Elizabeth Martin (Lizzie pour les intimes, certainement un petit hommage à Elizabeth Bennet) est la nouvelle héroïne de la collection Grands Détectives des éditions 10/18, et à ce titre, bénéficie en ce moment d'un intérêt particulier. Laissons cette dame de compagnie téméraire se présenter dans cette première enquête policière !
L'époque de l'intrigue sera à même de plaire aux lecteurs de classiques anglais puisque ce roman para-victorien met en scène le Londres du XIXème siècle. Nous sommes en 1864, en plein aménagement de la gare St Pancras, et Lizzie Martin, petite provinciale sans le sou et fille de médecin, débarque de son village minier pour tenir compagnie à Mrs Parry, une veuve fortunée dont les rares distractions alternent entre goûters somptueux, dîners protocolaires et parties de whist. Notre héroïne intrépide, sur le point de gravir l'échelon de la trentaine, en est réduite à s'adapter aux conventions sociales de cette grande ville et aux humeurs des occupants des lieux (le neveu de Mrs Parry, les domestiques de la maison, ainsi que l'horripilant Dr Tibbett, un invité régulier).
Son arrivée est néanmoins vite chamboulée par la découverte du corps de la précédente dame de compagnie dans l'un des chantiers de la future gare. Cette péripétie macabre sera l'occasion pour Lizzie de revoir Benjamin Ross, un fils de mineur venant du même village qu'elle et dont elle avait déjà fait la connaissance vingt ans plus tôt. le résumé du livre suggère que Lizzie et Ben sont « amis d'enfance » ; en réalité ils ne se sont vus qu'une seule fois, et si lui ne l'a jamais oubliée, la jeune femme a en revanche plus de difficultés à se souvenir de lui. Désormais inspecteur de Scotland Yard, Benjamin Ross campe l'image de la réussite. Son ascension sociale est représentative de l'évolution victorienne et de la lutte des classes : les postes-clés ne sont plus la propriété exclusive des gentlemen isssus de familles aisées, ils deviennent peu à peu accessibles aux hommes qui occupent un rang inférieur. Nous ne parlerons évidemment pas des femmes dont le statut était encore limité aux tâches domestiques et aux qualités essentielles de discrétion et d'ignorance feinte. Lizzie échappe à ce poncif lisse et réducteur : elle n'a pas la langue dans sa poche et entend bien satisfaire sa curiosité en dépit de la place qui lui est échue dans la société. Son sens de la diplomatie et de la répartie, ses relations privilégiées avec les membres de la demeure font d'elle une enquêtrice tout à fait avisée dans l'affaire du meurtre que doit résoudre Benjamin Ross. Et tant que l'assassin de l'ancienne dame de compagnie ne sera pas arrêté, Lizzie sera en danger.
Le point de vue interne de ce premier tome nous fait à la fois découvrir les pensées de Lizzie et celles de l'inspecteur Benjamin Ross. Il est intéressant d'exploiter ces regards complémentaires pour avancer dans l'enquête.
Ann Granger signe un récit bien construit. L'intrigue est palpitante et le suspense est savamment entretenu jusqu'au dénouement. On pourra toutefois déplorer des archétypes parfois convenus : Biddle, l'un des constables qui assiste Benjamin Ross dans son enquête, et le personnage du Dr Tibbett ont des comportements assez caricaturaux destinés à susciter le rire. le trait semble un peu exagéré à certains passages, ce n'est évidemment pas l'ironie de
Jane Austen.
En revanche, Lizzie est une héroïne très attachante et le duo avec Benjamin Ross promet de belles surprises dans les tomes à venir. Cette nouvelle saga policière ouvre donc des perspectives intéressantes. On se languit de la suite !
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