Qu'on croie à l'intuition ou non, qu'on s'intéresse à l'inconscient ou qu'on n'en ait rien à foutre, Erwan avait toujours pressenti, derrière l'enfer de son foyer, un lourd secret. A son insu, il n'était pas seulement parti chercher en Afrique la vérité sur Cathy Fontana, mais aussi sur les racines de sa propre famille. Le réveil était dur. Une pure gueule de bois.
Comme une gamine, elle glissa son bras sous celui d'Erwan et ébouriffa les cheveux de Loïc, assis devant. C'est au bord du précipice qu'on savoure le mieux les points d'appui.
"Dire qu'ils faisaient corps avec la terre était un pléonasme : ils étaient la terre." (p.178)
Grégoire n’avait aucune illusion. À l’arrivée, on s’apercevrait qu’il manquait la moitié du matériel – oublié, volé, vendu. Pas grave : la meilleure façon de gérer les problèmes en Afrique était de les ignorer. L’incertitude était une composante à part entière de tout projet. En respectant ce postulat, on appréciait même mieux la vraie poésie du pays, irrationnelle et sans issue.
Erwan aurait dû être horrifié, il était simplement épuisé. Le mal, c'est comme le reste : au-delà d'un certain seuil, on est anesthésié.
Un drogué ne meurt pas, il s'envole.
[...] Erwan éprouva cette certitude : la jungle était le biotope naturel de son père. On s'était trompé sur lui, lui prêtant ds ambitions compliquées, des calculs retors. Le Machiavel de la place Beauvau, tu parles. Le Vieux était une bête farouche, un prédateur qui aimait la solitude, le grand air et l'immédiateté de l'existence animale. Survivre, oui. Se souvenir, non.
Maggie avait cité Baudelaire : "J'ai pétri la boue et j'en ai fait de l'or." Elle avait raison. Et tout ça avec une mise de départ dérisoire. Le miracle africain.
Les deux frères et leur sœur traversant à vélo l'archipel de Bréhat, ça valait le coup d’œil. Ils sillonnèrent le bourg jusqu'à Pon ar Prat pour rejoindre l'île Nord, puis longèrent la baie de la Corderie jusqu'à l'amer du Rosédo, à l'ouest. [...]
Après l'île Sud, sa végétation méditerranéenne et ses maisons au coude à coude, ils retrouvèrent la lande pure, blocs de granit au garde-à-vous, plaines fluorescentes, où seules les fougères sont décoiffées. C'était la partie que Gaëlle préférait, sauvage et déserte, où le large crache ses vents âcres et un froid à se bouffer les dents.
Bréhat l'avait toujours angoissé : il y étouffait. Tous ces riverains, en dépit de leur air cool, lui paraissaient s'entasser sur ce morceau de terre comme les victimes d'un naufrage, en attente de secours. Seule consolation aujourd'hui : en plein mois de novembre, l'île serait déserte.