu chutes, relance ton regard vers le haut, tout devant toi… pendant ta chute, n’oublie pas le souvenir du sol, mais regarde vers le haut… c’est ça, le secret… regarde un chat tomber : la seule chose qui ne bouge pas quand il tombe, c’est la tête… parce qu’il a la mémoire du sol, toute sa vie il le caresse, il le renifle, il s’y couche, il s’y frotte… tu comprends, il a la mémoire du sol ! »
Je ne m’étais jamais senti seul avant de le rencontrer. Mais, depuis son départ, je me sens différent, je me sens un autre. Ce qui est troublant, c’est que je ne sais pas s’il s’agit d’une autre présence ou d’une absence nouvelle.
Depuis ce jour, j’ai envie de dessiner autre chose que des lignes et des ronds.
Je décore mes topographies avec des bémols.
Finalement, la solitude, c’est la conscience de l’autre.
Et l’avenir, c’est le désir de l’autre.
Moi, il n’y a qu’un seul endroit et dans une seule position que je mets mes pieds à nu : allongé, à la plage. Mais j’ai quand même des chaussures. Des chaussures étudiées pour ne pas marcher sur le sable. Je les porte toujours dans une main, avec mes chaussures de mer aux pieds. Ces dernières sont en caoutchouc transparent, très souple, très beau. Je peux entrer et sortir de la mer sans problème. Je ne m’enfonce jamais dans le sable et les crabes peuvent toujours courir de travers je ne les sens pas. Je ne les enlève qu’une fois mon corps bien allongé, puis je mets mes chaussures conçues pour ne pas marcher et pour cacher mes orteils.
Évidemment, la démarche, chez soi, quand on sait que tout le monde nous voit, s’accompagne d’une tenue irréprochable. Il faut toujours être tiré à quatre épingles et rasé de frais. On ne sait jamais, si l’on vient à plaire à quelqu’un. Moi, c’est : Pantalon et cravate verts, chemise orange et veste noire. Je me défoule sur les dessous : je mets vraiment n’importe quoi. Une voisine a l’air d’apprécier. Je vois son ombre derrière ses rideaux. Elle passe son temps à m’observer. Je sers au moins à quelque chose.
Pour connaitre une personne, certains utilisent ces évaluations dans l’ordre : d’abord le physique, puis le caractère, et enfin la culture. D’autres évaluent dans le désordre, ou en oubliant un critère. Quoi qu’il en soit, personne n’échappe à ce regard. Moi, c’est sur le caractère que ça bloque. Je veux dire que les autres bloquent sur mon caractère, car personnellement, je n’ai rien contre les caractères. Ça écoule les ruines, un caractère. Il fait ce qu’il peut pour se débarrasser de ce qu’il peut.